Le dieu dollar a-t-il du plomb dans l’aile?

François Savary, Prime Partners

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Donald Trump ne pourra pas invoquer le dollar comme l’expression de son succès à avoir rendu à l’Amérique sa grandeur passée.

Donald Trump a construit son succès électoral de 2016 sur un slogan devenu fameux: make America great again! Les événements récents tant sur le front de la gestion de la crise du COVID-19 que sur celui des manifestations antiracistes doivent faire réfléchir sur l’atteinte de l’objectif! Rarement un mandat présidentiel n’aura été aussi chaotique et l’Amérique aussi clivée qu’aujourd’hui. C’est peut-être la conception de D. Trump de la grandeur retrouvée pour les Etats-Unis, j’avoue que je suis plutôt atterré par le spectacle - le mot n’est pas trop fort -offert par l’administration Trump.

Au-delà de ces éléments dont j’assume la subjectivité, on peut essayer de regarder des faits concrets pour jauger de l’appréciation que les marchés ont de la présidence Trump. A cet égard, le billet vert peut être un très bon étalon. Penchons-nous donc sur le cours de ce dernier au mois de janvier 2016, date de la prise de fonction de l’administration actuelle et l’on constate que le cours euro/dollar se situait aux alentours de 1,05. Si l’on observe le cours actuel de 1,13, on peut légitimement dire que la devise de l’Oncle Sam n’affiche pas, pour le moins, une appréciation des plus élogieuses de la marche à la grandeur retrouvée dont D. Trump s’est fait le chantre.

Le changement de cap radical de la politique monétaire américaine
a sensiblement réduit l’attrait de rémunération du dollar.

Certes, le niveau de 1,13 actuel est sensiblement inférieur au plafond de 1,25, observé au premier trimestre 2018. On pourra donc rétorquer que la hausse de la devise américaine contre euro depuis deux ans est la preuve que la mise en œuvre du programme trumpien - après le délai incompressible lié au vote des mesures dont la «célèbre» baisse des impôts - a fini par sanctionner la grandeur retrouvée de l’Amérique. Dont acte, même si je ne suis pas convaincu au regard de la tendance qui reste négative sur le billet vert depuis quatre. En outre, je suis parfaitement conscient que le cours euro/dollar n’offre qu’une vue partielle du comportement plus général de la devise américaine sur le marché des changes. Je vous laisse observer l’évolution de l’indice du dollar et vous constaterez que la situation décrite ci-dessus s’applique pleinement.

Mais revenons à l’euro/dollar, qui affiche des signes de faiblesse depuis quelques semaines. Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce mouvement. Ponctuellement, le fait que la gestion de la crise du COVID-19 se passe mieux que les pires prédictions énoncées en mars est certainement un facteur qui a réduit le statut de valeur refuge du billet vert; de la même manière, le changement de cap radical de la politique monétaire américaine a sensiblement réduit l’attrait de rémunération du dollar, d’autant plus que J. Powell a confirmé, récemment encore, qu’un retour à un cycle de hausse des taux n’est pas «pour demain»! A cet égard, la détérioration massive des finances publiques américaines, que la baisse des impôts de début de mandat avait déjà favorisé avant la crise du COVID-19, devient un vrai talon d’Achille pour la monnaie de l’Oncle Sam. Au-delà du fait que la tentation grandit au sein de la Fed de recourir à une politique de ciblage des taux longs – à l’image du Japon actuellement ou des USA post seconde guerre mondiale – il faut prendre en compte des développements européens qui ne sont pas insignifiants pour le moyen terme. 

Au-delà des discussions il y a des faits concrets:
il faudra payer la relance économique sur le Vieux Continent.

Il y a d’abord le changement «radical» de doxa d’Angela Merkel, qui de mère la rigueur pendant des années a pris la mesure du défi posé par la crise économique actuelle pour devenir un soutien de la relance budgétaire d’une part et de la marche vers une mutualisation (partielle) de la dette de la zone euro de l’autre. Quel aggiornamento en quelques semaines! Et c’est sans compter que le très intransigeant Wolfgang Schauble, prêt en son temps à «expulser» la Grèce de la zone euro, semble lui aussi converti aux vertus de la relance et de l’Europe fiscale. Un tournant pour la devise du Vieux Continent?

A chacun son opinion mais je pense que l’on n’en est pas loin. Là encore, les avis peuvent diverger mais au-delà des discussions il y a des faits concrets: il faudra payer la relance économique sur le Vieux Continent. Or, la zone euro a passé les dernières années à accumuler des excédents des comptes courants, qui vont fondre comme neige au soleil au cours des prochains trimestres, et elle a largement financé les excès de prodigalités de l’Oncle Sam.

On le voit, la perspective d’une zone euro renforcée par une forme d’union fiscale et de la réduction du recyclage du l’épargne européenne pour financer l’Amérique n’est pas anodine! Ajoutons-y le fait que les Chinois ne semblent guère tentés par le soutien au financement des déficits US, dans un climat de tension des relations bilatérales et que les «économies pétrolières» sont confrontées à des pertes de revenus gigantesques pour constater que les développements probables sur le flux de capitaux n’apparaissent guère en faveur d’une revalorisation du billet vert. Last but not least, nous entrons dans la phase d’accélération de la campagne électorale pour la présidentielle américaine de novembre et cette joute laisse présager de bien des incertitudes!

En conclusion, vous l’aurez compris, nous avons une attitude réservée sur la devise américaine pour les prochains mois et nous pensons que Donald Trump ne pourra pas invoquer le dollar comme l’expression de son succès à rendre l’Amérique grande à nouveau au cours son mandat. Au demeurant a-t-il beaucoup d’arguments? Les électeurs américains jugeront!

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