Vers un monde multipolaire

Yves Ceelen, DPAM

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De l’or, de la dette émergente et de la microfinance pour protéger les portefeuilles dans un monde qui bouge.

Depuis la fin de la guerre froide, le monde, largement dominé par les États-Unis, était devenu unipolaire. Mais les changements géopolitiques actuels remettent en question cette situation et le monde évolue vers la multipolarité. Cette transformation aura un impact considérable sur les tendances en matière d’investissement, le dollar américain, le marché des Bons du Trésor et les matières premières. Aucun acteur ne sera épargné, mais certaines régions, économies et secteurs devraient bénéficier de ce mouvement.

En effet, parallèlement à l’évolution vers une multipolarité politique, un changement se dessine sur le front économique : le centre de l’économie mondiale s’est déplacé des Etats-Unis vers la Chine. Même si cette transition ne s’est pas toujours accompagnée d’une progression de l’influence sur le plan politique, il est difficile de faire l’impasse sur les parallèles entre économie et politique. Par exemple, l'idée que l'Occident présente un front uni contre la Russie n'est pas universellement acceptée. De nombreux pays, en particulier ceux qui entretiennent des liens étroits avec la Chine, sont restés neutres ou se sont abstenus d'imposer des sanctions à la Russie.

Par ailleurs, dans ce nouvel environnement géopolitique de nouvelles alliances se forgent et gagnent en puissance. C’est le cas de l'OPEP+ et de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS), l’une des plus remarquables étant toutefois le groupe des BRICS. Inventé en 2001 par Jim O’Neill de Golman Sachs, cet acronyme désignait initialement 4 puissances économiques émergentes (Brésil, Russie, Inde, Chine). Ce groupe est devenu une véritable organisation en 2009 et son ambition, qui s’affirme de plus en plus clairement, est de réduire la dépendance au dollar américain et au réseau de paiements interbancaires SWIFT, dominé par les Etats-Unis. L’intérêt accru porté au groupe des BRICS, notamment par les pays du Sud, résulte en bonne partie du plaidoyer convaincant de la Chine en faveur de ses avantages en matière de commerce et d’infrastructures.

Une alliance des défavorisés

La mondialisation entre dans une nouvelle ère et son fer de lance semble être la Chine. Favorisant le regroupement des nations défavorisées, des projets tels que celui des nouvelles routes de la soie (Belt and road initiative) ou une alliance telle que l’OCS offrent une plateforme à des pays qui ont en commun une histoire d’oppression et d’exploitation, souvent imputables aux pays occidentaux. Leur récit est axé sur l’exemple d’une Chine qui, de victime de la colonisation est passée au rang de grande puissance internationale. Ainsi, l’empire du Milieu est-il devenu un phare pour des pays qui ne privilégient pas nécessairement la démocratie libérale.

A un moment où la priorité est donnée à la protection du capital, il est impératif d'envisager des investissements susceptibles de protéger contre l'inflation.

Comme en témoigne l’élargissement d’organisations régionales telles que l’OCS, l’Union économique eurasiatique (UEEA), l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN), l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), les BRICS et le Partenariat économique régional global (RCEP), la cohésion entre les nations défavorisées se renforce (la diffusion de l’information étant facilitée par les nouvelles technologies et en particulier les réseaux sociaux). En outre, le modèle de développement économique chinois qui met l’accent sur des valeurs telles que le respect mutuel, l’égalité et la non-ingérence offre à ces pays non alignés qui représentent près des 2/3 de la population mondiale une alternative au modèle occidental.

Les répercussions de ce mécontentement pourraient bientôt se faire sentir en Occident. Les pays vulnérables, en particulier en Afrique, aux Caraïbes et dans le Pacifique, se manifestent et exigent des dédommagements pour les dommages résultant du changement climatique, dommages qui les affectent en premier lieu, mais auxquels ils n’ont que faiblement contribué. Cette prise de conscience s’illustre bien dans les propos tenus par le Premier ministre indien, Narendra Modi, lorsqu’il plaide en faveur d’une participation proportionnelle des pays du Sud (3/4 de la population du globe) à la gouvernance mondiale. Même si l’Inde est toujours considérée comme plus coopérative avec l’Occident qu’avec la Chine, ce pays tient néanmoins à affirmer son « autonomie stratégique » pour ce qui concerne la mise en place du nouvel ordre mondial.

La fin du dollar en tant que monnaie de réserve internationale?

La domination du billet vert dans le commerce mondial pourrait encore reculer. Même si du fait de la militarisation du dollar (et de l’euro depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie), les transactions s’effectuent de plus en plus directement de pays à pays, le dollar reste néanmoins très présent puisqu’environ 70% de la dette mondiale (notamment celle des pays émergents) est libellée dans cette devise.

Cette perte d’influence du dollar va-t-elle continuer à peser sur sa valeur? La réponse à cette question est loin d’être évidente dans la mesure où le taux de change d’une devise est la résultante d’une multiplicité de facteurs (taux d’intérêt, variations des taux, équilibres budgétaires et de la balance des comptes courants, etc.). Fort heureusement pour le billet vert, les taux d’intérêt élevés sont sur le retour et lui offrent donc une protection contre l’érosion de sa valeur provoquée par l’inflation. Pour l’investisseur en quête d’une autre valeur refuge, l’or est une solution dans la mesure où il offre une protection intemporelle contre la dépréciation des devises.

De l’international au local

A un moment où la priorité est donnée à la protection du capital, il est impératif d'envisager des investissements susceptibles de protéger contre l'inflation. Or, à l’heure actuelle, nombre de marchés émergents affichent des taux d'inflation inférieurs à ceux de leurs homologues occidentaux, ce qui constitue une rupture par rapport aux tendances historiques. Les obligations de pays émergents qui offrent des rendements de l'ordre de 7 à 8% et des rendements réels substantiels représentent par conséquent une diversification intéressante pour les portefeuilles de titres à taux fixes.

En outre, pour les investisseurs qui souhaitent contribuer directement à la lutte contre les effets du changement climatique, en particulier dans des régions comme l'Afrique, l'Amérique latine et l'Asie, l'intégration de la microfinance dans les portefeuilles diversifiés traditionnels peut être intéressante. Cette classe d'actifs, composée de nombreux petits prêts à court terme avec des taux de perte généralement faibles, permet non seulement de bénéficier d’un rendement régulier d'environ 4 à 5%, mais elle peut également contribuer à améliorer significativement le quotidien des particuliers et des petites entreprises dans ces pays.

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