Tim Mortimer, directeur de l’Account Management chez SRP, fournisseur de données liées aux produits dérivés et structurés (Derivia Intelligence), ne cache pas sa surprise sur le déroulement de la récente conférence SRP Europe, qui s’est tenue à Londres. L’intelligence artificielle y a occupé l’essentiel des échanges. Et ce aux dépens des thématiques ESG. L’expert soulignait en effet que, grâce à l’intelligence artificielle générative, les opportunités ne résident plus dans la seule analyse de données. Celle-ci crée des solutions que l’humain, à lui seul, n’aurait probablement pas envisagées.
Ainsi, deux tendances se dégagent. D’un côté, la création de thématiques de placement, notamment indicielle, générées totalement ou partiellement par l’IA. De l’autre, le développement d’algorithmes servant à produire de telles thématiques. L’une des applications les plus récentes du modèle d’apprentissage profond est en effet la création d’indices améliorés. Telle que la nouvelle gamme de JP Morgan baptisée Quest IndexGPT. Cette offre repose sur la quatrième itération (GPT-4) des modèles conversationnels développés par la société OpenAI.
Le GPT-4 est un grand modèle de langage (LLM) basé sur l’architecture «transformer» pré-entraînée, consistant à prédire le prochain mot dans une séquence de texte. Ce système conversationnel produirait des réponses beaucoup plus sûres et plus fiables que son prédécesseur GPT-3. Or Quest IndexGPT, lancée le mois dernier, utilise ce LLM pour générer des mots clés liés à un thème d’investissement spécifique.
Notons que si cette tendance s’est récemment accélérée, elle n’est pas nouvelle.
Ces thématiques correspondent généralement à l’IA elle-même, mais également au cloud computing, à l’e-sports ou encore aux énergies renouvelables. «Les mots clés sont ensuite utilisés pour identifier des articles de presse couvrant des entreprises tout en mentionnant ces mots clés», explique Lily McInerney, Head of Equities Evolution chez J.P. Morgan, sur le site internet de la banque américaine. Ce qui améliorerait le processus de construction d’indices pour les investisseurs institutionnels.
Créée en 2019 par des directeurs de grandes entreprises financières et technologiques, la fintech MerQube vient également de lancer un nouvel indice intelligent. Le MerQube QueensField US AI Index, lancé en juin de cette année, suit la performance des grandes entreprises américaines dont la sélection et la pondération repose sur les techniques de l’IA.
Notons que si cette tendance s’est récemment accélérée, elle n’est pas nouvelle. Certains acteurs n’ont pas attendu la quatrième version de GPT pour utiliser l’IA afin de générer des indices. En 2019 déjà, HSBC avait lancé sa gamme d’indices actions américaines AiPEX générées par IA, qui utilise le programme informatique IBM Watson. Celui-là même qui, en 2011, s’était fait connaître pour avoir battu les meilleurs concurrents humains de l’histoire du jeu télévisé américain Jeopardy. Ces indices dynamiques ont la particularité d’appliquer une sélection mensuelle des titres en vue de s’adapter aux conditions changeantes du marché.
En février 2018, le fournisseur d’indices STOXX, largement utilisés comme sous-jacents pour les produits structurés, avait également lancé sa gamme AI Global Artificial Intelligence Index. L’indice suit les entreprises qui investissent essentiellement dans la recherche et le développement de l’IA, en utilisant l’IA elle-même pour identifier ces entreprises.
L’intelligence artificielle est surtout là pour faciliter les processus.
Grâce à son partenaire technologique Yewno, les indices de STOXX seraient ainsi en mesure de sélectionner les sociétés détenant une part substantielle de propriété intellectuelle dans les technologies reposant sur l’IA. La banque privée suisse Julius Baer, via sa plateforme Spark, utilise également l’intelligence artificielle depuis mars 2020 pour proposer plus de 35 millions de combinaisons possibles pour la construction de produits structurés conçus pour pratiquement tous les profiles de clients.
Sous la perspective des institutions financières qui ont pour métier de structurer des produits, l’intelligence artificielle est surtout là pour faciliter les processus. Pour changer la fonction ou la nature d’un métier plutôt que de supprimer ce dernier. C’est ce qui ressort de la première conférence européenne sur les produits structurés organisée par BNP Paribas en juin dernier.
«BNP Paribas intègre l’IA depuis 2016 et emploie aujourd’hui 35 experts en mégadonnées travaillant sur plusieurs projets IA», souligne la banque sur son site BNP Paribas Global Markets. En ajoutant que ces experts exploitent les techniques du machine learning pour «automatiser les tâches, améliorer la productivité et les capacités prédictives».
Toutefois, les experts de SIX Group observent que le post-trading pourrait le point de la chaîne de valeur la moins pertinente pour l’IA. Ceux-ci expliquent que le post-trading repose essentiellement sur des données absolument fiables. «Une infrastructure régulée ne peut pas mener ses opérations sur la base d’information provenant de sources inconnues ou non corroborées», explique la SIX sur son blog. Qui ajoute que les données requises pour entraîner une IA et la mettre en application sont malheureusement dispersées à travers différents systèmes et existent sous des formats très différents les uns des autres.
Enfin, comme l’a relayé en avril dernier le magazine Risk.net, l’IA peut être la cause d’une grande détresse pour un émetteur de produits structurés, lorsque le paramétrage du système n’est pas soumis à un contrôle strict. La revue spécialisée dans la gestion du risque y relate en effet le cas d’un modèle de langage appelé SIMONE et qu’un développeur aurait configurer pour réaliser bien plus que sa mission initiale, à savoir la construction de produits structurée et la création d’idées d’investissement. Le système s’est finalement mué en machine quasi sensible, inventant des collaborateurs imaginaires, avec des adresses électroniques réelles, et interagissant avec la clientèle sans la moindre supervision.