La vertu a changé de camp

Yves Hulmann

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La confiance des marchés envers les Etats se mesure désormais à l’aune de la générosité de leurs plans de relance, non plus à celle de leur rigueur.

Changement de décennie, changement de paradigme. Parmi les multiples présentations consacrées actuellement aux perspectives d’investissement pour 2021, deux thèmes sont incontournables en cette fin d’année. D’une part, les scénarios concernant l’arrivée et l’adoption des futurs vaccins et leur impact sur la reprise. D’autre part, l’ampleur des politiques monétaires et – surtout – budgétaires mises en place par les banques centrales et les Etats. Après le plan de relance de 130 milliards communiqué par l’Allemagne en juin, la France a annoncé en septembre son programme «France Relance» à hauteur de 100 milliards d’euros, tandis que les contours des mesures de soutien mises en place aux Etats-Unis par la nouvelle administration démocrate se précisent. A cet égard, l’ère post-COVID sera caractérisée par un changement de paradigme spectaculaire par rapport aux années qui ont suivi la crise financière globale.

Auparavant, il y avait certes eu quelques tentatives menées par certaines organisations, à l’exemple de l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE) qui visaient à encourager les Etats à mieux coordonner leurs efforts en matière de politique budgétaire. En 2016, l’économiste en chef de l’OCDE avait encouragé les Etats à agir, soulignant que les taux d’intérêt très faibles ouvraient une fenêtre d’opportunité à saisir pour déployer des initiatives sur le plan budgétaire. L’appel de l’OCDE avait alors reçu un accueil pour le moins tiède outre-Rhin. A cet égard, 2020 est l’exact contraire de la norme dominante qui prévalait au sortir de la crise financière globale, alors que l’Allemagne et quelques autres pays du nord de l’Europe ne cessaient d’appeler la Grèce à faire preuve de plus de rigueur.

Aux Etats-Unis, les attentes ont été quelque peu revues à la baisse
suite à la victoire des démocrates plus serrée qu’anticipé.

Aujourd’hui, fini le fossé nord-sud. Quelle que soit l’ampleur des programmes budgétaires envisagés, investisseurs et économistes prêchent majoritairement en faveur des plans de relance. Bref, en l’espace de moins d’une décennie, la vertu semble avoir définitivement changé de camp.

Une étude publiée à la mi-novembre par S&P Global Ratings va dans le même sens que celle de l’OCDE il y a quatre ans. Dans celle-ci, S&P plaide en faveur d’une relance budgétaire «audacieuse». L’agence estime que le stimulus monétaire, seul, ne suffira pas à retrouver le chemin de la croissance d’avant-crise. L’agence s’avance même à chiffrer l’impact de mesures de relance plus offensive sur le Vieux Continent: selon S&P Global Ratings, une relance budgétaire en zone euro pourrait stimuler la croissance entre 1,6 et 2 fois le montant dépensé après quatre ans.

Outre Atlantique, les attentes ont été quelque peu revues à la baisse suite à la victoire plus serrée qu’anticipé obtenue par le camp démocrate qui devra compter avec une forte opposition républicaine au Congrès. Dans une présentation fin novembre, Aberdeen Standard Investment (ASI) estimait à une fourchette de 500 à 1’000 milliards de dollars l’ampleur des mesures de soutien budgétaire qui pourront être mises en place par le futur président Joe Biden, obligé à composer avec un Congrès partagé entre les deux camps, au lieu des quelque 2’300 milliards qui avaient été escomptés en cas de «vague bleue».

Les Etats peuvent désormais compter avec un autre allié de poids:
l’appui indéfectible des banques centrales à leur politique.

Reste que cet édifice dépend d’un ingrédient essentiel, celui du maintien des taux d’intérêt à des niveaux très bas, voire négatifs. A cet égard, les économistes d’ASI soulignaient récemment qu’il fallait rester attentif aux risques de «falaise budgétaire» susceptibles de se dresser au-devant des gouvernements suite aux programmes de soutien mis en place pour faire face à la pandémie.

S’agissant des taux d’intérêt, les économistes se montrent pour l’instant sereins pour au moins deux raisons. D’une part, l’inflation ne devrait pas poindre le bout de son nez avant plusieurs années - pas seulement dans les pays où elle est traditionnellement très faible comme en Suisse – mais aussi aux Etats-Unis ou dans la zone euro. Récemment, Credit Suisse n’anticipait qu’une inflation limitée à 2% aux Etats-Unis pour 2021 et de seulement 1% pour la zone euro.

D’autre part, les Etats peuvent désormais compter avec un autre allié de poids, à savoir l’appui indéfectible des banques centrales à leur politique. A cet égard, l’annonce de la nomination de Janet Yellen, l’ancienne présidente de la Fed, au poste de future Secrétaire d’Etat au Trésor, scelle définitivement outre-Atlantique l’alliance entre représentants de la politique budgétaire et monétaire sous la houlette de Jerome Powell. Avec à la clé la promesse d’une action parfaitement coordonnée entre l’Etat et banques centrales, à même de maintenir les taux les plus bas aussi longtemps que possible. Au diable l’austérité, place aux plans de relance. La suite? Dans dix ans.

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