La pandémie et les marchés: point de situation

Philippe G. Müller, UBS

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Le S&P 500 est remonté d'environ 25% depuis son creux du mois de mars. On peut donc se demander si les actions ont déjà atteint leur point bas.

© Keystone

La semaine dernière, pourtant écourtée en raison du week-end pascal, l'indice S&P 500 a rebondi de 12,1%, enregistrant ainsi sa plus forte progression hebdomadaire depuis 1974. Il est remonté d'environ 25% depuis son creux du mois de mars. On peut donc se demander si les actions ont déjà atteint leur point bas.

Dans ces circonstances, un point de situation sur des marchés qui évoluent rapidement s’impose.

1. Les actions ont-elles déjà touché le fond ou s'agit-il d'un «dead cat bounce (petite reprise de courte durée dans le déclin du prix d'une action)»?

En dépit du rebond des marchés, il est difficile d'affirmer avec certitude qu'elles ont déjà touché le fond. Dans l'ensemble, la Recherche d’UBS pense que les valorisations reflètent actuellement son scénario central, à savoir une levée des restrictions les plus drastiques visant à limiter la propagation du virus vers la mi-mai en Europe et début juin aux Etats-Unis, avec toutefois un rétablissement ultérieur. La levée des restrictions permet un début de normalisation de l'activité économique, qui s'annonce toutefois graduelle, les résultats des entreprises en 2021 restant inférieurs aux niveaux observés en 2019.

Il y a de nombreuses raisons de rester investi, étant donné
la rapidité et l'ampleur inédites des mesures de soutien.

Dans un environnement très incertain, la poursuite de la hausse des marchés d'actions semble conditionnée à des signes d'efficacité des mesures de relance, à une meilleure visibilité quant aux «stratégies de sortie» privilégiées par les gouvernements ou à une avancée de la recherche médicale. Une flambée des nouveaux cas de COVID-19, l'annonce d'un confinement durable ou les signes de multiplication des faillites d'entreprises et de la montée du chômage, malgré les mesures de relance monétaire et budgétaire, sont quelques-uns des risques baissiers.

Pour parer à ces risques, il est recommandé de diversifier les portefeuilles en termes de classes d'actifs et de zones géographiques, ainsi que d'envisager de placer des fonds dans une allocation d'actifs dynamique qui profite d'une hausse des marchés d'actions mais qui réduit l'exposition lorsque les cours baissent.

2. Jusqu'où les marchés peuvent-ils chuter?

Lors des sept marchés baissiers observés depuis 1945, l'indice S&P 500 s'est replié en moyenne de 34,5%. Or il a déjà enregistré une perte cumulée de 34%, ce qui suggère que la pression vendeuse est peut-être en train de disparaître. Néanmoins, le scénario pessimiste de la Recherche d’UBS, qui verrait la réapparition de foyers épidémiques difficiles à contrôler autrement que par le rétablissement ponctuel de mesures de confinement drastiques, ne saurait être exclu. Si ce scénario se vérifie, les marchés d'actions pourraient rechuter et l'indice S&P 500 se situer à 2100 points en fin d'année.

Cependant, il y a de nombreuses raisons de rester investi, étant donné la rapidité et l'ampleur inédites des mesures de soutien annoncées par les gouvernements et par les banques centrales, ainsi que du fait des signes d'endiguement du virus en Europe.

Les principales banques centrales ont rapidement déployé tout leur arsenal de mesures déjà testé à l'occasion de la crise financière mondiale. Les montants annoncés sont sans précédent. La semaine dernière, la Réserve fédérale américaine a lancé une augmentation et un élargissement de ses facilités de crédit afin d'octroyer jusqu'à 2300 milliards de dollars de prêts pour soutenir son économie.

La BoE financera directement les dépenses engagées par le gouvernement
en court-circuitant le marché obligataire tant que la crise du coronavirus durera.

La Fed achète désormais des obligations émises par des «anges déchus» (des émetteurs récemment rétrogradés en catégorie spéculative). Par ailleurs, un nouveau programme Main Street Lending permet aux banques d'octroyer des prêts à des entreprises employant jusqu'à 10'000 salariés et de revendre ensuite 95% de leur créance à la Fed.

La semaine dernière aussi, la Banque d'Angleterre (BoE) a accepté de monétiser temporairement le déficit budgétaire du gouvernement britannique. La BoE financera directement les dépenses engagées par le gouvernement en court-circuitant le marché obligataire tant que la crise du coronavirus durera.

3. Est-ce une bonne idée de rester à l'écart en attendant une rechute?

La récente hausse des cours des actions pourrait amener certains investisseurs à attendre une rechute des marchés pour investir étant donné l'issue incertaine de la crise. Ce faisant, ils risquent néanmoins de rester durablement à l'écart avant de devoir se résoudre à acheter à des prix plus élevés.

L'un des moyens de constituer des positions à long terme sur le marché consiste à effectuer des achats échelonnés tout en vendant des options put. Les achats échelonnés d'actifs plus risqués permettent aux investisseurs de lisser les fluctuations à court terme. Quant aux investisseurs qui peuvent avoir recours aux options, la vente de put permet d'obtenir un rendement plus élevé et de se positionner au cas où les marchés baisseraient encore.

4. Quand la création monétaire devient-elle problématique?

Les banques centrales ont procédé à un assouplissement monétaire sans précédent par son ampleur et par sa rapidité. Dans l'immédiat, leur objectif était de soutenir les entreprises ayant des difficultés de trésorerie, d'atténuer les tensions sur les marchés financiers et de veiller au bon fonctionnement de ces derniers. A plus long terme, une fois que l'épidémie amorcera sa décrue, elles recentreront leur attention sur la stimulation de la demande.

Dans un cas comme dans l'autre, il s'agit d'objectifs légitimes qui permettront d'amortir le choc économique, mais l'ampleur des programmes annoncés, ainsi que la nature de certains d'entre eux qui consistent à monétiser la dette, ont fait surgir le spectre d'une forte poussée inflationniste.

Mais si l'on se penche sur la dernière décennie, qui a été marquée par une politique monétaire non conventionnelle, les taux d'intérêt nuls conjugués à l'assouplissement quantitatif n'ont pas abouti à un regain d'inflation. A l'heure actuelle, la grande menace pour l'économie mondiale est celle de la déflation dans la mesure où la crise du COVID-19 entraîne un choc de demande significatif pour l'économie mondiale.

De nombreux salariés sont en réalité mis au chômage technique, à titre temporaire,
et perçoivent diverses allocations qui se substituent à leur salaire.

Cela dit, si les chiffres de l'inflation s'avèrent supérieurs au niveau actuel des points morts d'inflation, les bons du Trésor américain indexés sur l'inflation (TIPS) devraient surperformer leurs équivalents nominaux.

5. Comment peut-on être optimiste alors que le chômage s'apprête à battre des records dans la plupart des pays?

La flambée du chômage est une source de préoccupation majeure. La Recherche d’UBS suit de près cet indicateur pour évaluer l'ampleur des dégâts économiques, mais aussi le rythme probable de la reprise. Il convient toutefois de faire la part des choses entre la situation actuelle et les épisodes précédents de chômage de masse.

De nombreux salariés sont en réalité mis au chômage technique, à titre temporaire, et perçoivent diverses allocations qui se substituent à leur salaire. Aux Etats-Unis, ces salariés conservent leur assurance santé, ce qui est extrêmement important. Ils sont également pris en compte dans les statistiques officielles, ce qui n'est pas le cas en Europe. Le taux de chômage aux Etats-Unis pourrait donc dépasser celui observé sur le Vieux Continent.

Tous ces facteurs influenceront la durée de la première phase de la récession car les salariés mis au chômage technique ont davantage de chances d'avoir un emploi lorsque le confinement et la crise sanitaire prendront fin. Cela dit, les entreprises qui réduisent leurs effectifs ou procèdent à des licenciements dès maintenant auront peut-être plus de chances d'éviter une faillite, ce qui leur permettra de survivre et de réembaucher une fois la crise passée.

Néanmoins, la réaction des pouvoirs publics a été sans précédent. Rien que ces dernières semaines, un plan de relance budgétaire de 2000 milliards de dollars a été adopté aux Etats-Unis, tandis que le Japon a annoncé un plan de relance de 108'000 milliards de yens. Sans compter les mesures extraordinaires prises par les banques centrales évoquées précédemment. Ces mesures éviteront certainement un resserrement du crédit tel que celui observé pendant la crise financière mondiale et il s'agit également d'un solide argument pour rester investi.

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