L'analyse bancaire ne se résume pas à un seul ratio

Felipe Villarroel, TwentyFour AM (Boutique Vontobel)

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Le système bancaire mondial, y compris en Europe, reste bien capitalisé et la qualité du crédit continue de s'améliorer.

©Keystone

 

Comme nous et beaucoup d'autres l'avons affirmé au fil des ans, le secteur bancaire mondial a connu un vaste processus d'amélioration de la qualité du crédit, déclenché par la crise bancaire de 2008. Des progrès ont été réalisés dans de nombreux domaines. Et même avec ces améliorations, des doutes sur la faiblesse du secteur bancaire européen continuent parfois à faire la une, avec des arguments tels que l'opposition des banques à la dernière étape de la mise en œuvre de Bâle III ou leur degré de capitalisation, en utilisant l'événement du Credit Suisse comme exemple d'un faible ratio capitaux propres/actifs.

Nous ne sommes pas d'accord avec ces conclusions pour les raisons suivantes:

Tout d'abord, bien que les banques recherchent un rendement approprié des capitaux propres comme toute autre entreprise privée, il convient de noter que: a) elles sont très différentes des entreprises non financières, et b) leur volonté et leur capacité à prêter ont un impact majeur sur la croissance du produit intérieur brut (PIB). La plupart des activités économiques ont recours à une certaine forme d'endettement, généralement facilité par une banque. Pour que les prêts soient rentables ou, en d'autres termes, pour que les banques atteignent un certain niveau de rendement des capitaux propres, elles bénéficient d’un effet de levier beaucoup plus important que les sociétés non financières. Il est facile de démontrer que, par exemple, si l'on crée une banque uniquement avec des fonds propres pour accorder des prêts hypothécaires à 5%, le rendement des capitaux propres sera de 5% moins les salaires, les loyers, les factures et les autres dépenses. Cette activité économique produirait un faible rendement des capitaux propres et par le secteur privé n’y adhèrerait, ce qui aurait des effets secondaires négatifs sur le PIB.

Si les banques ne sont pas en mesure de prêter de manière rentable, elles ne le feront tout simplement pas. 

Par conséquent, la logique suggère qu'il existe un niveau optimal d'effet de levier qui combine les risques systémiques d'un levier trop important avec la capacité des banques à obtenir un rendement des capitaux propres proportionnel. Il s'ensuit que toute augmentation des fonds propres du système bancaire n'apporterait pas d'avantage économique. Si les banques ne sont pas en mesure de prêter de manière rentable, elles ne le feront tout simplement pas. Cela aurait des conséquences négatives tangibles sur la croissance, en particulier dans les secteurs à forte intensité de capital tels que les infrastructures, les télécommunications et les services publics, avec un impact correspondant sur le chômage et la croissance potentielle de l'économie. Il n'est pas non plus évident que l'augmentation des capitaux réduise les coûts de financement globaux. Si les banques sont déficitaires parce qu'elles ne peuvent pas prêter de manière rentable et que la croissance économique en pâtit, nous doutons que les investisseurs fassent la queue pour leur fournir des fonds.

Deuxièmement, nous pensons que les banques en Europe et dans le monde n'ont pas de problème de capital. La mesure utilisée pour démontrer la supposée faible capitalisation du système est un calcul simpliste des capitaux propres sur les actifs, qui, dans le cas de l'Europe, culminerait à un peu plus de 5%. Le meilleur exemple pour montrer qu'il s'agit d'une mesure incomplète de la capacité d'une banque à rester solvable est celui de la Silicon Valley Bank (SVB). Dans ses états financiers du quatrième trimestre 2022, les derniers avant sa faillite, SVB affichait un ratio d'endettement de 7,96%. D'autres exemples pertinents sont Signature Bank et Credit Suisse, qui communiquaient des ratios de levier de respectivement 8,79% et 7,7%, au cours du même trimestre. Sur la même période, le chiffre de HSBC était de 5,8% et celui de Nationwide Building Society de 5,4%. Ce n'est pas sans raison que les régulateurs (et les marchés) sont parvenus à la conclusion que plusieurs ratios et indicateurs, ainsi qu'une analyse qualitative, doivent être pris en compte lors de l'évaluation de la santé financière d'une banque. Les mesures des fonds propres par rapport aux actifs, telles que les ratios de levier, n’en sont qu’une partie.

Les régulateurs et les marchés s'intéressent également aux mesures de capital ajusté au risque, telles que le Common Equity Tier 1 (CET1), qui, au lieu d'utiliser le total des actifs du bilan, utilisent un chiffre corrigé dans le but de refléter le degré de risque des actifs du bilan. Il s'agit d'une bonne idée, tout à fait logique, car elle permet de comparer des banques ayant des modèles d'entreprise différents. Si une banque est spécialisée dans les prêts hypothécaires à taux préférentiel et que l'autre prête à des start-up, il est évident qu'il faut ajuster la qualité de l'actif avant de les comparer. Tant que les informations sur le mode de calcul sont disponibles, les ratios CET1 et les autres mesures basées sur le risque constituent un élément utile de la boîte à outils des régulateurs et des investisseurs pour l'analyse des banques. La dernière étape de la mise en œuvre de Bâle III, qui implique une révision des calculs des actifs pondérés en fonction des risques, devrait se traduire par des exigences plus élevées en matière de fonds propres.

Nous partageons les observations de certains comités de direction de banques selon lesquels l'augmentation des niveaux de capital des grandes banques ne constitue pas nécessairement un avantage net pour l'économie, étant donné que les prêts souffriraient uniquement pour que les banques déjà bien capitalisées le soient encore plus - pour rappeler encore une fois que l'avantage marginal de capitaux supplémentaires diminue au fur et à mesure que leur montant s'accroît. Les problèmes de SVB et de Credit Suisse l'année dernière n'avaient pas grand-chose à voir avec le capital. SVB avait une forte concentration de déposants et d'importantes pertes non réalisées sur les obligations d'État en raison d’une mauvaise politique de couverture. Crédit Suisse avait quant à elle connu une crise de confiance après un certain nombre de scandales liés à la gestion des risques, qui ont abouti à une fuite des dépôts et à la décision discutable du régulateur de déprécier les AT1 tout en vendant la banque à UBS. Il n'y a aucune garantie que si SVB et Credit Suisse avaient disposé de plus de capital, leur avenir aurait été différent.

Nous restons convaincus que le système bancaire mondial, y compris l'Europe, reste bien capitalisé et que la qualité du crédit continue de s'améliorer. En témoignent les nombreuses révisions à la hausse des notations du secteur au cours des derniers trimestres (et des dernières années), les bons résultats des tests de résistance réglementaires et l'absence de contagion lorsque des banques individuelles, qui ont en fait pris de mauvaises décisions, rencontrent de graves difficultés. Nous restons calmes, mais vigilants, et poursuivons notre route.

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