Comment les gestionnaires d’actifs doivent s’approprier l’IA

Salima Barragan

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L’IA ne remplacera jamais un expert. La décision finale incombera toujours au gérant, affirme Alexis de Bernis, CTO de Silex.

Développer de l’intelligence artificielle appliquée à la finance est un projet fascinant, estime Alexis de Bernis Chief Technology Officer de Silex. Depuis sa création, la société genevoise de services financiers est habituée à travailler avec des algorithmes ainsi que de grands volumes de données. Ces dernières nourrissent son système propriétaire en gestion quantamentale; une synergie entre analyse quantitative et fondamentale. «Il ne faut pas craindre l’IA qui évolue à la vitesse de l’éclair, mais se l’approprier», estime cet expert en nouvelles technologies lors d’un entretien avec Allnews.

On parle de plus en plus de l’intelligence artificielle appliquée à la gestion. Comment SILEX se positionne vis-à-vis de cette technologie?

Effectivement, la facilité d’utilisation de ChatGPT a entrainé un buzz spectaculaire, une étape supplémentaire dans l’apparition de modèles statistiques de plus en plus complexes. SILEX s’intéresse à ces modèles depuis le premier jour, pour une gestion quantamentale : des algorithmes appliqués à de larges quantités de données financières fournissant des éclairages pertinents à nos analystes et nos clients. L’idée consiste à extraire des signaux intéressants au-delà du bruit de fond.

Nous voyons l’intelligence artificielle comme un assistant, ou un copilote, au service du gérant. La combinaison de l'homme et de la machine - et la prise de décision par un expert - est un élément majeur de crédibilité et de confiance car il faut pouvoir expliquer et rationaliser ses décisions, ce que les modèles 100% IA peinent souvent à faire. C’est un aspect clé dans la relation de confiance entre les professionnels de l’investissement et leurs clients.

Sur une expérience de 5 mois, un portefeuille modèle construit par ChatGPT a surperformé  les 10 meilleurs fonds britanniques. Chance, ou pas?

Nous ne parlons pas de chance, mais de statistiques. Il est relativement aisé d’appliquer des algorithmes afin d’identifier des combinaisons qui vont surperformer les indices sur une période, mais avant de la valider statistiquement, la surperformance systématique doit être plus longue dans la durée. En d’autres mots, ChatGPT peut afficher des surperformances, mais ce n’est pas pour autant qu’il dégage de l’alpha.

Cela dit, il est intéressant de se poser la question de cette possible surperformance : ChatGPT fait partie des larges modèles de langage (LLMs) qui excellent dans l’analyse de grande quantité de contenu en langage naturel, et peuvent en extraire les tendances principales. Ce n’est rien de nouveau : pensez aux algorithmes de la finance comportementale, sur Twitter ou Reddit qui traquent le sentiment des participants et qui ont pu démontrer une valeur prédictive.

Comment utilisez-vous l’intelligence dans le cadre de vos activités?

Nous utilisons depuis longtemps des modèles statistiques dans nos outils SPARK pour l’analyse de l’univers d’investissement et la mesure des risques de nos portefeuilles, alimentés quotidiennement par des millions de points de données.

Les modèles d’IA générative comme ChatGPT apportent une possibilité décuplée de traitement en langage naturel. Appliquées à la problématique de l’expérience client – sujet au cœur de la transformation digitale – elles vont permettre des avancées concrètes, en particulier lors des étapes d’onboarding, de revue de portefeuille et de propositions d’investissement. Le système permet de traduire des données complexes dans un langage clair et compréhensible pour le client final.

Quels sont aussi les risques de l’IA en finance?

La matière première, c’est-à-dire les données disponibles en grand volume, se périme rapidement. Ce qui est vrai à un moment donné peut devenir faux le lendemain. Les dynamiques et mécanismes de marché changent brusquement. Les calibrations des modèles doivent évoluer et tenir compte de ces phases. Avec les IA génératives comme ChatGPT, le phénomène d’hallucination constitue un second risque important : lorsque le modèle vous retourne une affirmation crédible, mais parfaitement fausse. Pour cette raison, je pense que l’IA ne dépassera pas encore le statut d’assistant, car à la fin de la journée, le gérant est l’ultime responsable des décisions d’investissement devant son client.

Quelle est votre vision de l’IA dans la finance d’ici 5 ans?

Ces modèles étaient auparavant uniquement disponibles aux grandes équipes de recherche. Mais le cloud et le développement de l’IA open-source vont permettre d’étendre massivement les usages et expérimentations dans tous les domaines. De façon générale, cela va grandement faciliter les échanges et l’accès à l’information – via des réponses en langage naturel plutôt que des liens vers des pages indexées. En finance, et plus particulièrement dans la gestion de fortune - ces outils vont permettre des gains de productivité permettant de se concentrer sur la relation avec les clients et la prise de décision aidée par des indicateurs à haute valeur informative.

Avez-vous des projets en cours dans ce sens?

Nous investissons en permanence sur notre plateforme my_SPARK, avec notre équipe de développeurs et d’analystes de données. Notre vision est l'amélioration de l'expérience client pour le gérant de fortune et son client - c'est d'après nous un domaine sur lequel il reste beaucoup à innover - car les interactions se résument souvent à de longs formulaires papier ou des tableaux de chiffres peu engageants. Enfin, l’intelligence artificielle constitue également pour nous un thème d’investissement, tel que l’impact de l’IA dans le secteur de la santé. Nous avons lancé un AMC sur la thématique, car nous sommes convaincus que l’IA va jouer un rôle clef dans la recherche et surtout les diagnostics et thérapies des patients qui seront beaucoup plus précis et efficaces à moindre coût.

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