Antifragile

Emmanuel Ferry, Banque Pâris Bertrand

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Les banques centrales apportent de la robustesse aux investisseurs, mais les empêchent de se repositionner vers ce qui rendra les portefeuilles antifragiles.

Le mois de janvier a été riche en événements extra-financiers, de nature imprévisible dont l’impact est potentiellement élevé les investisseurs: escalade entre les Etats-Unis et l’Iran, propagation du coronavirus, tentative d’impeachment du Président Trump, attaque terroriste à Londres, sans parler des tensions accrues en Libye, Syrie ou au Sahel.

Cette succession de faits est l’occasion de rappeler le concept d’antifragilité développé par Nassim Nicholas Taleb dans son livre «Antifragile». L’antifragilité est la propriété d’un système qui se renforce lorsqu'il est exposé à des chocs de différentes natures. Ainsi, l’antifragilité va bien au-delà de la robustesse (capacité à résister au choc). Appliqué à l’investissement, le concept d’antifragilité va se traduire par la réponse convexe d’un portefeuille à un choc de marché et une sensibilité positive à une augmentation brutale de la volatilité. A l’inverse, le portefeuille fragile aura une réaction concave à un événement de stress financier et une sensibilité négative à la volatilité.

La très forte convexité durant les phases de QE
a pu s’apparenter à une forme d’antifragilité.

Sur la décennie passée, la robustesse des portefeuilles a été fournie par les banques centrales. En abaissant drastiquement leurs taux directeurs et en injectant des montants records de liquidité, le portefeuille diversifié Actions/Obligations a été relativement robuste grâce à la très bonne dé-corrélation entre les deux grandes classes d’actifs. La très forte convexité durant les phases de QE a pu s’apparenter à une forme d’antifragilité. Mais les épisodes précédents de resserrement monétaire et les tentatives de normalisation ont montré la fragilité de l’économie mondiale et des marchés financiers. D’une part, l’économie mondiale ne peut pas encore performer au-delà de son potentiel de croissance sans soutien monétaire. D’autre part, les investisseurs persistent dans des choix d’allocation d’actifs et de thèmes d’investissement très défensifs.

La thèse de la fin de cycle favorise un biais qualité, une stratégie de réduction du risque et de désendettement. En effet, un cycle mature signifie que les déséquilibres se sont accumulés (taux de chômage au plus bas, taux d’endettement au plus haut, émergence de surcapacités, dégradation du taux de marge des entreprises), que le mix croissance/inflation se dégrade, que la volatilité ainsi que le taux de défaut des entreprises remontent. Les actifs financiers ont atteint leur pic de revalorisation. Ce scénario deviendra hautement probable lorsque les conditions monétaires et de crédit commenceront à se tendre. La recherche d’antifragilité pour l’investisseur se traduira alors par un fort désinvestissement avec une préférence pour la liquidité.

L’antidote est la diversification active, la recherche de sources
alternatives de rendements et la capacité à être contrariant.

L’impulsion monétaire donnée en 2019 permet d’envisager un reset temporaire du cycle, avec repentification de la courbe des taux, diminution de la probabilité de récession et reprise de risque. Cette thèse est alimentée par un alignement exceptionnel: reprise macro et des bénéfices des sociétés, liquidité abondante, soutien monétaire et budgétaire, année électorale américaine, potentiel important de rebalancement des flux entre obligations et actions. La réalisation de ce scénario sera un test important pour évaluer le caractère adaptatif d’une stratégie d’investissement. Le positionnement consensuel des investisseurs est toujours surexposé aux thématiques défensives. L’adaptabilité signifie une réallocation vers les thèmes plus cycliques (émergents, Europe) et plus sensibles à la remontée des taux d’intérêt à long terme (Japon, style Value, matières premières).

A plus long terme, le portefeuille passif 60/40 (actions et obligations) est susceptible d’entrer dans un cycle durable de performance médiocre, voire négative, en raison de la combinaison inédite de valorisation record des actions et des obligations d’Etat. Depuis un siècle, une telle combinaison a toujours coïncidé avec l’entrée dans un cycle baissier du portefeuille 60/40. L’antidote est la diversification active, la recherche de sources alternatives de rendements et la capacité à être contrariant. C’est sans doute cela qui caractérisera un portefeuille antifragile. L’action des banques centrales empêchent pour l’instant les investisseurs à faire de tels choix, ce qui peut s’apparenter à un piège à un moment donné. Il faut pourtant se préparer à un changement des règles du jeu.

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