Faut-il craindre un «corona bear market»?

Emmanuel Ferry, Banque Pâris Bertrand

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D’une crise sanitaire à la menace d’un credit crunch: les pressions déflationnistes s’intensifient à court terme.

C’est la première fois dans l’histoire que nous vivons en temps réel une épidémie. Le passage en mode pandémique du COVID-19 a ajouté une dimension globale au virus, à l’instar des grandes pandémies meurtrières qui ont jalonné l’histoire (la peste noire de 1346-1353, la variole de 1518-1800, la peste de Londres de 1665-1666, la peste de Marseille de 1720, le choléra en 1832, la grippe espagnole de 1918, le Sida à partir de la fin des années 70). A chaque fois, les conséquences ont été désastreuses, avec plusieurs millions de morts, emportant une partie importante de la population. Tel n’est pas le cas dans la crise sanitaire actuelle, qui s’apparente davantage comme un grain de sable pour les marchés financiers et l’économie mondiale, dont les répercussions ne sont pas encore connues.

La réaction initiale des marchés financiers a suivi le manuel de l’investisseur face à un choc exogène extra-financier: une baisse ponctuelle avec une récupération rapide (le profil en V). Le second épisode a été dominé par la propagation de l’épidémie en dehors de la Chine et les mesures de confinement prises par les autorités. La pratique de la quarantaine, qui est la toile de fond du roman La Peste d’Albert Camus, est une pratique ancienne du monde maritime (Conseil de Raguse, 1377), qui a un coût économique très élevé, supérieur à celui d’une récession classique. Toutefois, il se peut que la non-gestion d’une pandémie ait un coût encore plus élevé. Une étude de la Banque mondiale datant de 2012 indique un coût de 5 points de PIB mondial et 70 millions de vies humaines dans un scénario pandémique grippal non géré.

Le taux de croissance de l’économie mondiale
pourrait être divisé par deux.

Le choc actuel pourrait se traduire par un passage du taux de croissance de la Chine de 6% en 2019 à 1% en 2020. Quant à l’économie mondiale, son taux de croissance pourrait être divisé par deux. Les canaux de transmission sont triples: 1. un freinage brutal des échanges du commerce international, avec un impact direct de la Chine causant une récession manufacturière; 2. un impact brutal sur les secteurs des transports et du tourisme; 3. Un effet via les chaines de production, frappant les secteurs du commerce de détail et les producteurs.

Le troisième épisode concerne la réaction des autorités monétaires, en particulier la Fed. On sait qu’en cas de choc de demande, il faut intervenir sur le plan monétaire, en abaissant les taux directeurs, ce qui alimente la thèse du profil en V. Mais en case de choc d’offre, qui est désormais le cas qui nous concerne, il faut davantage agir sur le levier budgétaire (laisser jouer les stabilisateurs automatiques), accorder des délais de paiement aux entreprises, intervenir dans les secteurs les plus sinistrés. La baisse inter-meeting de la Fed (-50pb de base à 10 jours ouvrables du FOMC de la Fed) a soulevé plusieurs questions. Les détentes inter-meeting interviennent toujours après la réalisation d’un choc économique et financier (LTCM en 1998, 11 septembre 2001, quant crisis en 2007, Lehman en 2008). Dans le cas présent, elle a davantage réagi à la forte remontée des conditions monétaires et financières et à la variation du stress financier. Ce caractère très préventif a eu pour effet d’intensifier les pressions déflationnistes (chute des anticipations d’inflation, taux d’intérêt à 10 ans US sous le seuil des 1% et taux 30 réel négatif pour la première fois de l’histoire).

Le risque est désormais celui d’une spirale déflationniste.

On entre alors dans le quatrième épisode, celui de l’ajustement de valorisation des actifs risqués. Le P/E du S&P500 avait approché les 20x en janvier 2020, soit un retour sur le pic de janvier 2018. La compression en dessous de 15x en décembre 2018 correspondait à l’entrée dans un marché baisser Actions qui a été interrompu par la forte inflexion monétaire de début 2019. Le P/E actuel de 17x semble encore trop élevé, d’autant qu’une récession technique des bénéfices semble probable. L’effondrement des taux longs s’accompagne d’une augmentation de la prime de risque, dont le niveau associé à un stress financier (près de 600 points de base) signifie un P/E proche de 15x. Le grain de sable du coronavirus reflète la vulnérabilité du système financier (marché interbancaire, microstructure de marché) et les déséquilibres accumulés (taux d’endettement global de plus de 320% du PIB). Le risque est désormais celui d’une spirale déflationniste, dont les effets sur les marchés sont bien plus rapides que les effets d’une récession ou d’une stagflation. Ce risque sera contré par les banques centrales, mais le bas niveau actuel des taux proche de zéro conduit à envisager des solutions extrêmes, comme la monétisation de la dette publique par les banques centrales, ce qui renforce l’appétit pour l’or.

Le virus pourrait alors être un game changer à trois niveaux: 1. sur le plan politique, regain de populisme er retour de l’Etat (dé-globalisation, protectionnisme, nationalisation implicite des banques, soutien budgétaire et social); 2. pressions déflationnistes à court terme, regain d’inflation à moyen terme; 3. instabilité financière accrue avec menace de credit crunch et de crise du crédit corporate. 

Enfin, cette crise nous rappelle trois règles immuables de l’investissement: 1. Le marché obligataire a toujours raison; 2. La diversification est le seul free lunch en finance; 3. Les sell-offs indiscriminés offrent des points d’entrée pour les actifs de qualité, dont la détention est à privilégier en fin de cycle.

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