Points stratégiques

Emmanuel Ferry, Evooq

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Le choc systémique de la pandémie est en phase de résorption. C’est le moment pour faire une mise à jour sur l’allocation d’actifs et la stratégie d’investissement.

La Global Coronavirus crisis (GCC), en référence à la Global Financial Crisis de 2008 (GFC), a été un phénomène extrême, global et ponctuel, qui sera un catalyseur pour des changements majeurs. Des tendances déjà à l’oeuvre vont aussi être amplifiées. On peut déjà identifier cinq points susceptibles d’alimenter la réflexion.

1. La déconnexion entre les marchés financiers et l’économie un sujet récurrent. Les décalages sont d’autant plus extrêmes lorsqu’ils coïncident avec des points d’inflexion majeurs. C’est ce qui semble se dessiner, avec la concomitance entre la pire récession depuis l’après-guerre et le plus fort rebond du S&P500 sur 50 jours de l’histoire financière moderne. Le marché est rémunéré pour anticiper. Dans la crise actuelle, le caractère technique de la récession d’une part, le pilotage efficace des policy-makers (Etats, Banques centrales, organismes multilatéraux) d’autre part, font que la thèse du point d’inflexion est incontournable. A ce jour, on dénombre depuis le début de l’année plus de 100 baisses de taux directeurs dans le monde. La taille des bilans des banques centrales du G10 a dépassé le seuil de 20 trillions de dollars, avec une réponse deux fois plus forte qu’en 2008. Quant aux Etats, c’est une stimulation budgétaire au sens large de près de 10 trillions. Un tel déluge de liquidités est susceptible de forcer les marchés financiers à reprendre leur tendance d’avant crise. C’est un risque de l’ignorer.

La prolongation du choc déflationniste
devrait conduire à une baisse durable des taux d'intérêt réels.

2. Le retour des marchés financiers dans une logique de bulle financière des banques centrales ne doit pas faire oublier que le choc du COVID-19 a été déflationniste. La gestion de crise a été coûteuse. La principale mesure a été une fermeture autoritaire des économies, qui intervenait après une accumulation de déséquilibres macro-financiers (taux de chômage au plus bas, pic d’endettement public et privé, mauvaise allocation du capital), dans un contexte international fragilisé par la guerre commerciale. Une partie de la baisse de la demande sera structurelle. A ce choc de demande, il convient d’ajouter un choc d’offre, avec une perte définitive de certaines capacités. La prolongation du choc déflationniste devrait conduire à une baisse durable des taux d'intérêt réels.

3. L’hypothèse du renouveau du cycle ou thèse du reset  est un scénario à ne pas exclure. Les investisseurs attendent à juste titre que les marchés repartent à la baisse, sur les fondamentaux. Or dans le cas présent, les signes de redémarrage du cycle se multiplient. Un changement de leadership  de marché se dessine, avec une rotation vers les thèmes les plus sensibles au cycle, donnant un second souffle à la dynamique haussière. La thèse du reset  était sur la table au début de cette année: liquidité abondante, positionnement défensif des investisseurs, dispersion extrême de valorisation, redémarrage du cycle. La tentation de rejouer ce scénario est forte, d’autant que les fondamentaux vont rester illisibles encore quelque temps. La situation macro est brouillée, mais le recours au big data (données de géolocalisation, imagerie satellite, cartes de crédit) permet d’observer en temps réel la normalisation de l’économie. Cela permet d’accepter, du moins à court terme, des pics de valorisation (P/E prospectif à 21,5x pour les Actions mondiales, le plus haut niveau depuis 2002), car le marché l’interprète comme un poids bas du cycle des bénéfices. Il faudra plusieurs mois pour estimer les dommages économiques (ampleur du déclin, capacité de récupération et potentiel de transformation). Il en ressort toutefois que l’Asie voit sa position renforcée, que les Etats-Unis ne vont pas hésiter à exporter leurs problèmes (dollar, QE, protectionnisme) et que l’Europe sera encore plus fragmentée. D’ici 2021, la rotation cyclique pourrait toutefois rapidement buter sur la contrainte des taux d'intérêt bas, redonnant de l’attractivité aux proxies obligataires dans le monde Actions.  

Sur le plan boursier, le secteur technologique pose des questions
au vu des valorisations extrêmes, de leur concentration excessive et du risque politique.

4. L’impératif technologique est renforcé par la crise sanitaire. La pandémie a accru l’adoption du e-commerce pour des raisons évidentes. La pénétration actuelle est proche de 25% et on estime que la crise du COVID-19 a fait gagner deux années dans le processus de diffusion. Au-delà du commerce de détail, la digitalisation a fait un bond en avant (BtoB, BtoC), les pressions déflationnistes dans de nombreux secteurs forçant les acteurs à réaliser des gains de productivité et à rechercher des relais de profitabilité (cas du secteur financier, durablement pénalisé par la faiblesse des taux d'intérêt). Sur le plan boursier, le secteur technologique pose des questions au vu des valorisations extrêmes, de leur concentration excessive (poids record des FAANG dans les indices) et du risque politique (régulation, démantèlement). Des corrections seront inévitables, mais les monopoles numériques ont une forte capacité à restituer le cash à l’actionnaire. Ce caractère relutif, notamment via des rachats de titres, rend l’investissement très convexe dans ce secteur.

5. La répression financière va s'étendre. Les tendances structurelles antérieures à la crise sanitaire vont se poursuivre, voire s’amplifier: populisme, dé-globalisation, protectionnisme, fin du multilatéralisme, transition énergétique. La répression financière, qui consiste à abaisser les taux d'intérêt sous le seuil de zéro pour taxer l’épargne, est également confirmée et elle devrait s’étendre au marchés Actions. Les entreprises aidées vont difficilement pouvoir rémunérer leurs actionnaires (dividendes, rachats d’actions). Le facteur pays pourrait revenir, notamment sous l’angle de la fiscalité, des normes sociales et de contraintes administratives, reflétant des situations budgétaires très contrastées. Les stratégies d’évitement de cette répression financière devront être prioritaires. Sans attendre un hypothétique retour de l’inflation, la gestion des facteurs de risque et la recherche d’axes de diversification seront donc essentiels dans ce contexte d’explosion des dettes publiques et de la masse monétaire.

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