L’une des principales conséquences de la rivalité sino-américaine est le recul relatif de la notion de libre-échange et le retour au premier plan des priorités stratégiques nationales. Si cette tendance n’est pas nouvelle (l’élection de D. Trump à la présidence américaine en 2016 et l’augmentation des droits de douane sur les importations chinoises en 2018 ont marqué des tournants), elle continue de se renforcer, jusqu’à apparaître structurelle pour les opportunités d’investissement sur les marchés en 2024. Nous détaillons ici quelques exemples.
Intelligence Artificielle: la rivalité pousse à accélérer
Les opportunités offertes par l’Intelligence Artificielle attirent les entreprises du monde entier dans de nombreux secteurs et ne semblent pas forcément nécessiter un soutien public. Pourtant, les états représentent, d’une manière globale, l’un des catalyseurs essentiels pour l’essor de l’IA, sur plusieurs fronts critiques: ils ont d’une part l’impérieux devoir de rester en pointe sur ce sujet pour éviter l’obsolescence de leurs outils de puissance (modernisation de l’armée, des forces de sécurité intérieure, de l’administration) et accélèrent donc leurs investissements dans cette technologie, en particulier sur le hardware en commandant des datacenters IA «souverains». D’autres part, ils doivent favoriser l’émergence de cette technologie, extrêmement énergivore, en réorientant leur politique énergétique, en particulier sur l’infrastructure nécessaire pour produire de l’électricité.
Si le rapport de force sur le front ukrainien a beaucoup joué sur l’accélération des investissements dans le secteur, la montée en puissance militaire chinoise et son affirmation croissante sur le plan diplomatique ont joué un rôle significatif.
Les états chinois et américain apparaissent particulièrement en pointe sur le sujet de l’IA, portés par l’aiguillon de leur rivalité qui entraine une forme de course à l’armement entre les deux puissances. Du côté chinois, certaines informations montrent bien le caractère prioritaire de l’investissement dans l’IA pour le gouvernement, ainsi apprenions nous courant février que Huawei avait reçu des directives pour prioriser les puces d’IA au détriment des puces pour smartphones. Aux Etats-Unis, la volonté de conserver une avance technologique significative est visible partout, et a mené à l’interdiction de l’exportation d’un certain nombre de technologies, spécialement dans les semi-conducteurs, vers l’Empire du milieu.
Les priorités des états chinois et américains se traduisent dans le cours des métaux
L’or est l’un des actifs surprise de la première partie de 2024, avec une hausse de près de +16% (en USD au 27/05) dans un contexte pourtant peu favorable au regard des corrélations historiques: le dollar est fort (DXY Index +3,3% au 27/05) et les taux réels à 10 ans ont progressé au Etats-Unis (de plus de 40pb depuis le début de l’année), deux facteurs historiquement défavorables au cours de l’or. L’un des principaux éléments d’explication de cette anomalie provient de la demande d’or en provenance des banques centrales, en premier lieu la chinoise (qui a acquis 316 tonnes d’or sur les 18 derniers mois).
La forte hausse du cuivre (+20,6% au 27/05 selon les futures du LME) s’explique également en partie par le coup d’accélérateur simultané de l’état américain (notamment dans le cadre de l’Inflation Reduction Act) et de l’état chinois (qui a choisi une stratégie offensive sur les véhicules électriques et ajouté 350 GW de capacités de production d’électricité en 2023) en termes d’électrification.
Défense: la Russie au premier plan, la Chine juste derrière
Le secteur de la défense connait une belle performance depuis le début de l’année (S&P 500 Aero & Defense +8,2% au 27/05). Si le rapport de force sur le front ukrainien - et l’inquiétude que ce dernier provoque en Europe – a beaucoup joué sur l’accélération des investissements dans le secteur, la montée en puissance militaire chinoise et son affirmation croissante sur le plan diplomatique, encore illustrée ces derniers jours par les manœuvres simulant un blocus de Taiwan, ont joué un rôle significatif. Le plan de soutien de 95Mds$ finalement voté par le congrès américain après une longue période de blocage a concerné non seulement Ukraine et Israël, mais également la région «Indo-Pacifique», avec le financement de sous-marins américains mais également des programmes de défense de Taiwan et d’autres «partenaires de sécurité» dans la région, pour un total de 8 milliards de dollars.
Pour conclure, si la rivalité sino-américaine n’explique pas à elle seule les mouvements des actifs décrits ci-dessus, elle est assez structurante pour l’ensemble d’entre eux. L’actualité régulière de cette rivalité, qui a de bonnes chances de s’intensifier pendant la campagne présidentielle américaine (l’élection aura lieu le 5 novembre) nous amène à penser que les opportunités d’investissement qu’elle suggère ont de beaux jours devant eux pour le reste de l’année 2024.