Le marché des actions au Japon a figuré parmi les grands gagnants de la première moitié de cette année? Qu’est-il en deuxième partie d’année et que faut-il attendre pour 2025 ? Le point sur l’économie et les actions japonaises avec Daisuke Nomoto, Global Head of Japan Equities chez Columbia Threadneedle Investments, qui s’exprimait à l’occasion d’un récent passage en Suisse.
Les actions japonaises figurent parmi celles des pays développés qui ont enregistré les meilleures performances depuis le début de l'année (environ +16% depuis début janvier pour le Nikkei 225). Seules les valeurs technologiques américaines (+22% depuis début janvier) et les actions américaines (S&P 500) ont fait mieux jusqu'à présent. Comment expliquer l’attrait retrouvé des actions japonaises?
Beaucoup d’investisseurs ont commencé à se rendre compte à nouveau de l’attractivité du marché japonais qui réunit plusieurs avantages uniques. Nous avons rassemblé ces différents atouts à l’aide de ce que l’on appelle les 5 «lows». Premièrement, les bilans des entreprises se caractérisent par un faible niveau d’endettement. Cela leur offre une flexibilité lorsqu’elles souhaitent investir ou retourner du cash excédentaires à leurs actionnaires.
Deuxièmement, le recours au levier est faible au niveau des ménages. Les Japonais sont, en moyenne, peu exposés au marché des actions. Seuls 10 à 15% des actifs financiers investis par les ménages japonais sont placés sur le marché des actions, comparé à une part d’environ 20 à 25% en Europe, une proportion qui atteint même entre 40 et 50% aux Etats-Unis. En d’autres termes, il y a encore de l’argent à investir – et c’est d’autant plus le cas du fait qu’un programme d’investissement avantageux sur le plan fiscal appelé NISA (Nippon Individual Savings Account) qui existe au Japon rend plus attractif fiscalement les investissements par rapport à l’épargne.
«Je ne pense pas que les investisseurs devraient trop s’inquiéter à propos du yen en ce moment.»
Troisièmement, les attentes sont encore relativement basses au sujet du Japon. Pourtant, depuis les «Abenomics», différentes réformes ont été mises en place mais elles n’ont pas été vraiment reconnues. Quatrièmement, les taux d’intérêt restent faibles. Même s’ils devaient remonter, en partant de 0,25%, ils restent encore très inférieurs aux niveaux observés aux Etats-Unis. L’inflation sur une base ajustée est toujours négative sur la base des rendements des obligations à 10 ans au Japon – c’est un environnement tout à fait favorable pour les entreprises qui doivent se refinancer.
Cinquièmement, les niveaux de valorisation sont bas en comparaison de nombreux autres marchés. Environ 40% des actions affichent un ratio price-to-book inférieurs à 1, par exemple.
Le marché des actions au Japon est le seul qui peut se prévaloir de ces cinq caractéristiques, à savoir de ces 5 «lows» au sens positif. Le marché des actions japonais ne dépend pas non plus d’un seul secteur; il n’y a pas une seule thématique, telle que les semi-conducteurs ou l’intelligence artificielle (IA) qui mène l’essentiel du mouvement de hausse comme c’est le pour le marché des actions aux Etats-Unis actuellement. Enfin, même si le PIB japonais, dans son ensemble, ne croît pas à un rythme spectaculaire, les bénéfices des entreprises affichent néanmoins un taux de croissance parmi les plus élevés parmi les pays industrialisés au cours de la dernière décennie.
Quel rôle joue la force du yen – par rapport au dollar ou à l’euro – en ce qui concerne l'attractivité des actions japonaises?
Compte tenu du faible niveau des taux d’intérêt au Japon, les investisseurs spéculatifs tendent à créer des positions à la baisse ou « short » du yen contre le dollar, ce qui peut parfois se traduire par une forte volatilité des taux de change. Beaucoup d’entreprises ont calculé leur budget avec une fourchette de l’ordre de 140 à 145 yens par dollar comparé à environ 154 yens par dollar actuellement. Cela laisse une marge de manœuvre pour les entreprises au cas où le yen s’apprécierait à nouveau davantage face au dollar. C’est pourquoi je ne pense pas que les investisseurs devraient trop s’inquiéter à propos du yen en ce moment. En outre, même si le yen devait à nouveau s’apprécier, tout dépend de la rapidité avec laquelle cette appréciation se produirait. Par exemple, les entreprises japonaises pourraient réagir en modifiant les prix de leurs produits ou alors en modifiant leur base de production.
«Nous sommes très vite arrivés à la conclusion que la correction de début août était due à un débouclage d’opérations de carry trade spéculatives.»
Au début du mois d'août, on a assisté à une chute brutale des actions japonaises, suivi d’un rebond tout aussi rapide. Quelles leçons peut-on tirer de cette correction de courte durée?
Nous sommes très vite arrivés à la conclusion que cette correction était due à un débouclage d’opérations de carry trade spéculatives. Entre début juillet et début août, le cours de la devise japonaise est passée de 161 yens à environ 145 yens. Était-ce un mouvement si spectaculaire pour les entreprises? Non. En revanche, entre la mi-juillet et début août, l’indice Nikkei 225 avait chuté de près de 25%. Il était ainsi relativement évident que la chute du marché des actions avait été beaucoup trop marquée en comparaison du possible impact que l’appréciation du yen par rapport au dollar aurait pu avoir sur les bénéfices des entreprises japonaises. De plus, cette correction est survenue à un moment où le système financier, dans son ensemble, était stable. Nous avons ainsi plutôt utilisé cette situation pour tirer avantage de cette dislocation du marché et pour réallouer certains montants vers des titres dont le prix nous avait semblé être redevenu plus attractif.
De telles opportunités se présentent-elles souvent?
A ce sujet, il faut bien préciser que nous agissons avant tout en tant que «stock picker». Nous achetons des titres individuellement sur la base de leur valeur intrinsèque. Nous ne sommes pas des traders qui achetons et revendons des titres rapidement en fonction de l’évolution des marchés. Dans le cas présent, la vente massive survenue sur les marchés début août présentait toutes les caractéristiques d’une vente de titres de façon non discriminée. A ce moment, les titres de certaines sociétés apparaissaient tout d’un coup beaucoup plus avantageux compte tenu du fait que leur prix avait changé alors que le modèle d’affaires était resté inchangé.
Sur le plan politique, il y a eu plusieurs changements au Japon ces derniers mois. Est-ce un aspect dont il faut tenir compte en tant qu’investisseur étranger si l’on envisage d’investir dans des actions japonaises?
Effectivement, il y a eu plusieurs événements importants, dont la réélection récente de Ishiba Shigeru. Le premier ministre a été confirmé à son poste lors d’un vote du parlement même s’il devra gouverner sans majorité absolue. De ce point de vue là, on pourrait dire que la situation politique au Japon a été légèrement instable dernièrement. De plus, le parti au pouvoir devra négocier avec d’autres blocs.
«L’automation, par exemple, présente un excellent potentiel de développement. Le Japon est un pays avec une population âgée et les entreprises ont vraiment besoin de pouvoir améliorer leur productivité en permanence grâce à l’automation.»
Pour autant, quel que soit le parti au pouvoir et de ses soutiens, la question décisive qui se posera sera celle des résultats de sa politique au sujet de l’économie et en matière de sécurité nationale. Le gouvernement Ishiba semble se concentrer sur la hausse des salaires et le fait d’éviter le retour à une situation de déflation, ce qui est rassurant.
La déflation est-elle aujourd’hui encore un facteur d’inquiétude pour les Japonais?
Cela dépend à qui vous posez la question! Si vous le demandez à des personnes déjà à la retraite, cela ne sera pas leur souci principal. En revanche, si vous interrogez des personnes jeunes, des investisseurs ou des responsables d’entreprises, la réponse sera complètement opposée. Beaucoup de gens au Japon savent que la déflation est une mauvaise chose car aussi bien les entreprises, l’économie dans son ensemble ou le gouvernement ont besoin de croissance. Or, la déflation est l’exact opposé car elle incite aussi bien les acteurs privés que les ménages à attendre en espérant que les prix baisseront encore. Personne n’a envie d’agir lorsque la déflation se prolonge. Heureusement, le Japon est sorti de cette situation. La Chine se trouve maintenant un peu dans cette situation et il faut espérer qu’ils parviendront à en sortir plus rapidement que cela n’avait été le cas au Japon.
Si l’on aborde la question de l’investissement dans les actions japonaises sous forme sectorielle ou thématiques, quels domaines ou branches vous paraissent les plus intéressantes actuellement?
Une fois de plus, nous avons une approche d’investissement qui va du bas vers le haut, ou «bottom-up» comme l’appelle en anglais. Nous n’investissons pas dans des secteurs mais dans des entreprises. Cela, quelques domaines nous paraissent intéressants en ce moment en ce qui concerne les actions japonaises.
L’automation, par exemple, présente un excellent potentiel de développement. Le Japon est un pays avec une population âgée et les entreprises ont vraiment besoin de pouvoir améliorer leur productivité en permanence grâce à l’automation.
Le trafic des données, qui croît à une vitesse considérable en raison des développements en lien avec l’IA, l’internet des objets (IoT) ou la conduite autonome, est un autre exemple de thème intéressant. Entre 2020 et 2030, des estimations issues de la recherche considèrent que le volume des données transmises sera multiplié par 400 – cela impliquera d’énormes investissements dans les centres de données. Plusieurs sociétés japonaises sont bien positionnées pour tirer parti de cette évolution.
Dans le domaine de l’énergie, compte tenu de l’expansion significative attendue des centres de données, les entreprises qui fournissent des produits et des services à même d’augmenter l’efficience de la transmission du courant, seront bien positionnées pour tirer parti de cette opportunité de croissance exponentielle des données.
Dans le secteur automobile, les constructeurs japonais n’ont certes pas été forcément à la pointe dans les véhicules électriques – en revanche, plusieurs marques sont bien positionnées dans les voitures hybrides qui continuent à intéresser beaucoup de consommateurs à travers le monde.
Enfin, dans un tout autre domaine, certaines valeurs financières japonaises ne manquent pas non plus d’attrait car elles profiteront de la hausse des taux attendue. Jusqu’à présent, la politique monétaire de la Banque du Japon a été très accomodante et les experts s’attendent à un relèvement graduel de ses taux directeurs.