Paradoxe: l'inversion de la courbe des taux US et les opportunités en allocation obligataire

Guillaume Rigeade, Carmignac

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En dépit du récent mouvement de repentification de la courbe de taux, cela fait plus de 2 ans que nous évoluons avec des taux courts sensiblement plus élevés que les échéances les plus longues.

Les déséquilibres mondiaux accumulés au cours des cinq dernières années (avènement des autocraties, désorganisation et relocalisation de l’outil industriel, décarbonation du mix énergétique, escalade de l’endettement mondial…) ont entrainé une poussée des prix à la production et à la consommation qui n’avait plus été entrevue au cours des 30 dernières années. Les banquiers centraux ont finalement actionné les leviers restrictifs de leurs politiques monétaires en réponse à cet environnement sans précédent, et avec eux une forte remontée des taux courts.

Dans le même temps, la perspective de voir ces hausses des taux de dépôt et de refinancement peser sur la croissance future a abouti à une baisse relative des taux longs. Celle-ci s’est transformée graduellement en une inversion de la courbe de taux en avril 2022 lorsque le taux à 2 ans américain a pris l‘ascendant sur son homologue à 10 ans.

Ce différentiel de taux s’est depuis creusé, alors même que la récession tant attendue ne s’est toujours pas matérialisée donnant ainsi tort au marché… pour le moment. Même les déboires de certaines banques régionales américaines au printemps 2023, qui ont entraîné un mouvement de panique sur les marchés obligataires, n’ont permis d’observer qu’un court épisode de repentification de la courbe de taux. La question relative à la juste valeur du taux d’équilibre demeure, alors que le resserrement mis en œuvre par les grands argentiers n’a pas suffi à faire infléchir l’économie mondiale entretenant ainsi une courbe des taux fortement inversée.

La chimère d’une récession à venir

Historiquement, les inversions de courbe se sont révélées être d’excellents signaux précurseurs de récessions économiques. Pourtant, au cours des dernières années, les hausses de taux se sont heurtées aux largesses fiscales accordées par les gouvernements, Etats-Unis en première ligne. Par-dessus tout, la «balkanisation» géopolitique post-covid a entrainé l’administration Biden dans un cycle de stimulus fiscal permettant de doper l’outil militaire et industriel. La croissance américaine a ainsi bondi en 2023 pour atteindre un niveau supérieur à sa moyenne des deux précédentes décennies.

Un constat similaire peut être établi sur le vieux continent qui observe déjà un redressement de son économie à la lumière de meilleurs indicateurs économiques après avoir évité la récession en fin d’année dernière.

Pour autant il semble illusoire de voir la zone américaine continuer de croître indéfiniment à un rythme deux fois supérieur à son potentiel. Si le spectre de la récession semble encore brumeux à la lumière du niveau d’activité outre-Atlantique, davantage de signes d’essoufflement du marché de l’emploi et de la consommation ne sont pas à exclure à l’avenir.

Evolution du différentiel de taux souverains entre les maturités 2 ans et 10 ans américaines

 


Comment tirer parti d’un tel paradoxe dans une allocation obligataire?

A ce jour, les opérateurs de marché semblent s’accorder sur une perspective de deux baisses de taux pour la réserve fédérale en 2024 et un atterrissage du taux directeur au-dessus du seuil de 3,5% à horizon 18 mois.

Ce scénario nous semble optimiste considérant le niveau élevé des taux réels américains, qui gravitent au-dessus du seuil de 2% depuis un 1 an et les signes de ralentissement mis en évidence dans de récentes statistiques économiques. D’autre part, ces anticipations de taux ne tiennent pas compte d’un «Fed Put», qui pourrait se matérialiser si l’accalmie économique venait à se transformer en tempête et que le marché de l’emploi était amené à se dégrader brusquement (poussant le taux de chômage vers les 4,5%) et ainsi pousser fortement à la baisse les taux courts.

Si notre sentiment s’avère constructif sur la partie courte de la courbe de taux, une sous-performance des taux longs n’est-elle pas à exclure ce qui pourrait engendrer une certaine volatilité sur le spectre obligataire. En effet, les taux longs ont bénéficié jusqu’à présent d’une perspective enthousiaste quant à la trajectoire désinflationniste à moyen terme; ce qui est plus qu’incertain compte tenu de l’enlisement des conflits armés et commerciaux. Outre la volatilité de l’inflation à l’avenir, l’accroissement de l’endettement mondial à l’heure où les grands argentiers cherchent à réduire leurs bilans est également un facteur plaidant pour une fragilité accrue des taux longs.

Le scénario que nous envisageons plaide en faveur d’un renforcement progressif de la duration de nos portefeuilles. Si la mise en œuvre d’une conviction directionnelle marquée à ce stade du cycle peut encore réserver de mauvaises surprises, la force de notre conviction s’exprime avant tout sur la capacité des taux courts à surperformer les taux longs. La marche en avant des marchés se fera avec la repentification de la courbe.

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