La malédiction du numéro 2

Thomas Planell, DNCA Invest

2 minutes de lecture

Dans le rang des préoccupations de Biden, la Russie n'arrive qu'en seconde place, derrière la Chine.

Pompidou n'a pas été l'exception qui confirme la règle. En 1969, lorsqu'il remporte l'élection présidentielle anticipée, cela fait déjà un an qu'il a quitté Matignon. Sous la cinquième République, jamais Premier ministre en fonction n'a pris la rue du Faubourg Saint-Honoré. Qui se lève rue de Varenne ne se couche à l'Elysée!

Si en France, être numéro deux passe pour une malédiction, en Russie, le devenir peut-être une condamnation. En 1934, Kirov, le second du PCUS est assassiné. Le meurtre du favori de Staline, dont on ignore toujours s'il a été commandité par le Vodj en personne, a permis de justifier la plus grande campagne de (contre)-terrorisme de l'humanité au travers des purges et déportations staliniennes: «Pour moi, il est déjà clair qu'une organisation terroriste contre-révolutionnaire bien organisée est active à Leningrad» confie Staline dans un langage qui rappelle les années sanglantes de 1793 et 1794, celles qui ont donné naissance en France au mot et à la doctrine du terrorisme.

Le nouveau tsar durcit l’exercice tyrannique de son pouvoir sur la forteresse économique russe.

Comme son prédécesseur, Poutine pose le régime politique qu'il a façonné de ses mains en victime afin de réprimer avec une ardeur plus ostentatoire que jamais ses opposants. Les groupes liés à Navalny, jeté en prison, sont réputés «extrémistes» par les tribunaux. De même, Stepan Poutilo, fondateur de Nexta, média d'opposition, et Roman Protassevitch son rédacteur en chef, arrêté à l'issue du détournement du vol Ryanair en mai 2021, sont «impliqués dans des activités terroristes». Enfin, le candidat Boris Nemtsov, mystérieusement assassiné sur la place rouge, serait quant à lui tombé sous les balles d’activistes tchétchènes. 

Plutôt que de céder aux sanctions et doléances occidentales, le nouveau tsar durcit l’exercice tyrannique de son pouvoir sur la forteresse économique russe. Alors, si Biden a encouragé Merkel et Macron à lui succéder en tendant la main à Poutine (dont on sait qu'il ne peut tolérer de concession démocratique sans mettre en péril son emprise politique), c’est probablement parce que le Président américain sait qu’il ne peut livrer bataille sur toutes les lignes. Sur le front russe, incapables de parler à l'unisson, les Européens désunis n'ont pas apporté le soutien espéré. Il faut pourtant désamorcer le risque de débordements du conflit ukrainien, pacifier la Syrie, éviter la prolifération nucléaire en Iran, quitte à faire des concessions. Car Poutine, n'en déplaise à son ambition géopolitique, hérite de la malédiction, peut-être salvatrice, du numéro 2.

La Chine s'arme beaucoup plus vite que prévu et projette, comme l’URSS avant elle, son ambition dans l’espace.

En effet, dans le rang des préoccupations de Biden, la Russie n'arrive qu'en seconde place. Le but du sommet du G7 aux airs de conférence de l'Atlantique de 1941 était d'afficher l'union des étendards américains, britanniques et européens sur la principale ligne de front de la diplomatie américaine: celle de l’océan Pacifique où se dresse la Chine. Une Chine qui, comme vient de le concéder l'Otan, s'arme beaucoup plus vite que prévu et projette, comme l’URSS avant elle, son ambition dans l’espace. Satellites, station spatiale nationale, réseau de stations de ravitaillement entre Mars et la Terre en vue d’une mission habitée : au cosmos soviétique succède le cosmos chinois, manifestation de la grandeur technologique et scientifique du pays, attribut indispensable à l’instauration de son rôle superpuissance. Peut-être sommes-nous à l’aube d’une nouvelle ère, privée et publique, de la course aux étoiles et à ce titre il n’est pas interdit de croire au ruissellement bénéfique pour la société de ses investissements et de ses avancées technologiques. 

Loin d’échapper aux perspectives de ces mondes d’éther, les marchés financiers, stratosphériques, semblent déjà toucher du bout des doigts cette «nouvelle frontière» céleste. Introductions en bourse de start-ups européennes (Astrocast, Seraphim), lancement d’ETF et de fonds thématiques «Espace», séries d’acquisitions par des SPAC de petites capitalisations spatiales. L’engouement doit beaucoup aux champions comme SpaceX, Blue Origin et Virgin Galactic dont les succès restent pour l’instant plus technologiques qu’économiques. Néanmoins, l’ambition financière de la conquête spatiale n’a jamais été aussi palpable, offrant un contraste évident avec l’époque à laquelle, il y a 60 ans, le premier homme orbita autour de la Terre. L’occasion de reconnaitre ce triomphe éternel à la Russie : dans la course aux étoiles, il n’y aura jamais qu’un numéro un, Youri Gagarine.

A lire aussi...