Pause

Martin Neff, Raiffeisen

2 minutes de lecture

Le quotidien tel que nous le connaissions a subitement disparu et nous découvrons littéralement à tâtons une nouvelle existence.

Que peut-il encore se passer maintenant? C’est précisément maintenant, alors que nous passons plus ou moins tout notre temps chez nous, confinés entre quatre murs, en évitant soigneusement les autres et que nous découvrons tout juste une autre vie, qu’un journaliste me demande si nous allons à présent assister au krach tant attendu du marché immobilier. Bon, si je regarde l’économie suisse dans son ensemble, j’en conclus qu’il y a certes de l’agitation sur le marché immobilier, mais qu’il est plutôt serein en comparaison avec la situation que traversent actuellement d’autres secteurs et branches de l’économie. Je vais donc vous donner ma conclusion sans plus attendre. Pas de krach, mais une pause sensible.

Un marché résidentiel stable

Il serait bien sûr naïf de supposer que les turbulences économiques actuelles n’auront pas de conséquences sur le marché immobilier, mais la situation doit être considérée de manière différenciée et être réévaluée sans cesse. Selon le marché, la sensibilité est plus ou moins forte. Commençons par le marché de la propriété du logement, qui devrait être le moins préoccupant. Tant que la Suisse ne glisse pas dans une récession durable et cela ne semble pas être le cas en 2020 malgré les pertes prévisibles, les stabilisateurs automatiques aideront à atténuer les difficultés. Par exemple quand un chef de famille perd son emploi ou que son activité fait faillite et qu’il ne peut donc plus assurer le service de son hypothèque.

A cela s’ajoute que le financement actuel des logements en propriété est solidement étayé par des fonds propres et que la capacité financière est assurée. Ce n’était pas toujours le cas en 1990, même si c’était plus les «spéculateurs» qui étaient à l’épicentre de la crise immobilière de l’époque que les ménages privés. Aujourd’hui, le financement de la propriété est extrêmement conservateur et se caractérise même par une forte aversion au risque, dans une comparaison historique et compte tenu du contexte suisse. Il n’empêche que le coronavirus laissera des traces, même sur le marché résidentiel, mais principalement sur celui des transactions (tant les vendeurs que les acquéreurs pourraient faire preuve de retenue) et de la construction neuve. Mais cela fait un certain temps que celle-ci n’est plus marquée par l’euphorie. La construction neuve d’immeubles résidentiels a franchi un pic, il y a déjà plusieurs années. Le fait que l’immigration va sans doute totalement s’effondrer, au moins temporairement, ne représente en revanche pas de charge supplémentaire particulière pour le marché résidentiel. Neufs nouveaux «Suisses» sur dix s’installent dans les logements en location. Ce n’est généralement que plus tard qu’ils accèdent à la propriété.

Une hausse des logements vacants est programmée

La disparition de la migration aura plus de répercussions sur le marché des logements locatifs. Même si l’offre réagit et que l’activité de planification a reculé, les logements construits  sont actuellement encore trop nombreux. Durant l’année en cours, il faudra sans doute 15'000 à 20'000 nouveaux logements de moins. Or la production se fonde encore sur des quantités correspondant à une immigration annuelle de 40'000 personnes ou plus. L’augmentation des logements vacants n’est donc pas surprenante. Mais les dommages resteront, là encore, limités. Les investisseurs immobiliers professionnels ou institutionnels tiennent déjà compte des logements vacants dans leurs projections et ils sont parfois bien supérieurs au niveau actuel du marché. C’est en revanche moins le cas des particuliers. L’un ou l’autre investisseur de cette catégorie devrait connaître des difficultés dans les prochains mois. Notamment ceux qui ont investi dans très peu d’immeubles, avec éventuellement une petite part de surfaces commerciales, et qui doivent à  présent  se demander si leurs loyers sont assurés alors que l’entreprise locataire est fermée. Le secteur du bâtiment va également devoir réduire ses effectifs. L’important volume des constructions va sans doute déjà afficher un certain recul cette année, dans un premier temps pour des raisons de capacités, mais ensuite rapidement à cause du ralentissement de la demande. La baisse n’affecte pas uniquement les logements, mais aussi les immeubles à usage commercial. L’activité encore élevée masque le fait qu’aucune entreprise n’engage plus vraiment de nouveaux projets aujourd’hui, car les incertitudes sont tout simplement trop grandes pour une expansion ou pour accéder à de nouveaux secteurs d’activité.

Viser moins haut

Les professionnels de l’immobilier ne pourront certainement pas se détendre entièrement au cours des mois à venir, mais ils devraient sans doute être épargnés par le stress d’autres branches. Il faut s’attendre à ce que la césure actuelle laisse des traces dans le cycle immobilier quasiment infini, qui devrait inciter à la prudence et à une meilleure évaluation des risques dans un proche avenir. Même si l’écart de rendement par rapport aux obligations de la Confédération rend les placements immobiliers incroyablement intéressants, tout investissement ne se solde pas nécessairement par un succès. C’était peut-être encore le cas avant le coronavirus, mais maintenant le secteur immobilier pourtant habitué aux succès va sans doute devoir viser moins haut. Et son avenir dépend de surcroît de la jurisprudence, quand il s’agira de trancher les litiges locatifs prévisibles. Cela aura en outre un coût.

A lire aussi...