Les femmes et la finance: une histoire de désamour?

Michel Girardin, Université de Genève

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Si Lehman Brothers avait été Lehman Sisters, on n’en serait pas là aujourd’hui.

 

«Alors dans ton prochain livre, tu tireras le portrait de femmes dans le monde de la finance?» Que n’ai-je entendu cette phrase à la sortie de mon livre de portraits – en image et texte –  de quelques grands financiers de ce monde. Il y avait bien quelques femmes dans mon ouvrage, mais un nouveau livre leur étant exclusivement consacré paraissait incontournable. «Et tu sais quoi: en fait, les femmes adorent que les hommes parlent d’elles» m’avait glissé malicieusement une amie journaliste. Encore fallait-il savoir comment.

Une étude de l’Université de Chicago témoigne d’un lien évident
entre le taux de testostérone et la prise de risque.

Muni d’un calepin et de mon appareil photo, je me suis donc mis en piste. Avec en fil rouge cette phrase que j’adore, attribuée aujourd’hui à Christine Lagarde, mais qui émane en fait de Ngozi Okonjo-Iweala, directrice de la Banque mondiale au Nigeria, qui déclarait en 2009: «Si Lehman Brothers avait été Lehman Sisters, on n’en serait pas là aujourd’hui.»  C’est par contre cette même Christine Lagarde qui a confirmé ce que j’avais pressenti lorsqu’elle parle de l’ancienne présidente de la Réserve fédérale: «Janet et moi n’avons pas besoin du préambule très chargé en testostérone «tu marques ton territoire, je marque le mien» qui inaugure toute discussion entre hommes. Nos conversations sont plus directes, plus franches, sans fioritures». Je ne suis pas certain qu’un humain gonflé à la testostérone s’exprime avec des fioritures, mais passons...

La testostétone, parlons-en: sur la base d’échantillons salivaires, une étude de l’Université de Chicago témoigne d’un lien évident entre le taux de testostérone et la prise de risque, que ce soit dans la gestion de placements financiers ou de sa vie professionnelle. Voilà, c’est tout. Et vous ne me ferez pas dire que le taux de testostérone est généralement plus marqué chez les hommes que chez les femmes. Nous connaissons tous de nombreuses preuves du contraire.

Remplacer la sélection des genres par des taux de testostérone me semblait un peu compliqué... j’ai donc laissé tombé l’idée du livre sur les femmes en finance.

La passion ne s’enseigne pas.
Elle se partage.

Mais le thème ne me quitte pas pour autant et ... m’est revenu comme le nez au milieu de la figure à la lecture d’un article, paru cette semaine dans un grand quotidien romand, intitulé «Il est plus facile d’enseigner la finance que la curiosité». On y (re) découvre, grâce à l’analyse de ce directeur d’un institut de finance mondialement reconnu qu’il n’y a pas assez de femmes intéressées par les études de finance. Sauf en Chine. Et cet observateur de conclure: «Il est facile d’enseigner la finance, mais nous ne pouvons pas enseigner la curiosité et la soif de connaissances.»

Alors là, je bondis. La curiosité et la soif de connaissances serait une vertu masculine? Au secours!  Si nous sommes d’accord que le moteur de la curiosité intellectuelle, c’est la passion, alors oui, je confirme: la passion ne s’enseigne pas. Elle se partage. C’est ce que je retiens de toutes ces années passées face aux étudiants, hommes et femmes. Je vais aller plus loin: même un professeur davantage intéressé par ses recherches que par la transmission du savoir aux étudiants, sera bien reçu par ces derniers s’ils sentent chez lui la passion pour ses travaux.

La passion, une affaire d’hommes... soyons sérieux. Je crois que je vais plutôt m’intéresser au cas de la Chine pour essayer de comprendre ce qui motive une majorité de femmes à étudier la finance. Ca tombe bien, à l’Université de Genève, nous venons de lancer une formation doctorale en finance, en partenariat avec une université en Chine. Et je confirme, il y autant de femmes que d’hommes. Ce qui motive les étudiants? Les études, mais aussi la possibilité d’étendre son réseau. Et je ne vois pas pourquoi l’un comme l’autre devrait être réservé à la gent masculine.

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