Normalisation ou décélération?

Anick Baud, Bruellan

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Dès le trimestre prochain, la Suisse devrait dépasser son niveau de richesse d’avant la pandémie, malgré quelques signes d’essoufflement.

Après une très forte hausse de tous les indicateurs avancés depuis un an, on s’achemine vers une stabilisation de l’économie à un très haut niveau. Dès le trimestre prochain, la Suisse devrait dépasser son niveau de richesse d’avant la pandémie, quand bien même quelques signes d’essoufflement apparaissent. Les perspectives économiques, et aussi les résultats des entreprises, pourraient ainsi être quelque peu assombris par des facteurs que nous jugeons pour la plupart transitoires, mais qu’il conviendra néanmoins surveiller de près. 

+7,7%! C’est le rythme de croissance annualisée que l’économie helvétique a affiché au cours du deuxième trimestre 2021. Avec une grande partie des voyants au vert depuis une année, la richesse de la Suisse n’est désormais plus que 0,5% en-dessous de son niveau d’avant crise, alors que la performance économique allemande reste par exemple toujours inférieure de quelques 3% à ce qu’elle était avant la pandémie. La Suisse devrait ainsi aisément dépasser le niveau de production de 2019 dès le trimestre prochain et effacer les effets d’une des crises les plus singulières de l’histoire économique.

La croissance suisse au deuxième trimestre a été essentiellement portée par la consommation privée et par les secteurs lourdement impactés par le COVID.

Cette croissance effrénée peut-elle continuer?

Il est vrai que ces derniers mois, les différents indicateurs économiques ont affiché une vigueur insolente. Que dire en effet des indices de confiance, que ce soit le KOF sur la situation des affaires ou les PMI (tant dans le domaine manufacturier que celui des services), qui ont atteint en début d’été des niveaux pratiquement inédits? Idem pour les exportations qui, à près de 21 milliards de francs, ont touché en mai dernier un record historique, balayant ainsi le précédent qui datait de septembre 2019. Pour autant, quelques signes d’essoufflement commencent à poindre et ces mêmes indicateurs ont, ces dernières semaines, stagné – quand ils ne se sont pas simplement repliés. 

Si on détaille la croissance du PIB suisse au deuxième trimestre (+1,8% par rapport au trimestre précédent), on constate en effet qu’elle a été essentiellement portée par la consommation privée et par les secteurs qui ont payé un lourd tribut aux mesures de lutte contre le COVID. A l’inverse, la production industrielle qui a jusqu’ici servi de moteur à l’économie, montre des premiers signes de normalisation. Parmi les effets modérateurs, on peut notamment citer la pénurie d’approvisionnement qui a entraîné des variations de stocks, ceux-ci ayant soustrait 1,6% à la croissance de l’économie suisse.

Si pour l’instant les perspectives pour 2021 et 2022 demeurent optimistes, témoignant toujours d’une reprise soutenue de l’activité (le Secrétariat à l’Economie prévoit une croissance du PIB de 3,2% cette année et de 3,4% l’an prochain), elles pourraient être rapidement assombries par quelques gros nuages qui pointent à l’horizon. Sans évoquer une rapide mutation du variant Delta, trop hypothétique à ce stade, on pense bien sûr à une augmentation généralisée des prix, induite par les goulets d’étranglement à la production, la hausse des matières premières et une difficulté de recrutement dans certains secteurs, qui pourrait être couplée à un ralentissement de la demande, provoqué notamment par une décélération de la croissance chinoise.

La BNS commence à manifester des signes d’inquiétude.

Une autre source de préoccupation est le développement récent du marché immobilier en Suisse. A la faveur de la politique de taux bas menée par la Banque nationale suisse (BNS), ce secteur a connu récemment une formidable expansion, tant en termes des prix des biens vendus que du nombre d’hypothèques accordées. Les prix des maisons individuelles et des appartements en propriété par étage ont ainsi augmenté en moyenne de plus de 80% au cours des quinze dernières années, dont une appréciation de près de 6% au deuxième trimestre 2021, soit la plus forte hausse depuis huit ans. 

La BNS commence cependant à manifester des signes d’inquiétude, estimant que l’octroi des prêts hypothécaires s’est accru trop fortement (comme en témoigne le ratio prêts hypothécaires/PIB) et qu’il existe un risque important de correction des prix. Quand on sait que les créances hypothécaires constituent le principal poste à l’actif des banques suisses («30% du total des actifs du système bancaire, et même 70% si l’on considère uniquement les banques axées sur le marché intérieur»1), on comprend pourquoi la BNS porte une grande attention à l’évolution de ce marché, qui pourrait poser un véritable défi à l’économie suisse dans le cas d’une hausse rapide des taux d’intérêt. Bien qu’une telle remontée ne soit pas notre scénario de base, il conviendra, dans les mois à venir, de surveiller de près ce marché et espérer que le volant anticyclique des fonds propres, levé au début de la pandémie, soit réactivé à temps.

Pour ce qui est du marché des actions suisses, cet été a été témoin d’un enchaînement de records, qui semble avoir atteint son apogée à la mi-septembre. Cette formidable hausse a été alimentée en partie par des résultats d’entreprises nettement plus solides qu’anticipés par les analystes, actant d’un dynamisme exceptionnel de l’activité économique. Les semaines à venir pourraient s’avérer plus chaotiques car, après un rallye si important, les investisseurs seront certainement plus sensibles et attentifs à toute nouvelle qui pourrait soit confirmer la normalisation du cycle, soit signaler un ralentissement. A ce titre, les annonces de résultats pour le troisième trimestre seront cruciales et permettront ainsi de mesurer la vigueur de l’économie après cette phase de rattrapage. Nous n’attendons toutefois pas de correction majeure sur cette classe d’actifs, car normalisation ou décélération ne signifient pas récession!

 

1 Source: BNS, «Marchés hypothécaire et immobilier: les développements actuels recèlent des risques pour la stabilité financière», Conférence donnée par Fritz Zurbrügg à Lucerne le 31 août 2021.

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