De l’autre côté du pic de croissance et d’inflation

Bruno Cavalier, ODDO BHF AM

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L’analyse des banques centrales est que le sursaut d’inflation est transitoire, de quelques trimestres au maximum et, à ce titre, tolérable, sinon désirable.

© Keystone

Il y a encore quelques mois, la reprise de l’économie mondiale apparaissait bien incomplète. D’une part, il manquait à l’appel la plus large partie de l’Europe, toujours corsetée par des mesures de confinement destinées à endiguer les contaminations. D’autre part, et pour la même raison, de nombreuses activités de services opéraient sous leur capacité normale, ou étaient fermées. Désormais, les pièces manquantes d’une reprise plus diffuse, donc plus solide, se mettent en place. La vaccination de masse permet la réouverture complète de l’économie. Il s’ensuit un sursaut de la demande d’autant plus fort que les dépenses ont été bridées plus longtemps. De son côté, le système de production est par nature fractionné. S’il manque un bien intermédiaire, la production du bien final prend du retard, ce qui est synonyme de hausse des coûts. L’économie mondiale était conçue pour fonctionner à flux tendus, sans frictions dans la chaîne d’offre et d’approvisionnement. La pandémie a mis un grain de sable, ou plutôt tout un tas de sable, dans les rouages de cette machine. Suivant les cas, il faudra quelques mois ou trimestres pour fluidifier à nouveau le système. Les tensions inflationnistes sont nombreuses mais elles n’ont pas une nature structurelle. Le capital productif, ni la force de travail, n’ont été réduits. La crise a même été l’occasion de lancer des plans d’investissement, autrement dit des capacités d’offre additionnelles. Les responsables de politique économique prendraient le risque de mettre la reprise en danger s’ils réagissaient à ces tensions de prix provisoires.

Décrire l’économie post-pandémique, c’est la tâche qui occupait les prévisionnistes début 2021 quand se dessinait l’espoir raisonnable qu’une forte reprise allait suivre (ne pouvait que suivre) la pire année figurant dans les annales de l’économie moderne. Pour rappel, selon les estimations du FMI, 161 pays représentant 74% du PIB mondial ont enregistré une contraction de leur volume d’activité en 2020. En 2009, lors de la précédente crise mondiale, la chute d’activité n’avait touché «que» 90 pays pesant pour 63% du total. Dans un cas, la croissance mondiale a ralenti de près de 6 points, passant de +2,8% à -3,3%. Dans l’autre, le freinage avait été deux fois moins fort, de +3,0% à -0,1%. Le premier semestre 2021 étant maintenant presque achevé, on peut revisiter les grandes questions qui se posaient il y a quelques mois et voir si les hypothèses du scénario économique s’en trouvent altérées.

On peut se demander si la réouverture ne va pas entraîner des ajustements jusqu’alors différés.

La première question, il va sans dire, touche à la pandémie. Allait-on enfin éradiquer le virus ou, du moins, vacciner assez vite et en assez grand nombre la population afin de pouvoir sans risques lever les restrictions sanitaires? A l’heure présente, la situation sanitaire connaît une nette amélioration, mais nul ne se hasarde à affirmer que la pandémie est finie. Certains pays connaissent un regain de cas (Asie) quand d’autres enregistrent des progrès (Etats-Unis, Europe). D’autres variants peuvent apparaître et circuler. Tous les pays n’ont pas accès à la vaccination de masse et, dans ceux qui l’ont, une frange de la population peut la refuser. Cela dit, dans les pays riches, la vaccination est soit assez avancée, soit sur une bonne trajectoire, pour permettre une réouverture complète de l’économie. C’était là l’hypothèse de base de tout scénario de reprise. Elle se trouve confortée. Il semble qu’on soit enfin sorti du stop-and-go sanitaire.

La deuxième question porte sur la permanence des dislocations causées par la pandémie. D’un côté, comme le choc a été brutal mais somme toute assez bref, il y a l’espoir de pouvoir l’effacer très vite, surtout au vu des mesures de soutien exceptionnelles. De l’autre, on peut se demander si la réouverture ne va pas entraîner des ajustements jusqu’alors différés (défaillances d’entreprises, licenciements). La réponse n’est pas uniforme selon les pays, et, surtout, selon les secteurs. En partie, ces écarts sont liés à la durée et la sévérité des restrictions (d’où le retard cyclique de l’Europe), en partie, aux mesures de relance. Dans l’ensemble toutefois, on constate que le rebond de la confiance et de l’activité est bien plus fort que dans une reprise- type suivant une récession-type. Là encore, on est renforcé dans l’hypothèse que le choc est réversible sans trop de cicatrices. A la différence de ce qui suit une crise financière (situation du monde 2009-2010, Europe 2010-2015), on n’est pas entré dans une purge longue et pénible des bilans des banques, des entreprises ou des ménages.

Tant que les risques baissiers dominaient et que l’inflation restait très basse, il était facile pour les banques centrales de prôner la patience.

La troisième question concerne les ajustements de l’offre et de la demande. Le Grand Confinement avait presque simultanément stoppé la production et suspendu la demande d’un grand nombre de biens et services (arrêt des échanges, arrêt du tourisme, etc.). D’ordinaire, le plus difficile après une récession, c’est de stimuler la demande tandis que l’offre s’ajuste graduellement pour corriger les stocks excédentaires. Cette fois-ci, c’est l’offre qui peine à suivre pour satisfaire une demande de biens manufacturés qui est remontée en flèche alors que les stocks étaient bas. Sur le marché du travail, l’offre non plus n’est pas pleinement revenue à la normale. Demande forte, offre contrainte, pénuries diverses, le résultat est une tension sur les prix. Les exemples abondent: on manque de porte-containers, de bois de construction, de métaux industriels, de puces, de cuisiniers dans les restaurants. Ces tensions sont plus nombreuses et plus fortes qu’en début d’année. C’est en quelque sorte le revers de la médaille d’une reprise plus vigoureuse. A ce stade, ces perturbations de la chaîne d’approvisionnement semblent davantage un problème aigu que chronique mais on doit admettre que ce point a peu de chances d’être tranché de manière définitive avant plusieurs mois. Le pic d’inflation est encore à venir aux Etats- Unis et en Europe. Les marchés de capitaux pourraient manquer de sérénité si les banques centrales ne communiquent pas clairement leurs intentions.

La quatrième question consiste justement à se demander ce que sera (devrait être) la politique économique une fois l’économie solidement engagée dans la reprise. Les mesures d’urgence décidées l’an dernier ont prouvé leur pleine efficacité. Elles ont stoppé la crise de liquidité qui menaçait, restauré l’appétit pour le risque, recréé des conditions financières favorables, maintenu à flot des millions d’employés et de firmes qui sans cela auraient fait défaut, bref mis l’économie en état de réagir sans délai à la réouverture. Ces mesures n’ont pas vocation à être étendues sans limite, nul ne le conteste. Toutefois, il en va de la politique monétaire comme de la chaîne de production. Elle peut connaître des perturbations soudaines quand une crise survient, mais sa normalisation ne saurait être que graduelle. Les choix de politiques économiques ne sont pas un bouton on/off. Tant que les risques baissiers dominaient et que l’inflation restait très basse, il était facile pour les banques centrales de prôner la patience. Maintenant que la balance des risques penche vers le haut et que l’inflation dépasse sa cible, ce genre de discours est plus délicat à tenir, mais il est tout aussi nécessaire, sinon plus. L’analyse dominante des banques centrales est que le sursaut d’inflation est transitoire, de quelques trimestres au maximum, et à ce titre tolérable, sinon désirable. Cela dit, il faut nuancer selon les cas. De toute évidence, un risque de surchauffe existe aux Etats-Unis, mais pas en Europe.

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