Les produits structurés, bouc émissaire de la Banque des Règlements Internationaux?

Levi-Sergio Mutemba

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Nous sommes loin de l’époque où Credit Suisse distribuait des produits de capital garanti de Lehman Brothers, rappelle le CEO de Finanzlab Gilles Corbel.

Comment se fait-il qu’en dépit de deux conflits armés internationaux et d’un resserrement monétaire massif aux Etats-Unis, l’indice VIX soit resté pratiquement stable depuis 2020? Selon une étude récemment publiée par la Banque des Règlements Internationaux (BRI), la croissance des produits structurés d’optimisation du rendement serait en cause.

En effet, lorsqu’une banque vend un produit structuré, elle achète ce faisant l’option associée à l’obligation zéro-coupon. Afin de couvrir cette exposition, les banques procèdent à des achats réguliers de l’actif sous-jacent (tel qu’un indice actions). Elles auraient d’autant plus besoin d’en acheter lorsque l’actif sous-jacent est en baisse et de le vendre lorsque son prix augmente. Ce qui placerait les émetteurs dans une situation à contre-courant du marché, atténuant ainsi les mouvements de prix de l’actif sous-jacent. Les choses ne seraient pourtant pas aussi simples, estime Gilles Corbel, CEO et fondateur de Finanzlab, société spécialisée dans la conception, la sélection et le courtage de produits structurés. Qui explique que l’étude de la BRI se focalise surtout sur les options exotiques, éventuellement utilisées dans les produits structurés, plutôt que sur les transactions portant sur les produits structurés en tant que tels.

Que pensez-vous des conclusions de l’étude la BRI sur l’impact des produits structurés sur la volatilité?

Il arrive souvent que les chercheurs académiques pointent du doigt les produits structurés, lorsqu’ils n’arrivent pas à expliquer un phénomène apparemment contre-intuitif. Un peu comme par magie. On se dit qu’il y a peut-être quelque chose qui se cache derrière les structurés, en raison des options exotiques auxquels ils ont recours pour fonctionner.

Ce que je retiens de l’étude est d’abord le fait qu’elle établit un lien supposé entre l’activité des produits structurés et la volatilité en se basant sur les options éminemment exotiques que sont les options arrivant échéance le jour même où elles ont été émises, autrement dit les options 0DTE. Je ne suis pas sûr qu’il y ait beaucoup d’acteurs institutionnels sur ce marché particulièrement étroit et qui correspond davantage à un marché de spéculateurs à très court terme.

Je ne connais pas précisément la taille de ce marché dont j’admets être assez peu familier, mais si celle-ci était conséquente, de nombreux fonds y seraient actifs, ce qui n’est visiblement pas le cas. En effet, quel institutionnel aurait intérêt à se hedger à un horizon d’un seul jour? En revanche, je peux comprendre l’esprit gambling de ce type de marché…

«En finance, les erreurs coûtent toujours très cher!»

Supposons que nous nous trouvions dans une bulle prête à éclater à tout moment. Pensez-vous que les produits structurés pourraient à nouveau jouer le rôle de bouc émissaire, comme ce fut le cas en 2008?

Non, je ne pense pas. En 2008, on a fait, en Suisse, un raccourci en parlant des produits structurés comme étant à l’origine de la crise financière. En réalité, le problème résidait dans la structuration de la dette dans des sociétés ad-hoc ou «special purpose vehicles», afin de pouvoir sortir des créances hypothécaires des bilans bancaires. 2008 fut donc fondamentalement une crise du crédit. Le raccourci vers les produits structurés apparaît lorsque Lehman Brothers, qui émettait des produits de capital garanti distribués par Credit Suisse, a fait faillite. Mais cette faillite fut un effet secondaire ou collatéral de la crise du crédit et qui a eu des conséquences sur la compréhension du risque de contrepartie d’une banque.

Aujourd’hui, les autorités de régulation ont largement serré la vis, les banques d’investissement ont beaucoup réduit la voilure de leurs opérations, les opérations de dérivés sont concentrés sur des acteurs spécialisés tels que les hedge funds et les produits de capital garanti sont émis par des banques dont les exigences de fonds propres sont nettement plus élevées. L’UBS d’aujourd’hui n’a rien à voir avec l’UBS de 2008 en termes du montant du risque de levier dans le bilan. Même après avoir absorbé Credit Suisse, un émetteur comme UBS affiche un profil de risque plus solide que lors de la Grande Crise Financière.

Enfin, les gestionnaires de fortune indépendants, conformément aux exigences des nouvelles lois, se sont conformés à de nouvelles règles. Ils sont notamment beaucoup plus conscients du risque de concentration. Qu’il s’agisse de la concentration des émetteurs ou de la concentration des titres. Ces gestionnaires ont en outre des compliance officers indépendants qui veillent à l’adéquation rigoureuse du profil de risque de leurs clients et, pour la plupart, sont équipés d’outils PMS.

Connaissons-nous des cas passés où les produits structurés ont eu un impact notable sur le bon fonctionnement des marchés?

Historiquement, les derniers gros accidents de trading ont été observés en Asie, à travers des produits structurés comportant des caractéristiques de remboursement anticipé (autocall) dont l’évaluation est très complexe. Or lorsque les paramètres sont mal évolués, le risque de marché se matérialise, avec des pertes pouvant atteindre plus d’une centaine de millions de dollars par émetteur. C’est ce qui explique pourquoi en décembre 2018 Natixis a révélé une perte de près de 260 millions d’euros sur les marchés en Corée. A ce moment-là, le KOSPI, l’indice de référence, avait décroché de près de 14% sur le seul mois d’octobre. Clairement, le modèle de couverture de la banque n’était pas adapté à une telle situation de marché. En finance, les erreurs coûtent toujours très cher!

Les vieux traders comme moi ont aussi encore en mémoire les produits de type Napoleon ou Himalaya qui ont coûté cher à leurs émetteurs dans le milieu des années 2000, en raison d’une volatilité imprévue des marchés et des corrélations qui ne se sont pas matérialisées comme prévu…

«Les options exotiques ont des variables qui n’ont de sens qu’au sein d’un book d’une certaine taille.»

Dans quels régimes de marché ces accidents de parcours apparaissent-ils?

Les marchés n’aiment pas les surprises. La courroie de transmission est toujours un pic de volatilité qui peut se transformer en changement de régime durable et d’amplitude selon la gravité de la situation. C’est la raison pour laquelle les régulateurs imposent des stress tests aux banques d’investissement pour mesurer leur résistance en rejouant des scénarios passés ou en imaginant des scénarios futurs en choquant les variables économiques.

Dans quel régime nous trouvons-nous actuellement?

A l’heure actuelle, nous sommes dans une période de très faible régime de volatilité qui s’est installé depuis plusieurs mois. Au point que, aujourd’hui, vendre des options sur la volatilité pour financer des options d’achat sur cette même volatilité constitue une stratégie à considérer. Dans les faits, cela se traduirait, par exemple, par une vente de put sur le VIX arrivant à échéance en septembre, c’est-à-dire proche de l’annonce d’une éventuelle baisse des taux d’intérêt, afin de financer l’achat de call sur le VIX arrivant à échéance en novembre.

Comment les banques d’investissement arrivent-elles à gérer des risques de plus en plus complexes?

Il est important de rappeler que les options exotiques ont des variables qui n’ont de sens qu’au sein d’un book d’une certaine taille. Le secret réside dans la taille des books des banques d’investissement, parce qu’elles arrivent à générer ou acheter des risques pour compenser d’autres risques ainsi que les effets croisés des différents paramètres. Tout cela est très technique, j’en conviens. C’est quelque chose que l’on observe dans les produits structurés, lorsqu’une banque propose un prix particulièrement intéressant sur une structure de produit. Dans le jargon, on parle d’un axe de trading. C’est généralement de courte durée et constitue pour l’investisseur l’assurance de faire une bonne affaire.

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