La durabilité passe par les droits de la personne

Ophélie Mortier, DPAM

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Il sera nécessaire de faire monter la pression pour parvenir à des solutions respectueuses de l’environnement.

Vagues de chaleur sans précédent, sécheresses persistantes et incendies de forêt dévastateurs, ces calamités liées au changement climatique rappellent l’urgence de l’action tant du côté des politiques que de celui des investisseurs.

Fort heureusement, un certain nombre de mesures politiques commencent à porter leurs fruits. Par ailleurs, la mise en œuvre des recommandations de la Task Force on Climate-related Financial Disclosures (TCFD) et de la taxonomie permet de mieux évaluer et de mieux gérer le risque climat. Grâce à une surveillance accrue, la prévention gagne du terrain et l’adaptation au changement climatique s’accélère.

Les investissements dans les technologies propres continuent à croître. Si les pays respectent leurs engagements, les montants affectés au solaire, à l’éolien et aux pompes à chaleur pourraient tripler et atteindre 650 milliards de dollars d’ici 2030. Les marchés commencent également à réagir, même si lors de réductions des objectifs environnementaux des entreprises, le cours de leurs actions ne s’ajuste pas nécessairement alors que c’est généralement le cas lors de révisions à la baisse des bénéfices. Cependant, lorsque BP ou Shell annoncent leur intention de réduire leurs objectifs en matière d’énergies renouvelables, de gros investisseurs institutionnels communiquent publiquement le fait qu’ils sortiront de ces entreprises. S’il est encore trop tôt pour évaluer l’impact de telles décisions sur la rentabilité des entreprises, les désinvestissements les affecteront à moyen et long terme.

Il est probable que l’attention croissante portée au changement climatique influencera les politiques et les stratégies d'investissement. En témoigne notre récent partenariat avec le TNFD, groupe de travail qui se consacre à la diffusion des données financières liées à la nature, ou encore avec Plasteax. Cette organisation, leader dans la recherche sur l’empreinte plastique, offre aux investisseurs un outil, l’indice de gestion défectueuse des déchets plastique (MWI), qui leur permet d’affiner leurs stratégies de lutte contre la pollution plastique. En effet, cet indice, calculé pour chaque pays, permet de mesurer toute l’ampleur de l’impact d’une mauvaise gestion des déchets plastiques (de ceux qui ne sont tout simplement pas ramassés à ceux qui sont éliminés de manière inappropriée).

Le «détricotage» du tissu social

Les changements en cours vont non seulement accroître la pression sur les systèmes sociaux, mais également modifier l’évolution des marchés du travail, des chaînes d'approvisionnement et finalement des droits de l’homme dans le monde entier. L'utilisation croissante des énergies renouvelables recèle des risques conséquents, car la transition verte, urgente, va fréquemment à l’encontre de l'équité, notamment en ce qui concerne les conditions de travail et les droits de l'homme dans des secteurs critiques tels que l'exploitation minière.

La bataille pour les talents est féroce et la lutte pour les droits des travailleurs va s’intensifier compte tenu de la tendance au vieillissement de la main-d’œuvre.

Par ailleurs, la production d’énergies propres est souvent contrôlée par un nombre limité de pays, dont la Chine. Or, ces situations de monopole ne pourront qu'aggraver les problèmes sociaux existants. La question des violations des droits de l'homme tout au long des chaînes d'approvisionnement exige également d’être urgemment reconnue et traitée. Le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne ont renforcé leur réglementation afin de relever ces défis. Par ailleurs, des initiatives telles que la directive sur la diligence en matière de durabilité des entreprises (CSDD) initiée par les acteurs du secteur financier incitent les entreprises à se responsabiliser davantage.

Cependant, la transition vers l’énergie durable offre également des opportunités, notamment en matière d’emploi. D’ici 2030, le nombre d’emplois dans le secteur de l’énergie propre pourrait passer de 6 à 14 millions. Des tensions pourraient néanmoins apparaître en raison des disparités dans la répartition géographique des emplois et au niveau du savoir-faire requis. La bataille pour les talents est féroce et la lutte pour les droits des travailleurs va s’intensifier compte tenu de la tendance au vieillissement de la main-d’œuvre. A l’avenir, les changements démographiques pourraient avoir des répercussions plus marquées sur l’économie et les systèmes de santé que des difficultés de court terme telles que l’inflation ou le ralentissement de la croissance. Entre changement climatique, droits de l’homme, marché du travail et évolution démographique, les interactions qui façonneront le tissu social sont complexes.

Au-delà des frontières et des entreprises

La gouvernance doit être envisagée à la fois sous l’angle national et sous l’angle entreprise. Les deux jouent un rôle significatif dans l'élaboration des politiques et des actions en faveur du progrès environnemental et social. Sur le plan national, l’engagement systématique vis-à-vis de toutes les parties prenantes actives tout au long de la chaîne d’émission d’obligations souveraines, vise à les sensibiliser à l’importance de la durabilité pour les investissements en emprunts d’Etat. C’est aussi l’occasion de vérifier si leurs engagements dans le cadre de l’Accord de Paris sont tenus, tout comme ceux en faveur de la décarbonisation et d’une inclusion plus large de la finance verte. Cette approche nous permet d’être fidèles à nos engagements pris dans le cadre de l’initiative «Net Zero Asset Managers» (NZAM).

Pour ce qui concerne les entreprises, la promotion des meilleures pratiques ESG passe par l’utilisation systématique des droits de vote. Il nous est donc arrivé de voter contre certaines propositions ou, en accord avec d’autres actionnaires, de déposer des propositions, comme cela a été le cas avec Amazon. La coopération avec le groupement d’actionnaires «Follow This» témoigne également de notre engagement en faveur du développement durable: ensemble, nous avons fait pression pour que les majors, y compris Total Energies, accroissent leurs efforts et incluent les émissions de scope 3 dans leurs stratégies.

Les défis qui résultent du changement climatique et de son impact sur le plan sociétal ainsi que sur la gouvernance transfrontalière nous obligent à adopter une approche holistique. Les efforts à consentir ne se limitent pas à l’environnement, il faut également se préoccuper de la question sociale, des droits des travailleurs et de la gestion des chaînes d’approvisionnement. Equilibrer les différents aspects environnementaux, sociaux et financiers pour atteindre les objectifs de durabilité n’est pas une tâche facile, il est donc nécessaire de travailler en permanence avec toutes les parties prenantes.

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