Le «zéro émission nette»: chimère ou réalité?

Ophélie Mortier, DPAM

3 minutes de lecture

La sauvegarde de la planète passe par l’union sacrée des gouvernements, des entreprises et des utilisateurs.

La COP26 mène la course vers le «zéro émission nette». Son objectif est louable, mais les sceptiques se demandent s’il est réalisable. Les raisons de la lenteur de la prise de conscience de l’urgence climatique sont nombreuses et celle du déploiement des énergies renouvelables y est certainement pour beaucoup. L’exécution des projets environnementaux prend trop de temps en raison d’obstacles bureaucratiques. Conscient de cette lourdeur, le ministre italien de la transition écologique a fait part de son ambition de réduire le temps de mise en œuvre des projets d’énergies renouvelables d’une moyenne de 1’200 jours à 200 jours! Autre exemple, c’est l’indécision du gouvernement français quant à la question de la responsabilité de la délivrance des permis de construire qui a paralysé tous les projets d’énergie éolienne. L’amélioration de cet environnement bureaucratique ainsi qu’une baisse importante de la consommation auront sans aucun doute un effet positif, quoiqu’indirect, sur les émissions de carbone. Il convient de s’y attaquer par une voie plus directe. 

Prendre le carbone «par les cornes»

Pour atteindre la neutralité carbone, trois approches sont possibles: 1. Réduire la consommation d’énergie d’origine fossile; 2. Limiter les émissions en optant pour des modes de transport plus écologiques; 3. Etendre les programmes de captage et de stockage du carbone. Pour être efficace, la réforme de l’industrie énergétique passe par les énergies renouvelables. Bien que leur part à la production mondiale d’électricité soit passée de 25% en 2000 à 37% en 2019, elle reste encore loin de l’objectif de 80% à atteindre d’ici 2050. De toute évidence, des efforts supplémentaires sont nécessaires. L'énergie hydraulique et l'énergie éolienne ont déjà été déployées à grande échelle. Le solaire pourrait être la prochaine option: ses coûts ayant fortement baissé, elle pourrait devenir la source d’énergie la moins onéreuse. 

Un hydrogène à fort potentiel

L’hydrogène se présente également comme une alternative, d’autant plus que son processus de raffinage s’est nettement amélioré. Plusieurs multinationales paraissent d’ailleurs convaincues de son potentiel. Ainsi, TotalEnergies, Air Liquide et Vinci se sont récemment associés à d’autres grands acteurs industriels pour créer un fonds dédié au développement d'infrastructures d'hydrogène décarboné (son objectif est d’atteindre 1,5 milliard d’euros). Grâce à cette initiative, ils espèrent accélérer la croissance de l'écosystème de l'hydrogène. 

L’hydrogène peut contribuer à la décarbonisation des bâtiments ou servir de carburant propre pour les transports.

Ce dernier recèle également un potentiel d’application intéressant dans l’aéronautique, ainsi que pour toute une palette d’autres utilisations. Par exemple, étant idéal pour le stockage à long terme de grandes quantités d’énergie, l’hydrogène constitue une bonne solution de stockage saisonnier pour les systèmes électriques. Il peut en outre contribuer à la décarbonisation des bâtiments (installation de pompes à chaleur, électrification du chauffage) ou servir de carburant propre pour les transports (réservoirs d'hydrogène comprimé dans les véhicules utilisant une pile à combustible pour convertir l'énergie stockée dans l'hydrogène en énergie électrique). Enfin, dans les secteurs difficiles à décarboniser, comme l'acier, le ciment et les engrais, l’hydrogène peut être utilisé comme matière première. En dépit de ce potentiel, le développement à grande échelle de l'hydrogène se heurte à un manque d'intérêt et il est freiné par le coût comparativement faible des autres énergies renouvelables. Pour terminer une note plus optimiste, relevons le fait que le prix de l’hydrogène vert devrait parvenir à s’aligner avec celui de l'hydrogène bleu ou gris d'ici 2030. Aux Etats-Unis, son coût devrait se situer entre 1,07 à 1,28 dollar/kg (1).

Des solutions côté véhicules électriques et biocarburants

La réduction des émissions de carbone passe également par le choix de moyens de transport plus écologiques, et notamment les véhicules électriques (VE). En Europe, ces derniers devraient fortement accroître leur part de marché dans un avenir proche. En Chine, la croissance de leurs ventes, qui est importante, est essentiellement soutenue par la réglementation. L’Inde a également pris des mesures pour promouvoir leur pénétration. En dépit de ces perspectives prometteuses, plusieurs problèmes doivent encore être résolus. Le plus grand défi reste la fabrication des batteries, l'origine de l'énergie qui sert à les alimenter et la taille des véhicules. 

En outre, il existe un risque réel de pénurie des ressources. Le nickel et le lithium, deux éléments clés des batteries des VE, devraient déjà être épuisés dès 2024. La recherche de solutions de recyclage ainsi que la gestion du cycle de vie des produits sont essentielles pour parvenir à une électrification réussie de la mobilité. Cependant, les VE ne sont pas la seule solution pour révolutionner le secteur des transports. Les biocarburants sont une autre option qui permettrait de remplacer le diesel et l'essence dans des secteurs comme l'aviation. Les biocarburants peuvent être produits à partir de cultures vivrières (première génération), mais cette solution est peu durable en raison de son impact sur l'utilisation des terres et de l'eau. Ils peuvent également provenir de matières premières telles que les déchets, le bois ou les graisses animales (deuxième génération). Enfin, ils peuvent être fabriqués à partir d'algues (troisième génération). Pourtant, tout comme l'hydrogène, l'utilisation des biocarburants reste limitée. Elle devrait néanmoins représenter 4% des carburants utilisés dans le transport au niveau mondial d'ici 2030 (2).

A long terme, la décarbonisation devrait avoir un effet déflationniste pour les consommateurs.
La taxe carbone: une clé?

La troisième approche en faveur de la réduction des émissions passe par le captage et le stockage du carbone (CSC). Bien que relativement controversé, le CSC reste le seul moyen de capter les émissions associées aux industries difficiles à décarboniser comme l'acier, le ciment et les produits chimiques. Pour maintenir la hausse de la température au-dessous de 2°C, les estimations des besoins en matière d'investissement varient, mais elles vont jusqu'à 2,5 trillions de dollars d'ici 2050. Actuellement, les programmes de captage et de stockage du carbone sont limités et leur mise en œuvre est lente. C’est la raison pour laquelle la tarification du carbone revient à l’ordre du jour et que la question de la mise en place de taxes transfrontalières et du potentiel d'un marché mondial du carbone vont devenir de plus en plus prégnants.

Tous pour une planète

Pour réussir la transition vers une économie à zéro émission de carbone, gouvernements, entreprises et utilisateurs finaux devront s’aligner. A long terme, la décarbonisation devrait avoir un effet déflationniste pour les consommateurs. Cependant, durant la phase de transition, il est possible que les coûts augmentent, tout comme la volatilité de certaines matières premières (la récente flambée du prix de l’électricité en est un bon exemple). 

Les consommateurs n’étant vraisemblablement pas disposés à payer une prime importante pour les «solutions vertes», les gouvernements devront intervenir pour faciliter la transition. Ainsi, l’industrie automobile qui a clairement opté pour les véhicules électriques bénéficie déjà d’incitations gouvernementales qui permettent de limiter le coût de l’option verte pour le consommateur final. Les services publics devront également trouver un moyen d’éviter de nouvelles flambées du prix de l’électricité à moyen terme. Par ailleurs, le prix du carbone devra nécessairement grimper afin d’encourager la décarbonisation des secteurs les plus énergivores. 

En fin compte, s’il paraît encore possible d’aller vers un avenir durable, il sera cependant nécessaire de jongler efficacement avec de nombreux facteurs. La liste des tâches à accomplir est encore longue. Reste à voir si la COP26 sera en mesure d’apporter des solutions pratiques. 

(1)  Morgan Stanley
(2)  Decarbonisation: The race to net zero, Morgan Stanley Research (October 21, 2019)

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