Les cryptomonnaies: une technologie au service de la criminalité?

Leon Curti, Digital Asset Solutions AG

2 minutes de lecture

Partie 1. L’univers crypto est l’objet de bien des fantasmes. Blanchiment, terrorisme, Dark Web? Petit essai de démystification.

©Keystone

 

«La bourse russe sanctionnée reçoit 20 milliards de dollars américains en cryptomonnaies». «Le Hamas reçoit plus de 130 millions de dollars de dons en cryptomonnaies». «Le bitcoin est la monnaie préférée des criminels».

De tels titres trouvent régulièrement leur chemin dans les médias traditionnels. Même les sénateurs américains se laissent guider dans leurs propositions législatives par de telles fausses idées sur l'utilisation criminelle des actifs numériques basés sur la blockchain.

Mystère, spéculations, fantasmes. Dans une série en trois parties, nous démystifions quelques légendes à la peau dure.

Des erreurs massives

Un examen plus attentif des faits qui se cachent derrière les gros titres révèle généralement des erreurs massives dans l'analyse des transferts d'argent criminels.

Les cryptomonnaies comme le bitcoin sont toutes basées sur la technologie de la chaîne de blocs. Il s'agit d'un grand livre numérique décentralisé, accessible au public, qui documente chaque transaction.

Il est ainsi possible de savoir immédiatement quelles adresses sont liées à un acte criminel. Si un groupe sanctionné publie un lien de donation pour des cryptomonnaies, il n'est pas seulement possible de voir combien d'argent a été donné par ce biais. Les autorités peuvent également voir exactement quelles adresses - qui peuvent être indirectement liées à des personnes - ont fait un don ou ont profité de l'action. Ces possibilités sont révolutionnaires et inimaginables dans le monde financier traditionnel.

Remettre en question les gros titres

Le suivi de ces transactions permet à chacun de vérifier les chiffres des gros titres. L'exemple du Hamas cité plus haut, sur lequel la sénatrice américaine Elizabeth Warren et plus de 100 de ses collègues du Congrès se sont basés pour écrire une lettre d'avertissement à la Maison Blanche, surestimait par exemple les vrais chiffres de presque tout le montant.

«Entre août 2021 et juin dernier, [le Hamas et le Jihad islamique en Palestine] ont collecté plus de 130 millions de dollars en cryptomonnaies et se sont transférés des millions entre eux. [...] Compte tenu de la menace claire et actuelle que représente le financement de ces organisations militantes et d'autres, nous demandons à l'administration de fournir plus de détails sur son plan visant à empêcher l'utilisation de cryptomonnaies pour financer le terrorisme».

En fait, moins de 450’000 dollars de transferts cryptographiques étaient liés à l'organisation. Ce n'est pas un hasard si le Hamas a annoncé l'arrêt des dons cryptographiques en avril 2023. Le groupe a invoqué le manque de confidentialité et la trop grande traçabilité comme raisons. Le but était d'assurer la sécurité des donateurs dans la perspective d'un renforcement des mesures de poursuite pénale. Au cours des mois précédents, la plus grande bourse de cryptographie, Binance, avait gelé plus de 190 comptes liés à l'organisation.

Un vieux préjugé

En fait, la stigmatisation autour des cryptomonnaies remonte aux débuts du bitcoin. A l'époque, il n'existait pas de places de marché réglementées ni d'outils d'analyse sophistiqués. Lorsque la place de marché illégale sur Internet «Silk Road» a connu un essor rapide entre 2011 et 2013, le bitcoin a été de plus en plus utilisé comme moyen de paiement. Suite à la condamnation de son fondateur Ross Ulbricht, le gouvernement américain a confisqué des milliards en bitcoin.

Mais les criminels ont massivement sous-estimé la transparence de la blockchain. Des années plus tard, les autorités de poursuite pénale pouvaient encore suivre les flux d'argent via la place de marché. Et les faits sont souvent sans équivoque. Cela a conduit à plus de 100 condamnations en lien avec Silk Road. Une part importante de ces cas a été étayée par des analyses de la blockchain effectuées par le ministère de la Justice.


Premier volet d’une série de trois articles. 
Partie 2: «Seule une fraction du volume en bitcoin est détournée à des fins illégales»
Partie 3: «L’Internet aussi fut accusé de servir en premier lieu des activités criminelles.»

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