Le boom de l’or rapporte aux marchands des recettes «historiques»

Leila Fernandez, AWP

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En Suisse romande, les marchands d’or se frottent les mains et parlent d’une «année historique». Leur clientèle a grimpé en flèche, cherchant autant à vendre qu’à acheter le précieux métal.

Le prix de l’or s’est envolé cette année, prenant plus de 30% et frôlant le palier record de 2800 dollars l’once (environ 31,1 grammes). En Suisse romande, les marchands d’or se frottent les mains et parlent d’une «année historique». Leur clientèle a grimpé en flèche, cherchant autant à vendre qu’à acheter le précieux métal.

«Au cours de l’année, nous avons enregistré des pics de fréquentation dans l’ensemble de nos 35 magasins. Ces dernières semaines, on constate que le nombre de personnes venant pour vendre de l’or a carrément triplé», relate à l’agence de presse AWP Eve Conesa, responsable marketing chez The Swiss Collector.

«Durant la période du Covid, les ventes et achats allaient bon train mais, ces derniers mois, l’activité a été bousculée comme jamais, l’or étant considérée comme une valeur refuge», se réjouit-elle, en ajoutant que les revenus 2024 de la société seront «historiques».

Même constat chez Gold Service, entreprise qui compte une dizaine de boutiques en Suisse: «Nos clients sont 20 à 30% plus nombreux, voire plus ces dernières semaines», note son directeur général, Yann Bouillonnec.

«La tendance est à la vente car les personnes qui ont acheté de l’or souhaitent concrétiser leurs profits et c’est le bon moment. Les achats d’or sont toutefois également conséquents car il s’agit d’un investissement à long terme. S’il y a toujours eu des hauts et des bas, en 30 ans le cours a continuellement progressé», poursuit-il.

Ces deux spécialistes de l’achat et la revente observent que leur clientèle à le profil de «Monsieur et Madame Tout-le-monde» mais peut aussi être parfois très fortunée. Si elle vend en majorité des bijoux - hérités, passés de mode ou cassés - l’or d’investissement, soit les lingots, lingotins ou pièces, n’est pas en reste avec des ventes qui vont de quelques grammes à plusieurs kilos.

«Il faut savoir que 100 grammes d’or rapportent désormais plus de 5500 francs au vendeur, en fonction du caratage», relève M. Bouillonnec.

Chez Degussa Goldhandel, un des plus importants commerçant d’or européen, qui achète et vend essentiellement des lingots et des monnaies, le regain d’intérêt des clients est également spectaculaire avec «50% de clients de plus qu’avant l’été «, selon le directeur général de cette division helvétique du groupe Degussa, Andreas Hablützel, qui parle lui aussi d’»année record», sans vouloir donner de chiffres.

La filiale avait fait part de revenus à hauteur de 2 milliards de francs en 2017.

Des stocks «à sec»

«Nous vendons beaucoup actuellement, nous achetons les lingots d’or hérités mais les clients veulent aussi de nouveaux lingots. L’approvisionnement a été un peu compliqué cet été mais nos stocks peuvent désormais supporter la demande», affirme M. Hablützel. Il souligne que son entreprise a l’avantage de vendre ses propres lingots, fournis «sans problème»  par les fonderies avec lesquelles elle collabore.

Du côté de The Swiss Collector, les stocks d’or sont eux à sec en ce moment en raison du boom sans précédent. «Nous sommes à flux tendus», déclare Mme Conesa, l’entreprise étant dans l’attente de nouvelles livraisons des fonderies.

Le patron de Gold Service, fourni par la raffinerie Argor Heraeus, parle lui de délais ponctuels dans l’approvisionnement, tout en précisant n’être «en tout cas pas dans la pénurie». «Nous avons peu de stocks, essentiellement pour des raisons de sécurité», révèle-t-il.

Des prix fluctuants

Si la tendance est à la hausse, le cours de l’or ne cesse de fluctuer. Ainsi, les détaillants doivent adapter leur prix au minimum une fois par jour, voire plusieurs fois dans la même journée, comme c’est le cas pour Degussa qui se base sur le prix en temps réel. «Nous actualisons nos tarifs toute les cinq minutes grâces à un système automatisé», raconte son patron.

A Londres, la London Bullion Market Association (LBMA) établit également un prix moyen fixe deux fois par jour, sur lequel se basent les commerçants du monde entier. Au cours de l’or, ceux-ci ajoutent le tarif de leurs services, prisés comme jamais auparavant.

«Nous avons pris le relais des banques qui favorisent les placements au détriment de la vente physique de l’or. Nous avons l’expertise pour évaluer l’or et conseiller nos clients», fait valoir M. Bouillonnec.

Pour l’année qui s’annonce, l’âge d’or du secteur semble vouer à se prolonger, selon ces spécialistes qui augurent d’un prix du métal jaune qui continuera à augmenter, même si de manière moins marquée. «Les clients ne manqueront donc pas», prédit Mme Conesa qui rappelle qu’»en en Suisse, il y a une culture de l’investissement dans l’or».

Sans compter les bijoux, 22% des Suisse possèdent de l’or, selon une étude récente de l’Université de Saint-Gall et du négociant en métaux précieux Philoro. Cela équivaut à 200 tonnes d’or sous forme de pièces et de lingots pour une valeur de 14,9 milliards de francs, soit 100,83 grammes d’or (environ 7521 francs) par habitant du pays.

 

Le cours du métal jaune pourrait se surpasser l’an prochain

Le cours de l’or devrait continuer à la hausse l’an prochain, pouvant même créer la surprise tout comme il l’a fait en 2024, affirment des analystes. Ils mettent en avant les incertitudes géopolitiques mondiales ainsi que l’imprévisibilité des décisions qui seront prises au sein du gouvernement Trump aux Etats-Unis.
«Nous entrons dans une ère plus imprévisible, parce qu’(aux Etats-Unis) nous aurons un gouvernement en place qui embrasse des idées radicales et n’a pas peur de la perturbation «, relève le stratège fx senior de Pictet Wealth Management, Michael Hart, dans un entretien avec l’agence de presse AWP.
«Ce sont donc des arguments qui plaident en faveur de la demande en or, qui pourrait surprendre à la hausse», ajoute-t-il.
L’expert signale toutefois qu’au vu de sa personnalité imprédictible, Donald Trump pourrait tout aussi bien déconcerter en se révélant «très conciliant» après avoir voulu faire les grands titres en plaidant pour des déportations massives d’immigrants, ce qui lui a permis d’obtenir des victoires faciles.

3150 dollars l’once
Mais le futur président devrait en toute logique «pousser assez fort» sa politique d’immigration et les tarifs douaniers alors que la question du budget reste ouverte, selon M. Hart qui s’attend à ce que l’or atteigne «jusqu’à 2800, voire 3000 dollars l’once (environ 31,1 grammes)» en 2025.
Norman Villamin, chef stratégiste d’UBP, fait une prévision identique: «l’or devrait enregistrer une hausse significative, à 3000 dollars l’once, sous l’effet des incertitudes géopolitiques et de la forte demande de l’or physique des banques centrales et des investisseurs individuels».
Chez Goldman Sachs, les analystes se prononcent également en faveur de prix records l’an prochain. Dans leur scénario le plus haussier, ils voient même le métal jaune dépasser les 3000 dollars, à 3150 dollars l’once d’ici décembre 2025, soit une hausse d’environ 19% par rapport aux niveaux actuels.
Un tel envol pourrait être alimenté par une demande accrue de la part des banques centrales mondiales, associée à des préoccupations concernant la viabilité budgétaire des États-Unis et les guerres commerciales, selon eux.
Hormis une demande toujours positive émanant des banques centrales des pays émergents ainsi que des détaillants et investisseurs, la flambée des prix sur le marché aux troisième et quatrième semestres de cette année a également été le fait des ETF, soit les fonds qui achètent de l’or à des fins spéculatives, fait remarquer M. Hart. «Lorsque le marché est dynamique, il s’emballe», constate-t-il.
Et si le cours fluctue constamment, «c’est qu’il est très sensible aux événements géopolitiques», ajoute l’économiste, tout en assurant que «les achats des banques centrales vont continuer de soutenir structurellement la demande».

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