La préférence pour l’Europe touche aussi l’obligataire

Cyril Parison, SILEX

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La sous-performance des actifs américains (dollar, treasuries, S&P) est bien réelle depuis le jour de la libération. Une chance pour l’obligataire européen?

Cela n’aura échappé à personne, l’allocation des investisseurs s’est largement réduite sur les actifs américains à la suite des annonces du «liberation day». La guerre commerciale fait peser un risque important sur le dollar (qui vient de casser les 1,15 contre EUR), sur les treasuries (primes de risque supplémentaire, peur d’un accord Mar-a-Lago et d’un haircut déguisé) et sur les actions US (risque de révisions bénéficiaires à la baisse avec des valorisations déjà tendues). Dans la recherche d’actifs alternatifs (or, cryptomonnaie), la dette des autres pays est favorisée.

Sur la partie dette émergente d’abord, on remarquera que la performance de la dette libellée en devise locale est proche de 3% depuis le début de l’année tandis que la dette en dollar (dite en hard currency) avoisine les +1% sur la même période. La qualité s’est déplacée dans l’esprit des investisseurs, et la hiérarchie n’est plus la même.

Sur la partie européenne ensuite, la dette souveraine présente des forces de rappel intéressantes. Les pays du Sud ont notamment remporté plusieurs succès: le Portugal et l’Espagne se financent sous la France désormais, la Grèce vient de passer Investment Grade chez Moody’s (et même BBB chez S&P), tandis que plus important encore, l’Italie vient de gagner un cran de notation à BBB+, rentrant peu à peu dans le rang. Certes, la France aura du mal à conserver son double-A, mais cette nouvelle convergence des rendements en zone euro est de nature à rassurer. Si on rajoute que l’Allemagne reste (et restera) peu endettée en relatif des autres grands pays de l’OCDE, il est aisé de justifier les 45bp de rally sur les taux longs européens que nous venons de vivre… et cela n’est probablement pas fini. Nous maintenons notre vue positive sur la duration européenne.

Le secteur financier joue également sa propre carte et se remanie malgré les secousses extérieures

En effet, la BCE devrait amener son taux directeur à 1,75% en fin d’année 2025, et peut-être même à 1,5% en 2026 si la croissance ralentit trop. De quoi là aussi inciter les investisseurs à profiter du rendement sur le long (la pente 2y-10y est déjà à +80bp sur la courbe benchmark), et d’une banque centrale qui reste indépendante du pouvoir politique et finalement crédible dans sa lutte contre l’inflation.

Enfin, côté dette corporate, et tout comme pour la classe d’actif equity, cela faisait longtemps que les US n’avaient pas été aussi malmenés en relatif de l’Europe. Avec des spreads ultra tendus (notamment sur le segment HY) et un positionnement très consensuel, le re-rating de l’exceptionnalisme américain a fait mal: le bond du VIX vers les 50 tout comme les sorties nettes de flux des fonds IG et HY (dans des montants similaires à la période COVID), ont débouché sur un re-pricing violent qui n’est probablement pas tout à fait terminé. Là encore, les valorisations sur le crédit européen étaient moins tendues, avec une médiane des ratios d’endettement plus basse, et la concentration sur d’avantage de secteurs régulés (utilities, telecoms, banques, assurances). Si vague de défaut il y a, elle sera logiquement plus côté US que de ce côté-ci de l’Atlantique. Même les secteurs les plus impactés par la nouvelle donne douanière (automobiles, compagnies aériennes) semblent évoluer avec des fondamentaux de crédit meilleurs qu’aux US (un groupe comme Forvia prévoit par exemple une génération de FCF de 650 millions d’euros pour 2025 malgré l’environnement dégradé).

Faut-il pour autant quitter complètement les US? Non, nous profitons de ce nouveau régime de volatilité pour se positionner sur les CDS US avec une large base positive, et sur les tranches de CDX IG à court terme (peu de risque de défaut à 12-18 mois sur les blue chips en raison de leur position de liquidité).  

En Europe, nous favorisons les secteurs régulés qui restent peu impactés par la politique commerciale en raison de leur opérationnel très européen (ILIAD dans le secteur télécom est un bon exemple). Le secteur financier joue également sa propre carte et se remanie malgré les secousses extérieures: Unicredit vise Commerzbank et Banco BPM, MPS cherche à prendre le contrôle de Mediobanca, BBVA ne lâche pas Sabadell. Et sur l’assurance, après l’offensive d’Aviva sur Direct Line, c’est Ageas qui va racheter le britannique e-sure pour 1,5 milliard d’euros. N’oublions d’ailleurs pas ce secteur très bien noté (single-A en moyenne), qui a affiché des résultats records en 2024 (et un RoE moyen proche de 14%), tirant partie du nouvel environnement de taux, et qui a l’habitude de très bien rémunérer ses créanciers subordonnés (car moins connu que la dette bancaire).

L’euro ne sera peut-être pas la prochaine monnaie de réserve, mais une place plus conséquente semble réservée à la dette européenne dans les allocations pour les prochains trimestres. 

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