Le gouverneur de la Banque centrale d’Australie se signale par son humour noir. Malgré ses promesses, il ne cesse de relever ses taux.
Le mandat de Philip Lowe ne sera pas renouvelé en septembre. Le gouverneur de Banque centrale d'Australie a osé monter les taux d'intérêt, alors qu'il avait promis qu'ils allaient rester au plancher il y a 2 ans. Et ce, jusqu'en 2024.
Si l'on devait licencier tous les économistes qui se sont trompés une fois dans leurs prédictions, il n'y en aurait pas beaucoup en activité. Le problème de Philip Lowe, c'est qu'il est le gouverneur de la Reserve Bank of Australia (RBA).
Ma première réaction à l'annonce de son limogeage faite la semaine dernière a été d'être tour à tour surpris et choqué. Car enfin, tout le monde sait que la situation de l'économie mondiale a profondément changé entre 2021 et aujourd'hui. A l'époque, nous essayions de nous remettre tant bien que mal de la pandémie et ses vagues successives. Toutes les banques centrales se voulaient très rassurantes en matière de taux d'intérêt. L'éventualité d'une hausse était totalement écartée, parfois avec le genre d'humour cher à l'ancien président de la Fed Alan Greenspan.
Ainsi donc, l'actuel président de la Fed n'avait-il pas déclaré en juin 2020: «Nous ne pensons pas à une augmentation des taux. Nous ne pensons même pas à penser que nous pourrions les augmenter.» Et de clarifier cette pensée en 2021 par le même genre de prédiction que celle de Philip Lowe: les taux directeurs fixés par la Fed n'allaient pas augmenter avant 2023. La presse australienne s'était d'ailleurs fait l'écho de ce cadeau du ciel en titrant: «Argent gratuit pour une durée aussi lointaine que l'horizon».
La Fed allait pourtant commencer à monter son taux directeur en mars 2022. La RBA suivra en mai et la BCE en juillet de cette même année. C'est qu'entre-temps, les conséquences inflationnistes de la pandémie et de la guerre en Ukraine avaient commencé à se faire sentir, incitant les banques centrales à opérer un virage à 180 degrés de leur politique monétaire. Le graphique ci-dessous est on ne peut plus clair: les taux d'intérêt directeur aux Etats-Unis et au Royaume-Unis sont montés dans une proportion supérieure à leur équivalent en Australie, qui a lui augmenté de 4%, comme dans la zone euro.
Certes, M. Lowe a encore des progrès à faire en matière de communication: quand le Sénat australien lui demande de s'expliquer sur les onze hausses de taux directeurs opérées par la RBA sur les 15 derniers mois, alors que son gouverneur avait déclaré en 2021 que le taux d'intérêt directeur n'allait pas bouger avant 2024, il aurait pu assurément trouver une meilleure réponse que de dire «je suis désolé que les gens aient écouté ce que nous avions dit à l'époque et agi en conséquence».
Entre naïveté et humour noir, j'aimerais croire que le gouverneur a opté pour la deuxième possibilité, avec cette déclaration. Mais j'en doute, car sur le fond, il a raison de souligner qu'une prévision que le taux directeur restera à son plancher de 0,5% pour les 3 prochaines années n'est pas sans conséquences économiques: quelle splendide incitation à s'endetter à vil coût!
La preuve vient de la comparaison de la dette des ménages en Australie. Déjà bien plus élevée que celle des Etats-Unis, la dette des ménages australiens a encore augmenté après le blanc-seing sur les taux de Philip Lowe, pour atteindre le niveau stratosphérique de 190% du revenu disponible, contre un peu plus de 100% aux Etats-Unis.
Le poids des mots, le choc des photos: ce slogan adopté par un célèbre magazine hebdomadaire français lui a valu un franc succès dans les années 1990. Quand bien même il a été moins violent qu'aux Etats-Unis, le choc des taux en Australie a valu au président de sa banque centrale d'être limogé. La logique voudrait qu'il en soit de même pour le président de la Fed Jerome Powell, ainsi que pour Andrew Bailey à la Banque d'Angleterre ou Christine Lagarde à la Banque centrale européenne, attendu que les durcissements de la politique monétaire voulus par ces banques centrales ont été au moins aussi importants qu'en Australie. Et que quelques mois avant que les taux prennent l'ascenseur, les dirigeants de ces banques centrales avaient juré les grands dieux que leurs taux allaient rester encore longtemps à leur plancher.
Philip Lowe paye un lourd tribut pour son humour tout aussi lourd exprimé au Sénat australien. Mais de là à ce que ce dernier jette par-dessus bord l'indépendance que l'on se doit de garantir à toute banque centrale pour qu'elle puisse prendre ses décisions - certes impopulaires lorsqu'il s'agit de monter drastiquement les taux -, il y a un pas qui a été franchi de manière choquante.