Quand les investisseurs en crédit demandent des comptes au secteur minier

Ella Thomas, Schroders

3 minutes de lecture

Comment identifier les risques de crédit en analysant des données géospatiales et des informations sur la richesse de la biodiversité.

Du fait de la transition énergétique en dehors des combustibles fossiles, la demande de matières premières augmente. Le passage vers une économie à zéro émission nette impliquera une augmentation de la consommation de métaux, ce qui représente un défi particulier pour les sociétés minières s’apprêtant à fournir les intrants indispensables à la transition en cours.

Cependant, l'extraction et l'utilisation des ressources finies de la Terre ne sont pas sans risques. Les sociétés minières ont des impacts importants sur le monde physique, notamment la pollution, l'érosion des sols, le conflit entre l'homme et la nature, et la perte de biodiversité. Ces externalités peuvent à leur tour entraîner une augmentation des coûts, la perte de licences d'exploitation et une atteinte à la réputation. Par exemple, en 2019, la rupture du barrage de résidus de Brumadinho à Minas Gerais, au Brésil, a tué 270 personnes et causé des dommages environnementaux considérables. La société minière responsable a été condamnée à verser 7 milliards de dollars aux communautés touchées par la catastrophe et 16 de ses cadres dirigeants, y compris l'ancien PDG, ont été accusés de meurtre et de crimes environnementaux.

Dans la mesure où le secteur minier a de graves impacts environnementaux et sociaux, il est important que les investisseurs procèdent à une due diligence lorsqu'il s'agit de déterminer les risques liés à l'investissement dans ces entreprises. L'exploitation minière est très gourmande en capital, nécessitant des centaines de millions pour réaliser un projet de l'exploration à la production, de sorte que le financement par la dette joue un rôle significatif dans le secteur. Il est important que les investisseurs en crédit comprennent l'impact des entreprises dans lesquelles ils investissent. Cela nous permet également d'identifier les opportunités d'engagement si nécessaire.

En 2021, l'équipe Investissement durable de Schroders s'est penchée sur les secteurs les plus exposés aux risques liés à la nature, et a commencé sa recherche en utilisant les données de l’outil Encore (Exploring Natural Capital Opportunities, Risks and Exposure). Ce travail a aidé l'équipe Crédit à identifier les secteurs pertinents et à définir les points de départ de notre analyse.

Toutes les entreprises n’ont pas le même impact sur la nature ou une dépendance identique à son égard


 

L'analyse a été divisée en deux étapes:

  1. Identification des risques auxquels l’entreprise est exposée et transparence
  2. Gestion de ces risques

Pour identifier chaque exposition au risque, nous avons combiné des données concernant environ 70 entreprises différentes, en associant l’emplacement de leurs mines à des études universitaires sur la richesse de la biodiversité à l'aide d'indicateurs du nombre global d'espèces et du nombre d'espèces menacées. L'unité Investment Insights a ensuite procédé à une analyse géospatiale afin de situer les sites miniers par rapport aux données relatives à la richesse de la biodiversité.

Exemple: situation des mines de Rio Tinto sur la carte de densité des espèces

 
Sources: Schroders Investment Insights Unit, S&P, Florida International University

 

Une fois que nous avons identifié l'exposition aux risques des entreprises, nous avons évalué leur transparence par rapport aux normes mondiales en examinant leurs politiques, leurs rapports de développement durable et d'autres sources de données externes. Cela nous a également permis d’apprécier dans quelle mesure ces entreprises gèrent activement leur impact et leurs risques. Par exemple, en évaluant les opérations dans les zones pertinentes pour la biodiversité, les espèces menacées ou en voie de disparition qui sont touchées, les zones terrestres perturbées et réhabilitées, les plans de gestion de la biodiversité et les exigences sur la base de cadres standard tels que la Global Reporting Initiative (GRI), le Sustainability Accounting Standards Board (SASB) et le CDP.

La recherche et l'analyse qui a suivi ont fourni un point de départ pour notre engagement auprès des sociétés minières que nous voulions encourager à adopter de meilleures pratiques. Parmi elles figurait Endeavour Mining, un producteur d'or diversifié, auprès duquel nous sommes intervenus en juin 2022. Notre principal objectif était de mieux comprendre comment l'entreprise gérait les risques liés à la nature sur ses sites de production. Nous avons souligné notre intérêt à les voir adopter de meilleures pratiques en matière de capital naturel et de biodiversité.

La société était récemment devenue le plus grand producteur d'or d'Afrique de l'Ouest avec l'acquisition de Teranga Gold pour 2 milliards de dollars qui avait ajouté plusieurs mines en exploitation en Afrique de l'Ouest à sa liste de sites miniers actifs, ainsi que d'autres acquisitions plus petites. On craignait que l'activité récente d'acquisition présente un risque accru pour la biodiversité, et nous avons fait part de cette préoccupation à l'entreprise. Par ailleurs, nous avons souligné l'importance de procéder à une évaluation complète des impacts environnementaux et sociaux pour tout nouveau site acquis et que tous les sites devraient adopter une approche standardisée de la biodiversité.

Endeavour Mining a pris des mesures pour réduire l'impact de ses activités minières. Par exemple, au Sénégal, au début de tout projet, l'entreprise procède à une évaluation sociale et environnementale de la zone dans laquelle elle prévoit de commencer des opérations. Récemment, dans le cadre d'une évaluation, la société a identifié la présence d’un groupe de chimpanzés dans l'une de ses implantations. Le chimpanzé d'Afrique de l'Ouest est une espèce en voie de disparition et est protégé au Sénégal. Pour protéger et, espérons-le, voir croître la population de chimpanzés, Endeavour Mining a mis en place une zone protégée d'environ 1500 hectares où aucune activité minière ou connexe ne doit avoir lieu. En outre, la société s'est engagée à travailler en collaboration avec diverses autorités locales et organismes environnementaux afin de protéger les espèces sauvages près de la mine Sabodala-Massawa.

Endeavour a également fourni plus d’informations sur sa stratégie future, en précisant les objectifs en matière de préservation des terres et de réhabilitation des mines.

L'approche positive de l'entreprise pour améliorer sa stratégie ESG actuelle nous rassure sur sa capacité à gérer les enjeux environnementaux significatifs. Dans le cadre de cet engagement, nous avons également couvert d'autres sujets importants, notamment les droits de l'homme, le changement climatique et l'utilisation de l'eau. Nous suivrons avec un grand intérêt les progrès de l'entreprise cette année et ferons part de nos réflexions sur la stratégie et sa mise en œuvre.

Un engagement qui suscite des améliorations, comme dans le cas d’Endeavour Mining, est un facteur important lorsqu'il s'agit de déterminer si nous voulons investir ou rester investis dans une entreprise. Créer un impact n'est pas l’apanage des investisseurs en actions. Cela représente également une part importante du travail de l’équipe crédit.

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