Oubliez la courbe des taux

Emmanuel Ferry, Banque Pâris Bertrand

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Il faut désormais regarder outre l'épisode de l'inversion de la courbe des taux. La récession est inévitable mais son horizon s’est éloigné.

Les marchés financiers fonctionnement par épisodes. Le dernier a été dominé par l’inversion dramatique de la courbe des taux d’intérêt: près de 80% de la courbe américaine est désormais inversée, une proportion similaire à 2006-2007 et 1999-2000. La paire la plus impressionnante est sans doute le taux d’intérêt à 30 ans qui est passé sous le niveau des Fed Funds, le taux directeur de la Fed. Le mois d’août a connu une accélération baissière des taux d’intérêt, au-delà de ce que signale la croissance nominale de l’économie mondiale. Ce mouvement de panique est exprimé par les investisseurs, qui sont plus d’un tiers à anticiper une récession dans les 12 mois, ce qui est la plus forte proportion depuis 2011. Ce n’est pas surprenant dans la mesure où l’inversion de la courbe des taux en août entre les deux points les plus significatifs sur le plan économique (écart entre les taux à 10 ans et 2 ans) est généralement un indicateur avancé d'une récession. Historiquement, l'inversion de la courbe des taux a précédé les récessions de 17 mois en moyenne et les pics des marchés actions de 11 mois. 

Nous n'avons jamais connu de récession
à partir de taux directeurs réels aussi bas.

La guerre commerciale a contribué à accélérer le processus de «Japonisation» enclenché au lendemain de la grande crise financière (faible croissance, faible inflation, rendements nuls / négatifs), de sorte que la stagnation, la déflation ou la récession deviennent les scénarios de base des investisseurs. Historiquement, l'inversion de la courbe indique que les taux directeurs réels sont devenus trop élevés: les conditions de prêt se resserrent et les banques commencent à restreindre l'accès au crédit. Les spreads de crédit high yield s’écartent suffisamment pour peser sur la solvabilité des entreprises les plus fragiles et le marché du travail commence à se détériorer.

Or, nous n'avons jamais connu de récession à partir de taux directeurs réels aussi bas. Les taux réels se situent généralement autour de 3% avant la récession et autour des points d'inversion des courbes passées. Le décalage historique entre inversion et entrée effective en récession pourrait dès lors durer plus longtemps que prévu. D’une part, la politique monétaire a repris un tour accommodant sur un niveau de taux court réel à 0,3%. La Maison Blanche envisage une nouvelle série de réductions d'impôts pour stimuler l'économie. Donc le policy-mix a toutes les chances d’être contra-cyclique à court terme. D’autre part, la partie longue de la courbe des taux d’intérêt est particulièrement recherchée par les investisseurs à la recherche d’actifs dé-corrélant le risque Actions. Or, la dette publique américaine, dont l’encours dépasse USD 22T (et atteindra près de 100% du PIB à horizon 2029 selon le CBO), n’a plus d’alternative: la dette de la zone euro de meilleure qualité (notée AAA) est de moins en moins disponible en raison de la demande réglementaire des banques, du QE de la BCE et du désendettement de l’Allemagne (facilité par la généralisation des taux négatifs). La Chine n’a pas encore engagé les réformes nécessaires pour favoriser une internationalisation du renminbi. En d’autres termes, les taux d’intérêt à long terme sont techniquement plus bas que ne l’indiquent les fondamentaux macro, ce qui pourrait biaiser, du moins temporairement, le message de la courbe des taux.

Il faut scruter l’écartement des spreads de Crédit, la remontée du chômage
et le resserrement des conditions de crédit des banques.

Mais l’important est ailleurs. L’épisode de l’inversion de la courbe des taux est derrière nous. Le prochain épisode à surveiller est celui de la matérialisation des facteurs de propagation d’une récession que sont l’écartement des spreads de Crédit, la remontée du chômage et le resserrement des conditions de crédit des banques. Aucun économiste n’a correctement prévu les cinq dernières récessions et les marchés ont prévu neufs des cinq dernières récessions. Quand le chauffeur de taxi parle de l’inversion de la courbe et se réfère sans le savoir à la théorie des anticipations de Irving Fisher, c’est peut-être le moment de regagner un peu d’optimisme, du moins pour quelques mois.

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