L’inflation européenne sous la loupe: un effet grossissant

Bruno Cavalier, ODDO BHF AM

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L’inflation devrait monter de manière significative au second semestre 2021, puis rechuter début 2022. Le pic serait vers 3% en zone euro en novembre.

L’inflation se redresse partout dans le monde. Ce n’est pas une coïncidence, mais plutôt l’influence de facteurs communs, tels que le rebond du prix du pétrole et l’allongement des délais de livraison en biens intermédiaires. Viennent aussi se greffer des facteurs locaux. Pour la zone euro, l’économie sort de la crise plus affaiblie qu’ailleurs. Difficile d’y voir un risque de surchauffe, à la différence des Etats-Unis. De plus, la stimulation budgétaire y est aussi plus modeste. Enfin, divers facteurs techniques altèrent la mesure des prix. 

Le pic d’inflation européenne sera surement moins haut qu’aux Etats-Unis, ce qui invite à distinguer le débat monétaire à la Fed et à la BCE. Il sera aussi atteint plus tard, vers la fin 2021, ce qui peut avoir une résonance spéciale dans le contexte pré-électoral de l’Allemagne.

La sortie de crise est marquée par des goulet 
d’étranglement et des pénuries diverses.
Des taux records 

Depuis le début de la pandémie, l’économie mondiale est soumise à de violents chocs sur la demande et sur l’offre, et partant sur les prix. La période actuelle conjugue un fort rebond de la demande, de sévères contraintes de production et une faiblesse des stocks de biens intermédiaires, d’où une vive accélération de l’inflation. Les prix de l’énergie y contribuent pour beaucoup, car ils sont le facteur commun typique de l’inflation globale. De surcroît, la sortie de crise est marquée par des goulet d’étranglement et des pénuries diverses, ce qui intensifie le regain de la hausse des prix, comme constaté aux Etats-Unis. En avril, l’inflation CPI ressortait à 4,2% sur un an. Elle pourrait en réalité monter vers 4,5 à 5% en mai et évoluerait sur le restant de l’année au voisinage de 4%, avant de baisser à 3% début 2022, puis à 2% à la mi-2022. 

Qu’en est-il en zone euro?

La zone euro et les Etats-Unis ne sont pas dans la même catégorie. La récession a été plus sévère en Europe, et jusqu’à présent la reprise a été plus hésitante. Selon la Commission européenne, l’écart de production, c’est-à-dire la différence entre la production réelle et son potentiel, serait quasi-nul aux Etats-Unis en 2021 tandis qu’il serait négatif de 3,3 points en zone euro. L’OCDE, quant à elle, considère que le PIB réel par tête retrouverait son niveau pré-pandémie au T2 2021 aux Etats-Unis, mais pas avant le T4 2021 en Allemagne et le second semestre 2022 pour le reste de la zone euro. 

Même imparfaites, ces estimations suggèrent que les économies européennes abordent la reprise bien au-dessous de leurs capacités de production. Cela n’empêche pas que l’offre puisse être bridée à court terme. Les exemples ici abondent, mais le risque de surchauffe durable s’en trouve réduit.

Par ailleurs, les transferts aux ménages ont été plus forts aux Etats-Unis qu’en Europe. La comparaison est à faire avec prudence car les deux régions n’ont pas du tout les mêmes systèmes sociaux. Face à un choc négatif, la stabilisation automatique est plus forte en Europe, notamment en ce qui concerne l’indemnisation des chômeurs. Mais les plans de soutien américains ont surcompensé le choc sur le revenu disponible. Au total, l’excès d’épargne que les ménages ont «accumulé» durant la pandémie (mesuré par rapport à la situation de 2019) peut être estimé à plus de 10% du PIB aux Etats-Unis au T1 2021, soit le double de la zone euro.

L’exemple des Etats-Unis peut laisser penser qu’il y aura
des surajustements de prix là où l’excès de demande est le plus fort.

A ces raisons fondamentales, les seules permettant d’apprécier vraiment la durée et l’ampleur du choc d’inflation, il faut ajouter une série de facteurs techniques qui sont de nature à modifier de manière brève mais bien visible les chiffres d’inflation en zone euro dans le courant de 2021. Il s’agit de l’influence de paramètres fiscaux (modification du taux de TVA allemand) et de choix méthodologiques (modification du panier-type de consommation). Ainsi, le gouvernement allemand a réduit le taux de TVA de 3 points en juillet 2020, puis l’a rehaussé d’autant en janvier 2021, causant un choc instantané sur l’indice des prix d’abord négatif, puis positif. 

D’autre part, pour calculer l’inflation, l’usage est de réviser le poids des différents postes de l’indice des prix afin de refléter au mieux les dépenses véritables des ménages d’une année sur l’autre. En temps normal, ces ajustements sont insignifiants, mais pas en 2021 tant les modes de dépenses ont été chamboulées en 2020. Par exemple, le poids dans l’indice va baisser de 1,6 à 0,6% du total pour les voyages organisés, ou encore de 2% à 1,3% pour les services hôteliers. Tout cela n’aura pas grande incidence sur l’inflation moyenne, mais le profil au mois le mois s’en trouve modifié. Là encore, même si ce n’est que du bruit statistique, l’effet d’optique sera d’accentuer la remontée de l’inflation.

On peut ainsi s’attendre à ce que l’inflation monte de manière significative au second semestre 2021, puis rechute au début 2022. Le pic serait au-dessus de 4% en Allemagne en novembre, au voisinage de 3% en zone euro. Pour la France, les mêmes calculs donnent un pic sous 3% en septembre-octobre. Cela dit, l’exemple des Etats-Unis peut laisser penser qu’il y aura des surajustements de prix là où l’excès de demande est le plus fort. 

Un profil d’inflation aussi chahuté que celui qui se dessine en zone euro dans les prochains mois n’est pas censé troubler outre mesure la BCE. Le staff de la banque centrale et les membres du Directoire ont déjà souvent dit que l’accélération actuelle de l’inflation n’avait pas grand-chose de structurelle, mais reflétait surtout des ajustements transitoires liés à la pandémie. Une fois passé la bosse, au voisinage de 3%, l’inflation en zone euro risque de retomber à nouveau bien au-dessous de la cible de 2%, comme cela a presque toujours été le cas depuis la précédente bosse de 2011. A l’époque, la BCE avait durci sa politique monétaire par crainte d’un emballement des prix. Il est impensable qu’une erreur semblable soit faite cette fois-ci, mais pour certains membres du Conseil, par nature hostiles aux mesures quantitatives, le sursaut de l’inflation couplée à l’accélération de la reprise cet été seront mis en avant pour justifier de stopper ou freiner l’utilisation du PEPP.

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