Quelles perspectives pour les banques centrales?

Vincent Manuel, Indosuez Wealth Management

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Les investisseurs peuvent demeurer constructifs sur les actifs risqués dans ce cadre favorable sur le plan économique et monétaire.

La résurgence du COVID-19 alimentée par le variant delta est-elle de nature à conduire les banques centrales à gagner du temps et à repousser l’horizon attendu de normalisation de leur politique monétaire? Plus largement, comment faut-il comprendre l’équation actuelle des grandes banques centrales, les inflexions en cours et que faut-il attendre pour les prochains mois?

Du côté de la Fed: l’inflation, l’emploi et la dette

La dernière réunion de la Fed a surpris les investisseurs qui s’attendaient à une perspective plus claire sur le «tapering» (réduction des achats d’actifs) et qui ont été pris un peu à défaut par une élévation des perspectives de hausse des taux en 2023. Il convient en réalité de relativiser ce dernier point: la Fed dispose d’une gouvernance démocratique et transparente (les dot plots reflètent les vues de chacun, et le pouvoir prédictif des dot plots n’est pas absolu comme l’a rappelé Jerome Powell ; ce qui est plus intéressant est que des «colombes» (doves) comme James Bullard (Fed de Saint Louis) rejoignent le camp des «faucons» (hawks) incarné par Robert Kaplan (Fed de Dallas) en recommandant de monter les taux dès 2022 et de réduire les achats d’actifs. 

On peut logiquement s’attendre à ce que Jerome Powell
donne prochainement des indications plus claires sur le tapering.

Dans la mesure où la Fed a répété à plusieurs reprises qu’elle réduirait ses achats bien avant de monter ses taux et qu’elle préviendrait le marché à l’avance si elle devait modifier sa politique actuelle, on peut logiquement s’attendre à ce que Jerome Powell donne prochainement des indications plus claires sur le tapering; ceci pourrait intervenir à la prochaine réunion du FOMC fin juillet ou au sommet de Jackson Hole fin août) pour une mise en œuvre à partir de fin 2022 ou début 2023, ce qui laisserait un décalage d’un an entre l’arrêt des achats d’actifs et une éventuelle remontée des taux courts.

Plusieurs voix se sont également élevées récemment au sein de la Fed pour souligner le fait que rien ne justifie d’acheter des RMBS (titrisations de créances immobilières) sur un marché immobilier ayant progressé d’environ 15% sur un an; ceci pourrait faire partie des ajustements sur la composition du programme d’achats d’actifs.

Du côté de la BCE: un aggiornamento sur la cible d’inflation 

En Europe, l’adoption par la BCE d’une nouvelle cible d’inflation, désormais symétrique autour de 2% et plus flexible semble à première vue s’inscrire dans la direction donnée par la Fed à l’été 2020, adoptant une cible d’inflation moyenne permettant son dépassement à court terme.

Pourtant il y a une différence de contexte et de perspective. La décision de la BCE ne peut pas être lue uniquement comme la recherche de flexibilité face à l’anticipation d’une inflation plus élevée mais aussi comme une évolution de philosophie, en s’éloignant un peu plus de la logique de la Bundesbank et de la volonté initiale de crédibiliser l’institution et la devise par un cadre de politique monétaire plus orthodoxe.

La BCE devrait rester accommodante plus longtemps que la Fed,
ne serait-ce qu’en raison d’une inflation plus modérée.

Pour le reste, la BCE devrait rester accommodante plus longtemps que la Fed, ne serait-ce qu’en raison d’une inflation plus modérée; l’équation se pose de manière différente en zone euro: la question est moins celle du risque inflationniste et davantage celle du dilemme entre le maintien de la soutenabilité des dettes publiques et le maintien de la crédibilité de l’institution et de la monnaie commune plus réunies.

La BCE devra elle aussi clarifier ses intentions mais elle dispose de davantage de temps ce qui lui permettra de procéder de manière prudente et progressive pour éviter de déstabiliser les marchés; les achats d’actifs réalisés dans le cadre du Pandemic Emergency Purchase Program (PEEP) devraient continuer au moins jusqu’en mars 2022; le plus probable c’est que l’on reste encore longtemps avec des taux négatifs à court terme et que la BCE réinvestisse les tombées de maturités du PEPP même après l’arrêt des achats.

La baisse du ratio de réserves obligatoires en Chine: un signal positif?

La banque centrale chinoise a confirmé la semaine dernière ce qui était discuté dans le marché: une réduction du ratio de réserves obligatoires des banques de 50 bps, un signal généralement positif pour les marchés. Toutefois, il est encore trop tôt pour considérer cette décision comme un changement de direction du cycle monétaire: il s’agit davantage d’un ajustement, rendu nécessaire par un tassement perceptible de la dynamique de croissance et rendu possible par une croissance moins forte des encours de crédit. Cependant, ceci peut constituer un facteur d’inversion d’une tendance négative des marchés chinois amorcée en février, précisément en raison du resserrement de la politique de liquidité en Chine. En revanche, l’avance de phase économique en Chine ne signifie pas que les banques centrales américaine et européenne vont emboiter le pas à la banque centrale chinoise qui demeure plus restrictive que ses homologues, avec une préoccupation maintenue sur la croissance du crédit et le maintien de taux réels positifs.

En résumé, les investisseurs peuvent demeurer constructifs sur les actifs risqués dans ce cadre favorable sur le plan économique et monétaire. Cependant l’un de ces trois facteurs (la tendance macroéconomique) est soumis à un retour des incertitudes autour du COVID à court terme, tandis qu’à moyen terme, la trajectoire de reprise fait peser une incertitude sur le maintien d’un cadre ultra-accommodant au-delà de 2022. 

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