Rien que des droits de douane! Ou peut-être pas?

Stephan Mumenthaler, Scienceindustries, Zurich

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Réflexions sur le contexte et les implications de la politique commerciale actuelle des Etats-Unis.

©Keystone

 

Les voilà donc, les droits de douane annoncés. Il y a une semaine, l’administration Trump a mis en œuvre ses droits de douane différenciés par pays. Pour les suspendre 12 heures plus tard – du moins pour 90 jours et avec de nombreuses exceptions. La plus grande augmentation généralisée des droits de douane depuis la Seconde Guerre mondiale!

On a eu peine à croire ses yeux lorsque le président Trump a annoncé les chiffres concrets depuis la roseraie de la Maison-Blanche. Les exportations suisses vers les États-Unis devraient être taxées à hauteur de 31%. 31%! Mais pourquoi 31%?

Droits de douane suisses sur les produits industriels: 0%

Donald Trump a parlé de «droits de douane réciproques», c’est-à-dire que les nouveaux droits de douane des Etats-Unis devraient reposer sur une évaluation des droits de douane qu’un pays applique aux produits américains, auxquels s’ajoutent des manipulations monétaires et d’autres distorsions supposées, telles que la TVA. Or, cela ne correspond clairement pas à la réalité : la Suisse a supprimé ses droits de douane sur les produits industriels – ils sont à 0%.

Il semble que les autorités américaines fixent en réalité les droits de douane selon une formule qui prend le déficit commercial bilatéral des Etats-Unis avec un pays comme base, et le divise par deux – une méthode presque aussi arbitraire que de taxer quelqu’un en fonction du nombre de lettres de son nom.

En plus, c’est un non-sens économique. Le président affirme que les droits de douane sont nécessaires pour combler le déficit commercial américain, qu’il considère comme un transfert de richesse à l’étranger. Or, ce déficit s’explique principalement par le fait que les Américains épargnent moins, au taux d’intérêt actuel, que ce que le pays consomme et investit. Les droits de douane n’y changeront rien.

La division du travail crée de la valeur ajoutée

Insister pour obtenir un commerce équilibré avec chacun des partenaires commerciaux est encore plus absurde. Ce serait comme si une entreprise exigeait de chacun de ses fournisseurs qu’il lui achète autant de marchandises qu’il lui en vend.

De manière générale, l’administration Trump méconnaît manifestement les bénéfices de la division du travail. Aucun d’entre nous n’aurait le même niveau de vie si chacun devait cultiver sa propre nourriture, coudre ses vêtements et construire sa maison lui-même.

Ce qui est facile à comprendre au niveau individuel s'applique également entre les pays. La mondialisation a ainsi entraîné un essor sans précédent dans les pays concernés, même si, il faut bien l'admettre, tous n'en ont pas profité de la même manière. Mais ce dernier point est un problème de politique intérieure et non de politique commerciale, et les droits de douane ne permettent pas de le corriger.  

Les États-Unis paieraient la facture

Si cette soupe est consommée aussi chaude qu’elle a été cuite, elle causera de grands dommages, en premier lieu aux États-Unis eux-mêmes. Les consommateurs paieront plus cher et auront moins de choix. La hausse des prix des composants pour les producteurs américains, combinée à une moindre pression concurrentielle étrangère, les affaiblira.

L’inflation croissante et l’incertitude accrue pèseront sur l’économie – et, si la situation persiste, entraîneront une récession. L'évolution de la bourse après l'annonce a anticipé cette évolution malheureuse, du moins en partie

Et même avec la suspension temporaire, une grande incertitude subsiste. Sans parler du fait que les droits de douane de base de 10% restent en vigueur dans le monde entier, ainsi que des droits supérieurs à 100% sur les produits chinois.

La diplomatie travaille d'arrache-pied

Et bien sûr, la Suisse en souffrirait aussi, si cela devait durer. Les produits pharmaceutiques sont certes temporairement exemptés – ce qui représente plus de la moitié des exportations suisses vers les États-Unis. Mais selon Donald Trump, cela devrait bientôt changer.

La diplomatie suisse travaille d’arrache-pied pour parvenir à une solution par voie de négociation. Les entreprises suisses ont beaucoup investi aux Etats-Unis et continueront à le faire, comme en témoigne l’annonce par Novartis d’investissements à hauteur de 23 milliards de dollars.

La Suisse est le sixième investisseur étranger aux Etats-Unis – un argument de poids à faire valoir. En plus, les Etats-Unis ont toujours montré un grand intérêt pour notre système de formation professionnelle. Vu la pénurie de main-d’œuvre qualifiée aux États-Unis, il y aurait certainement matière à renforcer la coopération. La Suisse dispose d’arguments solides pour parvenir à un accord. Et il reste l’espoir que c’est bien ce que Donald Trump recherche au fond.

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