Les entreprises zombies, un casse-tête pour l’économie de marché

François Savary, Prime Partners

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Va-t-on vers un retour sur le devant de la scène de la célèbre formule de «l’Etat stratège» sur le plan économique?

Il ne se passe désormais pas une semaine sans que l’on lise un article sur la question des «entreprises zombies», ces compagnies dont la performance opérationnelle ne permet pas de supporter les frais induits par un endettement excessif. De la même manière, les marchés bruissent de rumeurs persistantes sur le besoin de s’attaquer aux pouvoir excessif des FAANG et sur la nécessité d’une action résolue pour casser le «monopolisation» de l’économie que ces mammouths de la nouvelle économie ont engagée.

Alors que nous restons confrontés aux conséquences de la Covid-19 et dans l’attente de solutions durables pour mettre dernière nous cette crise sanitaire, chaque jour qui passe nous confronte un peu plus avec la double réalité susmentionnée et ne peut que nous conduire à nous interroger sur les mesures à prendre pour gérer ces phénomènes. Regarder la capitalisation boursière des 5 géants de la cote américaine a un côté surréaliste, au-delà de la baisse enregistrée depuis quelques semaines.

Certes, les entreprises zombies ne constituent pas une réalité nouvelle; de même, la tendance monopolistique des géants de la digitalisation interpelle depuis longtemps les observateurs et les hommes politiques. Il n’en demeure pas moins que la crise de la Covid-19 exacerbe ces phénomènes et rend d’autant plus importante une réflexion «sereine» sur ces questions qui, d’une certaine manière, ne sont pas dissociables. Je m’explique.

Eviter des faillites massives est un objectif majeur et
louable des politiques macroéconomiques depuis l’émergence de la Covid-19.

Prenons le cas des «zombies». Eviter des faillites massives est un objectif majeur et louable des politiques macroéconomiques depuis l’émergence de la Covid-19. Retarder la destruction créatrice que l’on a jugé, à juste titre sans doute, incapable de fonctionner dans le climat qui prévaut depuis la survenance de la pandémie est une chose; l’éviter complètement relève au mieux de l’utopie et au pire d’un choix politique dangereux pour l’économie et son potentiel de croissance à moyen terme.

Il ne faut pas se voiler la face, le temps viendra où les mécanismes d’un assainissement des entreprises zombies devront s’imposer; celles dont les capacités de survie sont économiquement et financièrement injustifiées devront disparaître avec leur lot de défaut; d’autres devront recourir à des augmentations de capital voire à des conversions de dettes en actions pour assurer leur avenir; enfin, le processus de rapprochement par fusion et acquisition de certains acteurs est inévitable, ce qui peut potentiellement conduire à une diminution sensible de la compétition dans l’économie. En effet, il ne faut pas occulter le fait que la zombification de l’économie ne concerne pas un seul secteur, même si beaucoup tendent à toujours mettre en exergue celui du pétrole/gaz de schiste.  Le problème est bien plus vaste.

On sait que dans la logique du «quoi que cela nécessite» qui prévaut depuis mars 2020, le rôle de l’Etat est déterminant, tant sur le plan budgétaire que sur le front de la «soumission» de la politique monétaire à un double objectif: éviter des faillites massives et une explosion induite de chômage de longue durée.

Cette action résolue ne pourra pas être temporaire et la gestion des conséquences de la crise de la Covid-19 est durable. C’est d’ailleurs ce qui conduit certains à envisager un rôle très actif de l’Etat dans la gestion du problème de la zombification au cours des prochaines années. Va-t-on vers un retour sur le devant de la scène de la célèbre formule de «l’Etat stratège» sur le plan économique? Doit-on envisager des interventions multiples (règlementations, prises de participation dans des entreprises, actions résolues pour créer des champions nationaux voire régionaux) de la puissance étatique pour atténuer les risques évidents que font peser les entreprises zombies sur l’économie? L’Etat peut-il favoriser un mouvement de concentration et de monopolisation de pans entiers du tissu économique? Si tel devait être le cas, comment les autorités politiques pourraient-elles justifier leurs attaques contre le pouvoir «excessif» des FAANG tout en conduisant elles-mêmes des initiatives qui pourraient conduire à une réduction de la compétition sur le marché?

Entre assainir les entreprises zombies et lutter contre le pouvoir excessif
des géants de la digitalisation, le premier est le plus pressant à gérer.

Pour revenir sur un plan sanitaire, un fameux adage veut qu’il faille savoir choisir entre la peste et le choléra; en d’autres termes, confronté à deux maux, il faut savoir choisir le moindre.

Dans ce contexte, entre le besoin d’assainir les entreprises zombies et la lutte contre le pouvoir excessif des géants de la digitalisation, le premier est certainement le plus pressant à gérer.

L’Etat aura, à n’en pas douter, un rôle majeur à jouer dans cet environnement et ce pour plusieurs années. Certains ne sont pas loin de penser que le retour de l’Etat stratège dans l’économie européenne, afin de traiter la question des entreprises zombies sur le Vieux Continent, est une chance pour ce dernier. J’avoue que cette théorie n’est pas exempte d’intérêt et qu’elle mérite de s’y intéresser.  Sous certaines conditions, l’économie et l’investisseur pourraient même gagner à l’émergence de sociétés beaucoup plus solides financièrement, quitte à faire quelques entraves au combat contre le risque de monopolisation de l’économie, au moins dans un premier temps.

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