Retour graduel en plaine

Chris Iggo, AXA IM

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La voie vers des taux d’intérêt plus bas est toute tracée - du moins si l’on se base sur les prix anticipés par les marchés. Ceux-ci donnent à penser que nous nous dirigeons vers un taux de 3% pour les fonds fédéraux américains et un taux directeur de 2% en Europe.

Cette voie est ouverte par des données économiques plus faibles et le lent retour de l’inflation vers les niveaux visés par les banques centrales. C’est une bonne nouvelle pour les investisseurs, car les rendements des titres à revenu fixe et des actions seront soutenus par de l’argent plus facilement disponible, ce qui offre également une certaine assurance que le ralentissement de l’économie ne se transformera pas en récession. Pour les obligations, les risques découlent de la crainte que l’élection présidentielle américaine puisse déboucher sur un programme de politique inflationniste. Les risques pour le crédit et les actions s’articulent autour des données de croissance. Pour l’instant, le chemin du milieu qui descend le long de la «Montagne de la Table» monétaire semble par conséquent le plus raisonnable à emprunter.

De l’argent moins cher 

Les ménages et les entreprises vont profiter de la baisse des coûts d’emprunt. Les marchés continuent vaillamment à tabler sur d’importants abaissements des taux intervenant au cours de l’année prochaine. La semaine dernière, j’ai écrit que ce sentiment haussier se reflétait dans les récentes performances des marchés obligataires et que cette tendance allait sans doute se poursuivre. Les coûts d’emprunt moins élevés favoriseront la trésorerie des entreprises et soulageront les ménages qui ont besoin de refinancer leur hypothèque ou d’amortir d’autres dettes. Le point de vue est que nous nous trouvons dans un ralentissement modeste, en fin de cycle, qui nécessite un assouplissement monétaire à l’échelon mondial. Si nous parvenons à éviter une récession, ce sera une bonne nouvelle pour les investisseurs. En effet, si les banques centrales abaissent leurs taux comme prévu, les risques de récession s’amenuiseront. Les rendements restent solides, tant sur les marchés obligataires que sur les marchés d’actions.

C’est le bon moment pour emprunter 

Le marché américain des obligations d’entreprises est un bon exemple pour illustrer les répercussions d’une baisse des taux d’intérêt. Il y a un an, les coûts d’une dette nouvellement contractée, déterminés par les rendements d’alors, étaient supérieurs de 200 points de base (pb) au coût de la dette ancienne, déterminé par le coupon moyen. Les entreprises contraintes de refinancer leur dette en septembre 2023 se seraient vues confrontées à une forte augmentation du coût des fonds. Aujourd’hui, cet écart s’est réduit à moins de 50 pb. Pour les entreprises de qualité opérant en euros, l’écart s’est réduit de 250 à 90 pb, et pour les emprunteurs en livres sterling, de 220 à 85 pb. Il n’est donc pas étonnant que l’activité d’émission de nouvelles obligations ait été si forte ces derniers temps. Les entreprises tentent de tirer parti de coûts d’emprunt nettement plus bas, avant que le marché des taux ne recule (parce qu’il s’est peut-être aventuré trop loin, trop tôt), ou que les écarts de crédit eux-mêmes ne s’élargissent si les données économiques continuent de montrer des signes de faiblesse. Le coût supplémentaire, désormais marginal, de l’emprunt par rapport à l’encours doit être considéré dans le contexte actuel, avec des entreprises continuant à présenter des bénéfices élevés. Donc, nul besoin que la couverture des intérêts diminue. C’est une évolution positive pour les investisseurs en crédit.

Ne vous opposez pas à eux 

Sur cette toile de fond haussière des marchés obligataires, et dans le cadre de son évaluation régulière des échanges, l’équipe d’AXA IM a rencontré cette semaine plusieurs économistes et stratèges opérant du côté des vendeurs. De l’avis général, la croissance ralentit et les banques centrales réagissent en conséquence. L’équipe n’a pas noté de désaccord significatif quant à l’intégration des taux d’intérêt terminaux anticipés par les marchés, même si, en se basant sur les prix pratiqués actuellement, tous les interlocuteurs ne sont pas d’accord sur le moment précis des interventions attendues. L’intégration anticipée des baisses de taux attendues au Royaume-Uni semblerait un tant soit peu anormale par rapport à ce qui se passe aux États-Unis et en Europe, et reflèterait en cela la réticence de la Banque d’Angleterre à admettre qu’elle est en passe d’adopter une position plus souple. Mais ce ne serait qu’une question de temps avant que la courbe du Royaume-Uni n’entame, elle aussi, un mouvement de baisse. Ces conversations n’ont guère ébranlé notre avis positif sur les obligations. Jeudi, la Banque centrale européenne a confirmé les attentes du marché en abaissant son taux directeur de 25 points de base supplémentaires et a laissé entendre que d’autres mesures seraient prises d’ici 2025.

En quête du taux neutre 

Dans le cadre de ces discussions sur la position cyclique des grandes économies et sur la ligne de partage entre un atterrissage en douceur et une récession, il a été question du concept de taux d’intérêt neutre. Il y a quelques mois, le marché se focalisait sur une inflation qu’il estimait être un problème plus persistant. Il y avait de bonnes raisons de penser que le taux d’intérêt neutre, c’est-à-dire le taux d’intérêt à court terme lorsque l’économie tourne à plein régime et que l’inflation est stable (ou «r-star» - une notion qui existe uniquement dans l’univers parallèle de la théorie économique), avait augmenté par rapport à toute la période précédant la pandémie et les chocs inflationnistes. Un taux neutre plus élevé signifierait que les taux d’intérêt nominaux ne pourraient pas être abaissés dans la même mesure que lors des cycles précédents. Certains ont parfois affirmé que les taux d’intérêt devraient être encore plus élevés, car un taux neutre plus élevé (qui, rappelons-le, ne peut être observé dans les faits concrets) serait le signe que la politique monétaire conduite par les banques centrales n’était pas aussi stricte que ce qu’elles s’imaginaient. Aujourd’hui, un plus grand nombre d’observateurs se rallient à l’opinion selon laquelle le taux neutre n’a peut-être pas augmenté d’autant. Ainsi, l’intégration anticipée actuelle des taux d’intérêt terminaux présumés est raisonnable. Si le taux réel neutre est de 1% aux États-Unis, et le taux d’inflation de 2%, alors un taux des fonds fédéraux de 3% représente un taux nominal neutre - donc pas de l’argent «facile». Deux estimations souvent citées du taux neutre réel, publiées par la Réserve fédérale de New York, donnent à penser qu’il se situe quelque part entre 0,75% et 1,25%. Par conséquent, un scénario de risque pour les titres à revenu fixe s’articule autour de la crainte croissante d’une récession, de la prévision que des taux inférieurs au point de neutralité seront nécessaires et de la perspective qu’aux États-Unis, les taux directeurs nominaux pourraient descendre jusqu’à 2%, voire moins.

Risques pour les taux 

Les principaux risques pouvant engendrer une hausse des prix sur les marchés obligataires pourraient provenir de la déception de ne pas voir l’inflation baisser davantage, de l’impact d’une victoire de Donald Trump aux élections américaines, ou d’une aggravation des inquiétudes portant sur la politique budgétaire des pays à économies développées. Nous verrons ce que nous indiquent les chiffres actuels de l’inflation, mais ils semblent être en baisse. Pour ce qui est des élections présidentielles, Kamala Harris a livré une bonne performance lors du débat télévisé de cette semaine. Les sondages indiquent encore un résultat serré, mais les choses pourraient changer dans les semaines à venir. Je reviendrai sur le programme politique de Trump, mais l’hypothèse de travail des investisseurs obligataires est qu’une nouvelle présidence de Trump se traduirait par une hausse de l’inflation. Bien entendu, les analystes et les économistes spécialisés dans les titres à revenu fixe s’inquiètent des déficits budgétaires, de l’augmentation de l’offre gouvernementale et de l’impact des dépenses publiques excessives sur l’inflation. Certains laissent même entendre qu’au vu des perspectives budgétaires des États-Unis, la dépréciation des bons du Trésor américain, observée sur la portion longue de la courbe par rapport aux ‘swaps’ (un paramètre de mesure que les négociants en bourse utilisent pour déterminer la valeur relative des obligations), révèle le souhait de voir se profiler une prime de risque plus importante pour les obligations d’État à long terme. Parallèlement, une vente aux enchères d’obligations du Trésor à 10 ans s’est très bien déroulée cette semaine. Aussi médiocres que soient les perspectives budgétaires, leur portée est trop lointaine pour inquiéter l’actuel marché haussier des obligations.

Chine 

Dans le grand tableau mondial, la Chine fait figure de point faible. Cela a des répercussions à l’échelon mondial. La faiblesse de sa croissance est due à l’effondrement actuel du secteur immobilier: il a fait baisser les investissements, déprimé les dépenses de consommation et entraîné une augmentation du taux d’épargne, ce qui représente une menace pour le secteur financier, étant donné l’existence systémique de dettes non performantes des promoteurs immobiliers et de prêts hypothécaires aux ménages. La Chine fait du renforcement de ses exportations le principal moteur de croissance, mais en raison des diverses restrictions visant les exportations chinoises, cela peut entraîner une baisse des prix sur certains marchés (celui de l’acier, par exemple). En gros, la Chine exporte de la déflation. La faiblesse de sa demande est un problème pour les pays exportateurs (l’Allemagne, notamment). Si la Chine ne prend pas de nouvelles mesures pour stimuler la demande intérieure en augmentant le revenu des ménages et en s’attaquant au problème des créances douteuses, elle risque d’être aspirée dans une spirale de déflation par la dette, exacerbée par une démographie en berne. De nombreuses années durant, à partir du début des années 1990, l’acquisition d’actions japonaises ne s’est guère avérée être une bonne affaire. Cela semble maintenant être le cas en Chine.

Donald en réédition?

Voilà qui me ramène à Trump. S’il l’emporte en novembre, son administration tentera d’appliquer des droits de douane draconiens sur les importations, principalement celles en provenance de Chine, mais également du reste du monde. En guise de représailles, les autres pays risquent d’imposer à leur tour des droits de douane sur les produits américains. L’impact d’une telle guerre commerciale est difficile à modéliser, mais il ne sera certainement pas favorable aux volumes d’échanges, et par conséquent à la croissance mondiale. L’inflation prendrait l’ascenseur suite aux droits de douane massifs et aux hausses de prix, et les producteurs nationaux profiteraient de la protection offerte par les barrières douanières érigées contre les importations pour accroître leurs propres marges bénéficiaires. Les dévaluations monétaires pourraient être utilisées pour compenser l’impact des droits de douane, mais nous savons qu’il s’agit là d’un jeu à somme nulle. Et cela aussi aurait un caractère inflationniste.

Sur le plan intérieur, cependant, Trump ferait pression pour faire baisser les taux d’intérêt (c’est un homme de l’immobilier, comme il ne cesse de le rappeler à la Terre entière). Il prolongerait les allègements fiscaux de 2016 et pourrait chercher d’autres moyens de faire baisser les impôts. Cela laisserait présager une période difficile pour la Réserve fédérale, qui aurait alors du mal à tracer une voie claire pour les taux d’intérêt. Cela pourrait aussi se traduire par une augmentation de la prime de risque pour les rendements à long terme, même si les taux courts devraient être réduits en raison des répercussions négatives qu’une baisse des échanges commerciaux aurait sur la croissance. Espérons que la raison l’emportera et que les pires retombées politiques constitueront des risques à faible probabilité. Mais cela vaut la peine d’être pris en considération dans une perspective axée sur le moyen terme.

Tendance haussière, pour l’instant 

Nous nous pencherons sur cette question après les élections. Pour l’heure, je demeure positif sur les marchés. Les taux sont en baisse. L’attrait des obligations d’État s’en trouve affecté, mais elles conservent une valeur supérieure à celle qu’elles avaient avant le début du cycle de resserrement. Les marchés du crédit semblent stables, avec un important niveau d’émission et de demande. Dans les mois à venir, les taux d’intérêt des dépôts en espèces seront inférieurs aux rendements des obligations d’entreprises de première qualité, et ce, pour la première fois depuis la fin de l’année écoulée. Cela devrait alimenter les flux vers les fonds d’obligations d’entreprises. Aujourd’hui, l’écart entre ce que rapportent les obligations américaines à haut rendement et le taux des fonds fédéraux est de 175 points de base. Cet écart ira se creusant et, ce faisant, il devrait attirer des fonds vers une classe d’actifs qui offre un meilleur rapport risque/rendement que les actions.

Le drame s’est estompé 

Avec toute l’attention portée à l’évolution des taux, les actions ont été reléguées au second plan ces derniers temps. Il est néanmoins difficile d’être exagérément baissier. Les bénéfices sont sains et les prévisions de croissance des bénéfices sont en hausse. Après ses récents vacillements, l’indice S&P 500 est à nouveau proche de ses niveaux records. La baisse des taux est favorable aux actions. Je reste persuadé qu’une allocation de type 60:40 continuera d’être profitable jusqu’en 2025.

Défendre et attaquer 

La dernière fois que j’ai parlé de football, je l’ai franchement regretté. Pour moi, regarder Manchester United perdre contre Liverpool a suscité toutes sortes de déceptions et de frustrations. La saison de football reprend ce weekend-end après cette ridicule pause internationale et j’espère que United a travaillé pour remédier à certaines de ses faiblesses (comme la défense et l’attaque). Il est plus ardu de prévoir les performances de cette équipe que l’évolution quotidienne du cours du bitcoin, et il est beaucoup moins stressant d’être un investisseur en obligations que d’être un supporter des Red Devils. J’espère qu’il ne faudra pas attendre trop longtemps avant que tous les nouveaux joueurs ne trouvent leurs marques au sein du groupe et que nous grimpions dans le classement de la Premier League. À ce stade, je pense cependant qu’il est plus probable de se retrouver avec un taux des fonds fédéraux de 2% et un bitcoin valant 100’000 dollars que de voir le trophée du championnat anglais regagner Old Trafford.

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