Le «gaming», grand gagnant de la pandémie

Petteri Pihlaja, Bruellan

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Dans les années 80, cette industrie était encore minuscule et axée sur les PC – donc réservée à un public très étroit, essentiellement masculin et jeune.

Le modèle d’affaires d'un éditeur de jeux ressemblait fort à celui d'un petit studio de cinéma: un titre à succès générait l’essentiel des bénéfices, finançant de fait les neuf autres échecs. Cette cyclicité de l'industrie rendait tout ralentissement conjoncturel majeur problématique pour la plupart des concepteurs et éditeurs de jeux.

Si le temps libre au quotidien pour se divertir est resté le même, et par nature limité, les possibilités sont, elles, devenues beaucoup plus nombreuses. La télévision et le cinéma dominaient durant les années 90, mais leur popularité n'a depuis cessé de décliner, à mesure que progressait l'activité en ligne. Le «gaming» en a clairement profité à de multiples égards, comme d’ailleurs les services de «streaming» tels que Netflix ou Disney plus. Depuis 20 ans, une transformation spectaculaire s’est ainsi opérée, faisant du «gaming» une composante plus diversifiée et stable de l’industrie du divertissement.

La récurrence dans les flux de revenus est un phénomène
quelque peu nouveau pour l'industrie du «gaming».

Aujourd'hui, le marché des jeux vidéo se divise en trois principaux segments, fonction du support utilisé: les ordinateurs personnels, les consoles de jeux et les mobiles. Ce dernier segment est le plus récent, rendu possible par la popularité croissante des «smartphones» et, étonnamment, aussi le plus rentable du fait de la relative facilité de développement et de l'augmentation des micropaiements. La récurrence dans les flux de revenus est un phénomène quelque peu nouveau pour l'industrie du «gaming», réduisant sa cyclicité tout en améliorant assez sensiblement sa profitabilité. Le modèle «free-to-play» est très populaire s’agissant des jeux sur téléphone: l'utilisateur peut télécharger l’application et y jouer gratuitement mais, pour réussir, il lui faut continuellement dépenser de petites sommes. La plupart des jeux actuels sur mobile déclinent ce modèle d’une façon ou d’une autre. Et même si tous les joueurs ne desserrent pas les cordons de la bourse, ceux qui le font dépensent beaucoup. Les jeux occasionnels sur mobiles présentent également d’autres avantages pour les concepteurs de jeux, puisque la base d'utilisateurs à laquelle ils s'adressent est bien plus importante que celle jouant sur PC ou console. Les jeux sur mobiles les plus populaires comptent souvent des centaines de millions d'utilisateurs mensuels actifs et génèrent des centaines de millions de dollars de revenus chaque année.

Les segments des PC et des consoles ont également mis l'accent sur la récurrence des revenus, mais d’une manière un peu différente. Les utilisateurs paient toujours le jeu en amont, environ 60 dollars par titre, mais les éditeurs visent la longévité de la franchise plutôt que de compter sur un versement unique. De nombreux jeux sont ainsi alimentés durant des années avec du contenu supplémentaire téléchargeable, tandis qu’un abonnement mensuel similaire aux services de «streaming» peut également être proposé. La franchise Grand Theft Auto de Take Two Interactive est l'exemple le plus parlant : plus de 100 millions d'exemplaires du jeu ont été vendus depuis sa sortie en 2013. Il a fait l'objet de multiples mises à jour au fil des années et figure toujours parmi les dix titres les plus distribués dans le monde. Le revenu total accumulé s’approcherait de 10 milliards de dollars début 2021.

Les joueurs les plus populaires gagnent déjà des millions par année
et la stigmatisation sociale du jeu en tant que perte de temps n'a plus cours.

Aujourd'hui, les médias interactifs éclipsent déjà l'industrie du cinéma, de nombreuses franchises générant des revenus supérieurs à ceux des films à plus gros succès. Les budgets de développement de jeux égalent déjà ceux des productions cinématographiques les plus chères; il n'est pas rare de voir un budget dépassant 200 millions de dollars pour un jeu de niveau AAA produit sur plusieurs années. L'engagement des joueurs est très important pour maximiser le retour sur investissement et les concepteurs multiplient les initiatives pour accroître la durée de vie d’une franchise. Activision, par exemple, promeut fortement le sport en ligne, consistant en des ligues compétitives où les meilleurs joueurs peuvent gagner d’importants prix en espèces. Cette activité connaît un essor très rapide et on observe même des propriétaires de franchises sportives traditionnelles investir dans leurs propres équipes. 

La diffusion en direct est un autre moteur pour les concepteurs de jeux vidéo. Des plateformes de «streaming» tierces, telles que Twitch d'Amazon, permettent aux joueurs compétitifs de retransmettre leurs performances et recevoir des petits dons. Les joueurs les plus populaires gagnent déjà des millions par année et la stigmatisation sociale du jeu en tant que perte de temps n'a plus cours. Cela montre à quel point l'industrie du «gaming» a gagné en diversité et en popularité par rapport aux autres moyens de divertissement. Les périodes de confinement tout autour du globe en ont encore accru la popularité, mesurée aussi bien en nombre de nouveaux joueurs qu’en temps consacré à cette activité. De telles progressions ne seront sans doute pas réitérées en 2021, mais vu la mue de l'industrie et sa nature désormais plus pérenne, les taux de croissance et de rentabilité sont appelés à rester élevés.

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