S’engager vraiment pour le climat, ça veut dire quoi?

Sasja Beslik, J. Safra Sarasin Asset Management

3 minutes de lecture

L'engagement réel des investisseurs passe par une implication sur le terrain en rencontrant directement les personnes dans les entreprises.

Un nombre croissant d'investisseurs exercent leurs droits d'actionnaires et engagent un dialogue pour influencer le comportement des entreprises dont ils détiennent des parts. Au cours des trois ou quatre dernières années, la communauté mondiale des sociétés de gestion (asset managers) a élaboré ou amélioré ses pratiques d’actionnariat actif, notamment pour ce qui concerne l'engagement. Elles proposent désormais un ensemble d'outils d'engagement dans leur offre de base et considèrent l'engagement comme l’un des éléments incontournables de la finance durable. Loin d’être un phénomène de mode, l'engagement est l'un des éléments fondamentaux utilisés par les asset managers et les investisseurs pour obtenir plus d'informations sur la manière dont les entreprises améliorent leurs performances dans divers aspects de la durabilité.

Aller sur le terrain est l'un des moyens les plus efficaces
pour obtenir des informations liées à la politique climatique.
S'engager efficacement ...

L'un des thèmes d'engagement que l’on rencontre de plus en plus concerne l’attitude de l’entreprise par rapport au changement climatique : cela va de son efficacité énergétique à la réduction de ses émissions de CO2, en passant par des gammes de produits plus respectueux du climat. Mais l'engagement avec les entreprises peut-il faire une réelle différence et comment l’investisseur peut-il évaluer les progrès de l’entreprise? L'approche traditionnelle qui consiste à s’entretenir avec la direction, à envoyer des lettres et à faire des déclarations communes avec d'autres investisseurs est un bon début, mais mon expérience des changements réels et tangibles apportés par l'engagement vient du terrain, elle passe par les routes boueuses d'Europe de l'Est, les pistes de terre d’Afrique et des plaines arides d'Asie. Aller sur le terrain est l'un des moyens les plus efficaces pour obtenir des informations liées à la politique climatique. Sans cela, il est difficile d’aborder les vraies questions et plus rare encore de recevoir des réponses.

...exige un examen approfondi des faits...

Il y a quelques années, j’étudiais la situation d’une entreprise sidérurgique internationale d'Europe de l'Est qui exploitait une importante usine en Bosnie centrale. Laquelle employait quelque 3’000 personnes dans une ville de 200’000 habitants dont la plupart des habitants étaient au chômage. Ses notes ESG et environnementales en particulier étaient moyennes par rapport à ses pairs et, au niveau agrégé, les émissions liées de gaz à effet de serre s'amélioraient lentement. Au début, tout semblait acceptable mais après un examen plus approfondi de certaines données objectives, je me suis demandé comment les choses évoluaient réellement. Nous avons commencé par analyser des rapports médicaux provenant de la ville. J'ai aussi passé en revue un certain nombre de plaintes adressées aux autorités locales concernant la pollution causée par l'entreprise. Les plaintes sont assez courantes dans les pays en développement, mais dans ce cas, les chiffres étaient terrifiants. Ensuite, nous avons évalué les exigences réglementaires auxquelles les entreprises sidérurgiques sont tenues et les contrôles d'émissions qui leur sont liés, ainsi que les permis et les fréquences de contrôle. Il s’est avéré que les autorités semblaient avoir une approche très laxiste quant à la responsabilité des entreprises en matière de pollution. L'aciérie en question était située dans une vallée étroite et, en cas de forts vents, les émissions d'oxyde de soufre émanant de l’usine étaient entraînées directement sur la ville de 200’000 habitants. Les émissions de CO2 dues à l'utilisation intensive de charbon avaient, quant à elles, considérablement augmenté au cours des trois dernières années. 

L’engagement ne peut se limiter à des entretiens
ou des réunions tenues dans des bureaux feutrés.
...et une implication sur le terrain...

Il nous semblait évident qu’une visite de terrain s’imposait. Nous avons très vite obtenu un permis de visite et nous nous sommes rendus en Bosnie pour rencontrer la direction locale, des employés, les autorités locales, des médecins et d’autres parties prenantes. Après deux jours de discussions ouvertes et transparentes, les conclusions se sont clairement imposées: la situation était déplorable. Même si toutes les parties intéressées étaient prêtes à s’engager, les actions à mener n’allaient pas de soi: certaines améliorations à court terme allaient à l’encontre d’améliorations à long terme, des interventions structurelles n’étaient pas compatibles avec des interventions ponctuelles, etc. Comme nous n'avions qu'une petite participation dans l'entreprise, nos moyens de pression étaient faibles et nous ne pouvions prétendre à des changements rapides et durables mais le fait que nous avions passé du temps sur le terrain et que nous nous étions véritablement engagés a fait pencher la balance en notre faveur. La direction a bien voulu entrer en matière et nous avons déterminé ensemble quelles actions étaient prioritaires. Les émissions d'oxyde de soufre sont les plus élevées au moment où l'acier chauffé est versé dans d'énormes fours. Investir dans des systèmes fermés et quadrupler la capacité de ventilation permet d'obtenir une réduction immédiate des émissions. La direction a donné son accord et un délai a été fixé pour mettre en place une telle installation. En allant sur le terrain, nous avons pu influencer la vie de nombreuses personnes dans cette ville. 

...si l’on veut faire la différence!

Les investisseurs peuvent faire la différence en s’engageant auprès des entreprises sur les questions environnementales et climatiques. Cependant cet engagement ne peut se limiter à des entretiens ou des réunions tenues dans des bureaux feutrés à Londres, Paris, New York ou Zurich. L'engagement réel et le changement véritable passent par une implication sur le terrain et se fait avec les personnes directement responsables de la gestion de l'entreprise et celles qui vivent les conséquences de la façon dont l’entreprise opère.

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