L’investissement est la nouvelle épargne

Yves Hulmann

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Pour Nannette Hechler-Fayd’herbe de Credit Suisse, la génération Y ne pourra pas compter sur les seuls intérêts pour faire fructifier l’argent économisé.  

En dépit de la pandémie, le dernier rapport sur la richesse des ménages dans le monde publié jeudi par Credit Suisse montre que l’impact de la crise du Covid-19 sur la fortune globale a pu être limité durant le premier semestre. Si la Chine est à nouveau parvenue à tirer son épingle du jeu, l’Amérique latine a, elle, le plus souffert de la pandémie. Par générations, les «Millennials» doivent aujourd’hui veiller à investir correctement leur épargne car ils ne pourront plus compter sur les intérêts de l’épargne. Tour d’horizon des résultats de l’étude avec Nannette Hechler-Fayd’herbe, Chief Investment Officer International Wealth Management et Global Head of Economics & Research chez Credit Suisse, qui a présenté jeudi les résultats du rapport sur la richesse mondiale des ménages («Global Wealth Report») de 2020. 

Quels sont les changements les plus marquants entre les résultats de l’édition 2020 du Global Wealth Report et ceux de l’an dernier?

L’édition 2020 du Global Wealth Report reflète une période extrêmement spéciale en raison de l’épidémie de coronavirus. En dépit de la crise du COVID-19, on peut malgré tout observer plusieurs aspects encourageants. Tout d’abord, en termes de volume global, le patrimoine des ménages est resté très stable entre fin 2019 et fin juin 2020. Il y a certes eu, dans un premier temps, un impact très fort du COVID-19 durant le premier trimestre. Entre janvier et fin mars, la fortune nette des ménages à l’échelle mondiale a chuté de 17 500 milliards de dollars suite au plongeon des marchés. Toutefois, cette fortune a été recréée très vite ensuite : à fin juin 2020, elle était remontée à quelque 400 trillions de dollars, contre 399 trillions à fin décembre 2019. En d’autres termes, à la fin du premier semestre, la richesse mondiale était supérieure de 1000 milliards de dollars à son niveau de début d’année. C’est une bonne nouvelle, car cela signifie que les ménages ont réussi à maintenir leur patrimoine en dépit de la pandémie.

Comment ces chiffres se présentent-ils par individu? 

La richesse mondiale par adulte est passée de 77 309 dollars au début de 2020 à 76 984 dollars à fin juin. Ce léger déclin s’explique par le fait que la population adulte mondiale a augmenté un peu plus vite que la fortune totale des ménages à travers le monde. Compte du contexte marqué par la pandémie, cela reste satisfaisant. Cela signifie qu’il n’y a pas eu de destruction de patrimoine. 

La Chine fait figure de grand gagnant au niveau de
l’évolution du patrimoine des ménages sur le plan mondial.
Au cours des dernières années, la richesse des ménages avait augmenté fortement en Asie, presque continuellement. Quelles sont les observations du rapport 2020 concernant l’évolution de la richesse dans le monde d’un point de vue géographique?

Cette tendance de fond reste inchangée. La pandémie de COVID-19 a pénalisé l’Amérique du Nord et diverses autres régions du monde – mais pas la Chine et l’Inde. La Chine et l’Inde comptent parmi les rares pays qui sont parvenus à générer de la croissance économique. La Chine fait figure de grand gagnant au niveau de l’évolution du patrimoine des ménages sur le plan mondial. En Chine et en Inde, on voit que non seulement la richesse de l’ensemble des ménages mais aussi le patrimoine calculé par adulte ont augmenté durant le premier semestre. En Chine, cette hausse a été d’environ 4%. Avec un recul de 12,8%, l’Amérique latine est, à l’inverse, la région du monde qui a le plus souffert de la pandémie, à la fois à cause de la dégradation de l’économie et en raison de la dépréciation des monnaies des pays de cette région par rapport au dollar américain. Parmi les économies des pays développés, c’est le Royaume-Uni qui a subi la plus forte baisse de sa richesse.

Est-ce avant tout en raison de la dépréciation de la livre sterling ou à cause de l’impact du Brexit sur l’économie du pays?

Oui, bien sûr. Le Brexit a eu un très fort impact aussi s’agissant des données concernant la croissance de l’économie. De plus, les marchés des actions au Royaume-Uni ne se sont pas autant repris qu’ailleurs. Tant du côté des actifs financiers que de l’économie, le Royaume-Uni a beaucoup souffert de la situation liée au Brexit.

Par catégories d’individus, les femmes ont été davantage touchées que les hommes durant la pandémie. Avant la crise du Covid-19, l’étude indiquait plutôt, année après année, une progression graduelle de la richesse détenue par les femmes. La pandémie risque-t-elle d’interrompre cette tendance? 

Effectivement, les femmes - comme les jeunes mais aussi les personnes faisant partie de minorités, surtout en ce qui concerne les Etats-Unis - ont été les plus touchées par les conséquences de la pandémie. S’agissant des femmes, cette situation résulte du fait qu’elles sont souvent actives dans des secteurs comme l’hôtellerie, la restauration ou les services qui ont été fortement affectés par la pandémie. Parmi les 13 pays membres de l’OCDE, une statistique montrait que l’emploi avait reculé de 9,5% chez les femmes durant le deuxième trimestre comparé à une diminution de 7% du côté des hommes. Or, l’accès au marché du travail est la première étape vers la constitution de l’épargne et de la fortune. Maintenant, il faut distinguer entre ce qui relève d’une tendance de fond et ce qui reflète des événements spéciaux. Durant la crise financière de 2007-2008 par exemple, les femmes avaient été moins affectées par la crise que les hommes. En 2020, cela a été le contraire. Il faut être prudent et ne pas tirer de conclusions trop hâtives quand à une inversion de tendance dans un sens ou dans un autre.

La génération des «Millenials» ne peut pas compter sur l’effet
des intérêts composés pour améliorer les rendements de son épargne.
Par catégories d’âge, Credit Suisse estime que la pandémie représente un «double coup dur» pour les personnes âgées entre 20 et 40 ans faisant partie du groupe dit des «Millenials». Pourquoi?

Beaucoup des personnes faisant partie de cette génération aussi appelée «Y» sont arrivées sur le marché du travail au moment de la crise financière ou durant les années qui ont suivi. Ensuite, à peine installés sur le marché du travail, voilà qu’une nouvelle crise survient. En plus de la difficulté à pouvoir commencer à constituer une épargne, un autre facteur, celui de la baisse des taux d’intérêt, est venu pénaliser cette génération. Suite à la crise financière, les banques centrales n’ont eu d’autre choix que d’agir par différentes mesures qui ont fait baisser les taux d’intérêt. Donc, les «Millenials» qui ne peuvent pas ou qui ne sont pas prêts à prendre des risques – par exemple en investissant une partie de leurs économies en actions – ne pourront pas faire travailler leur épargne s’ils la laissent sur un simple compte d’épargne.

Que devraient-ils faire alors pour ne mettre en péril leurs économies et leurs futures retraites? 

Deux recommandations peuvent être faites à ce sujet. D’une part, de commencer à épargner pour la retraite aussitôt que possible. D’autre part, de mieux se former au sujet des investissements. La génération des «Millenials» ne peut pas compter sur l’effet des intérêts composés pour améliorer les rendements de son épargne. A l’ère des taux zéro ou négatifs, le meilleur conseil que je peux leur adresser, c’est d’investir. L’investissement est la nouvelle épargne! Nous avons du reste nous-même publié des études pour sensibiliser la population aux questions relatives à la retraite ou aux investissements. Nous avons par exemple publié récemment une étude intitulée «Woman to Woman» qui met en perspective différents aspects en matière d’investissement pour les femmes. 

Concernant la Suisse, la richesse par adulte dans notre pays s’élevait à 598 400 dollars à fin 2019 selon l’étude, soit une hausse de plus de 150% depuis 2000. Est-ce surtout dû à la force du franc par rapport au dollar - ou les Suisses parviennent-ils en moyenne à réellement améliorer leur fortune année après année?

Bien sûr, les chiffres concernant la Suisse sortent un peu du lot sur le plan international en raison de l’impact positif de l’appréciation du franc par rapport au dollar. Au-delà de ce seul aspect, on peut observer que les Suisses sont habitués à investir et que leur patrimoine est très élevé en comparaison internationale, aussi bien en tenant compte de la moyenne que de la médiane. La Suisse dispose d’un système solide en matière de retraites et d’un cadre favorable à la création de richesses.
 

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