Les politiques de taxation et de dépenses sont de retour, les gouvernements tentant d'atténuer les effets d'une inflation plus élevée.
Nous pensons qu'une politique fiscale plus active ne sera qu'un aspect d'un nouveau régime de politique et de comportement du marché dans les années à venir.
L’inflation élevée reste une préoccupation majeure pour les investisseurs. Elle oriente les décisions des banques centrales et influence les rendements obligataires et les valorisations de l’ensemble des classes d’actifs. Les banques centrales devraient, selon nous, parvenir à maîtriser les taux d’inflation élevés actuels au cours des 12 à 18 prochains mois. Nous n’envisageons toutefois pas un retour à la période qui a suivi la crise financière mondiale, au cours de laquelle les responsables politiques ont eu du mal à générer une inflation suffisante pour atteindre leurs objectifs.
Cette période, souvent qualifiée de «lowflation», sera suivie, selon nous, d’une phase où l’inflation sera plus élevée et plus volatile. Les facteurs défavorables qui pesaient sur les prix s’estompent et nous entrons dans un nouveau régime caractérisé par des pénuries du côté de l’offre et des hausses de prix plus fréquentes (voir Changement de régime: investir dans la nouvelle ère).
Dans ce nouveau régime, la politique monétaire devra rester axée sur la maîtrise de l’inflation, ce qui pourrait laisser le champ libre à la politique budgétaire pour gérer la croissance, ou l’absence de croissance.
Par conséquent, l’équilibre entre politique monétaire et politique budgétaire devrait changer. Les politiques monétaires ultra accommodantes de la période post-crise financière mondiale, avec des taux d’intérêt bas et une austérité budgétaire, devraient être remplacées par une nouvelle association de politique monétaire plus stricte et de politique budgétaire plus accommodante. Dans cette note, nous examinons les moteurs de l’«activisme budgétaire» et ses implications économiques potentielles.
La tendance en faveur de la politique budgétaire a été renforcée par l’intervention des gouvernements pendant la pandémie et, plus récemment, en réponse à la crise énergétique en Europe. La montée du populisme a également joué un rôle important, en augmentant la pression sur les responsables politiques pour les pousser à être plus actifs. Une plus grande dépendance vis-à-vis de la politique budgétaire signifie que la politique macroéconomique deviendra plus politique, car elle présente des choix, tels que savoir qui et quoi taxer et où dépenser, par rapport aux instruments peu efficaces de politique monétaire, de taux d’intérêt et d’assouplissement/de resserrement quantitatif.
Toutefois, la voie vers un plus grand activisme budgétaire est difficile et risque d’entraîner d’importants conflits avec les banques centrales et les marchés – comme nous l’avons vu au Royaume-Uni après la récente débâcle autour de son «mini-budget». Le renforcement de l’activisme budgétaire pourrait donc impliquer d’autres changements plus radicaux du cadre politique. Une synthèse de nos principales conclusions figure à la fin de cet article.
L’expérience de la pandémie a joué un rôle clé dans la transition vers l’activisme budgétaire. Partout dans le monde, les gouvernements sont intervenus avec succès pour soutenir les revenus des ménages par le biais de dispositifs de chômage partiel et de transferts directs, tout en organisant le déploiement des programmes de vaccination de masse. Les récentes mesures de soutien à l’énergie en réponse à la hausse des coûts déclenchée par la guerre en Ukraine sont un autre exemple d’intervention réussie. Avec le retour du «grand gouvernement», nombreux sont ceux à demander aux autorités d’être plus actives dans d’autres domaines et plus disposées à utiliser les dépenses publiques pour résoudre les problèmes.
On peut se demander si la réponse à un événement ponctuel, comme une pandémie ou une guerre, doit continuer de justifier un recours accru à la politique budgétaire dans des circonstances plus normales. En effet, on peut soutenir que la réponse budgétaire à la pandémie était excessive et a semé les graines de l’inflation élevée d’aujourd’hui. Ancien secrétaire au Trésor des États-Unis, Larry Summers a très tôt averti que le plan américain pour l’emploi du président Joe Biden en 2021 allait faire grimper les prix. Juger de l’ampleur et du moment des interventions budgétaires a toujours été problématique et s’est souvent traduit par une relance pro-cyclique plutôt que contracyclique, exacerbant la volatilité du cycle économique.
Néanmoins, l’expérience de la pandémie semble avoir enhardi les populistes et les partis anti-establishment, qui retrouvent une partie de la dynamique qu’ils avaient perdue au début de la crise sanitaire. Avant la pandémie, ces partis recueillaient une part croissante du vote du public, dans un contexte de croissance économique trop faible, de hausse des inégalités et de pression croissante sur les services publics après la crise financière mondiale. L’Italie, par exemple, a été à l’avant-garde de cette tendance avec une coalition de partis de droite dirigée par Giorgia Meloni, qui a pris le pouvoir en octobre de l’année dernière.
La pandémie a peut-être temporairement détourné l'attention, mais les préoccupations générales concernant le fait que la politique économique laisse tomber une partie importante de la population, qui n'a pas vu ses revenus réels augmenter depuis dix ans, ont refait surface. La vague de grèves qui a frappé l'économie britannique en est un signe. Les travailleurs cherchent à obtenir des salaires plus élevés afin de récupérer une partie de la perte de revenus réels due à la forte inflation. Cette tendance est conforme aux recherches du FMI, qui ont montré que les troubles sociaux suivent souvent les pandémies. Ceux qui ont fait des sacrifices pendant la crise sanitaire sont souvent déçus par l'absence de changement une fois celle-ci terminée et sont prêts à faire plus d'efforts pour obtenir quelque chose de mieux.
Dans le nouveau régime, les gouvernements devraient tester les limites de leur marge de manœuvre budgétaire. Beaucoup accepteront simplement l’impact des dépenses supplémentaires sur la politique monétaire et décideront qu’augmenter les emprunts publics pour traiter de priorités politiques vaut la peine de subir des taux d’intérêt plus élevés. Par exemple, l’augmentation des dépenses dans la santé et les soins aux personnes âgées pourrait être considérée comme une réponse à la demande publique et une amélioration du bien-être. Elle pourrait également soutenir l’offre au sein de l’économie en permettant aux personnes malades de reprendre le travail et en atténuant les pénuries de main-d’œuvre créées par la pandémie.
Néanmoins, s’il n’est pas compensé par une hausse des impôts ou une réduction des dépenses ailleurs, le coût de l’activisme budgétaire se traduira par un accroissement des déficits budgétaires et des taux d’intérêt. La croissance serait alors détournée des secteurs de l’économie les plus sensibles aux taux d’intérêt au profit du secteur public et de ses fournisseurs. Il s’agirait d’un cas d’«éviction» de l’activité privée par le secteur public, dans la mesure où l’augmentation des dépenses de santé supplanterait par exemple l’activité du secteur privé du logement.
En quoi est-ce important? Même si la croissance globale du PIB pourrait être la même, l’augmentation de l’offre de services publics pourrait accroître la satisfaction de la population à l’égard de l’économie. Afin d’atténuer l’impact sur les marchés financiers et les coûts d’intérêt, le gouvernement devra faire valoir que l’augmentation des dépenses publiques stimulera la croissance à long terme de l’économie. Il pourrait donc être nécessaire de se concentrer sur les dépenses d’investissement et la formation en vue de renforcer la productivité à long terme.
Outre les dépenses de santé, cela pourrait inclure une augmentation des investissements dans les régions où la productivité est à la traîne, ainsi qu’une augmentation des dépenses consacrées à l’atténuation et au développement de technologies permettant de lutter contre le changement climatique.
Ce point de vue est loin d’être universel. D’autres s’inquiètent de l’augmentation de la taille de l’État et du poids de la hausse des impôts sur les incitations à travailler et à investir. Si la hausse des taux d’intérêt s’avérait être une contrainte trop importante, les autorités devraient alors envisager une augmentation des impôts et des politiques plus redistributives en vue de réduire le déficit budgétaire. Dans le contexte actuel, où les impôts existants sont déjà élevés dans de nombreuses économies, nous pourrions voir de nouvelles taxes sur les terres, ou plus généralement sur le patrimoine, figurer à l’ordre du jour.
Une autre voie, moins controversée, consisterait à appliquer pleinement le taux d’imposition minimum de 15% de l’OCDE sur les entreprises, celui-ci étant conçu pour lutter contre l’évasion fiscale de nombreuses multinationales, en particulier les grandes entreprises technologiques.
Il est clair que des choix politiques doivent être faits et, outre les hausses d’impôts ou les réductions des dépenses, il y aurait un regain d’intérêt à remettre en question les limites de l’État et la privatisation. Si aucun de ces moyens n’est acceptable, l’alternative consiste à adopter une approche plus radicale et à essayer de changer le système existant.