Les primaires en quelques probabilités

Salima Barragan

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«Les jeux sont plus ouverts que ne le pensent les investisseurs» estime Didier Borowski d’Amundi.

Le plus grand événement politique de l’année – qui éclipsera sans nul doute tous les autres - est l'élection présidentielle américaine du 3 novembre. Le coup d’envoi des primaires sera donné par le traditionnel caucus (un peu désuet) de l’Iowa ce lundi 3 février. Alors que les investisseurs anticipent largement une réélection de Trump favorable aux marchés financiers, ses chances de remporter un second mandat ne seraient pas supérieures à 50%. D’autant que des ralliements au sein du Parti démocrate pourraient vraisemblablement se concrétiser. Jeu de questions-réponses pour un premier point sur les primaires avec Didier Borowski, chef économiste d’Amundi.

Quel résultat peut-on attendre des primaires démocrates?

Si l’on en croit les sondages, Joe Biden qui représente le camp traditionnel centriste, devrait l’emporter. Mais rien n’est encore joué car c’est la première fois dans l’histoire du Parti démocrate que des candidats radicaux comme Elizabeth Warren ou Bernie Sanders disposent également d’une chance significative de l’emporter. Lorsqu’on cumule les intentions de votes pour ces deux candidats, le score du «camp radical» qui est de 38%, dépasse les seules intentions de vote pour Biden de 28%. Mais si on additionne les intentions de vote pour Pete Buttigieg et Michael Bloomberg - deux candidats proches de Biden sur leur programme-, le camp traditionnel centriste domine d’une courte tête à 41% contre 38%. 

«Joe Biden domine largement le camp centriste et Bernie Sanders
domine le camp radical. Elizabeth Warren stagne.»
Pour l’heure, qui sont les favoris selon les sondages?

Selon les sondages réalisés à l’échelle nationale et calculés par RealClearPolitics, Joe Biden domine largement le camp centriste. Michael Bloomberg et Pete Buttigieg qui sont proches de ses positions finiront vraisemblablement par rallier sa candidature. Dans le camp radical, c’est Bernie Sanders qui domine avec 23%. Il regagne du terrain dans les sondages les plus récents tandis qu’Elizabeth Warren stagne. Mais Sanders sera tôt ou tard rattrapé par ses problèmes de santé. S’il veut donner une réelle chance aux propositions qu’il défend, il pourrait donc finir par rallier Warren car ils sont très proches. Notons qu’il faut se méfier des moyennes des sondages nationaux. Car le résultat se jouera Etat par Etat et il y a de grandes divergences dans les intentions de vote d’un Etat à l’autre. Les moyennes nationales ne donnent qu’une idée générale des favoris.

Connaîtrons-nous l’identité du favori démocrate lors du «super mardi», le 3 mars?

Depuis la fin des années 1980, c’est lors du «super mardi» que la situation se décante. Le vainqueur de ces primaires sur une journée dans de nombreux Etats clés tend à rallier les voix de ses concurrents. Mais la situation est différente cette année et l’affrontement entre centristes et radicaux se poursuivra après cette date.

Quel est la probabilité que Trump soit destitué?

Elle est extrêmement faible car le camp républicain domine le Sénat et Trump est très populaire dans son camp.

Et qu’il remporte un second mandat?

Sa probabilité d’emporter un second mandat n’est pas supérieure à 50%. Des sondages informels montrent que les investisseurs anticipent une réélection de Trump avec une probabilité de plus de 80%. Il y a là un biais cognitif. Rappelons que la dernière élection s’est jouée à très peu de choses, avec une faible avance en nombre de voix dans certains Etats. Rappelons aussi que les démocrates avaient une large avance à l’échelle nationale et que Clinton avait gagné le vote populaire1. Tout dépendra du candidat choisi dans le camp démocrate et comme d’habitude, cela va se jouer dans quelques Etats clé. Il est beaucoup trop tôt pour faire un pronostic. Les jeux sont plus ouverts que ne le pensent les investisseurs. Rappelons-nous que la veille même de l’élection de Donald Trump, les modèles politiques les plus sophistiqués donnaient une probabilité de l’ordre de 75% à Hillary Clinton!

«Avec un président démocrate radical, les investisseurs finiraient
par accueillir favorablement des mesures visant à diminuer les inégalités.»
S’il est réélu, Trump lancera-t-il une 2e réforme fiscale?

Il est probable qu’il agira de nouveau sur le plan fiscal. Mais il a érigé l’imprévisibilité en dogme. Donc qui sait? Notons qu’il pourrait tout aussi bien vouloir agir via les infrastructures, surtout si la croissance menaçait de s’essouffler à l’horizon 2021.

Que se passera-t-il si l’un des candidats démocrates est élu?

Si Joe Biden est élu, on aurait une politique démocrate «traditionnelle» et l’on s’orienterait probablement vers un plan de relance des infrastructures, surtout si l’économie américaine commence comme nous le pensons à se tasser. Si en revanche un candidat démocrate radical devait l’emporter, il faut garder à l’esprit que malgré des marges de manœuvre limitées par le Congrès, un président peut mettre en œuvre certaines mesures proposées telles que le démantèlement des big techs qui ne nécessitent pas de vote. Dans ce cas de figure, on assisterait à un virage assez spectaculaire dans la réglementation et, par là, dans l’orientation de la politique économique. Rappelons enfin que les craintes liées à l’élection de Trump ne se sont pas matérialisées. Un président démocrate radical ferait (peut-être) peur aux investisseurs dans un premier temps. Mais dans un deuxième temps, ces derniers accueilleraient sans aucun doute favorablement des mesures visant à diminuer les inégalités et à renforcer la cohésion nationale!

Quant au Sénat, pourrait-il basculer dans le camp démocrate?

C’est improbable. 

La Fed attendra-t-elle les élections de novembre pour changer de politique monétaire?

Non, pas nécessairement. Traditionnellement, la Fed ne veut pas interférer avec le cycle politique. Elle ne se l’interdit pas pour autant! Dans le cadre de notre scénario central, le statu quo semble le plus vraisemblable.

 

1 Rappelons que l’écart des suffrages nationaux était de près de 3 millions de voix en faveur d’Hillary Clinton.

 

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