L’Europe, nouveau terrain de chasse pour les fonds activistes

AWP

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Les campagnes d’activisme actionnarial sur des sociétés européennes ont doublé en cinq ans, selon une étude de la banque Lazard.

Appâtés par un marché encore immature et des valorisations attractives, les fonds activistes investissent de plus en plus l’actionnariat des sociétés cotées européennes, et cherchent à convaincre en pointant des carences supposées de leurs dirigeants.

Les campagnes d’activisme actionnarial sur des sociétés européennes ont en effet doublé en cinq ans, selon une étude de la banque Lazard, montrant un appétit récent et vorace de certains acteurs financiers pour le Vieux Continent.

A la manoeuvre, des fonds activistes américains comme Elliott - qui s’est distingué dans le rachat des dettes de pays en crise - ou Icahn Associates mais aussi européens comme le suédois Cevian ou les britanniques Amber Capital et TCI, tous richement dotés, qui ont totalisé 58 campagnes en Europe l’an dernier pour un montant de 15,7 milliards de dollars déployés.

Ces acteurs financiers prennent des participations minoritaires de sociétés cotées supposées mal gérées et engagent souvent des bras de fer avec la direction pour orienter la stratégie et surtout réaliser une plus-value importante.

Le fonds TCI, entré au capital de l’équipementier aéronautique Safran en 2017, avait par exemple réussi à reporter le rachat de Zodiac, pointant au passage «l’incompétence» du président du conseil d’administration.

Première raison de cet engouement, «un marché originel américain mature qui pousse les fonds activistes à chercher un nouvel échiquier», observe Armand Grumberg, associé du cabinet d’avocats Skadden, Arps, Slate, Meagher & Flom.

Les marchés boursiers européens, malmenés en 2018, prêtent aussi le flanc à un discours qui allègue des insuffisances dans la gestion de certains groupes cotés, une clé d’entrée classique des fonds activistes.

De même, la gestion de certaines entreprises familiales - encore très présentes en Europe - qui se fait sur d’autres critères que l’amélioration immédiate du cours de Bourse, ouvre une porte à ces acteurs financiers court-termistes.

C’est le profil de Pernod Ricard, pris d’assaut par Elliott en décembre 2018, ce dernier demandant en vrac au deuxième groupe mondial de spiritueux d’ouvrir sa gouvernance, de se restructurer ou encore d’envisager une fusion avec un autre acteur du secteur.

Ce même fonds avait ravi en mai à Vivendi le contrôle du conseil d’administration de l’opérateur italien Telecom Italia, alors même que le groupe français en est le premier actionnaire.

Approche empirique

Perçu comme complexe, le marché européen, aux règles juridiques et aux normes politiques et sociales propres à chaque pays, avait jusqu’à présent tenu à distance beaucoup de ces fonds.

Les plus aventureux ont opté pour l’approche empirique, commençant par réaliser des investissements dans des sociétés de taille modeste pour ensuite, se lancer dans des campagnes de plus grande ampleur.

Ainsi Elliott s’est-il d’abord intéressé en 2015 au groupe de transports et logistique Norbert Dentressangle, avant de s’attaquer en 2018 à des proies autrement plus grosses.

Autre avantage pour ces acteurs financiers: certaines sociétés européennes sont valorisées «à des niveaux moindres que leurs homologues outre-Atlantique, offrant un point d’entrée plus attrayant pour un fonds activiste», constate Richard Thomas, associé gérant chez Lazard.

Celles qui ont engagé des évolutions stratégiques importantes de leurs modèles sont aussi plus vulnérables aux discours critiques, tactique très employée par les fonds activistes. Ces derniers arrivent en effet avec leurs idées, leurs visions stratégiques et des conseils à la direction.

Au-delà de propositions sincères, certains peuvent aussi avoir recours à la diffusion de rumeurs destinées à déstabiliser une société et son cours de bourse.

Axant leur discours sur le nécessaire caractère irréprochable de la gouvernance, ils trouvent en tout cas «une oreille plus attentive et réceptive aujourd’hui parmi les actionnaires des groupes cotés», qu’ils soient institutionnels ou petits porteurs, constate Bénédicte Hautefort, directrice de la publication de l’Hebdo des AG.

«Les institutionnels, qui représentent une part croissante de l’actionnariat des sociétés cotées en Europe, sont soumis à plus d’exigences de la part de leurs souscripteurs. Ils doivent rendre compte de leur politique de vote, ce qui les rend plus sensibles aux discours des nouveaux entrants activistes», complète Patricia Charléty, professeure à l’Essec.

Certaines évolutions légales donnent aussi davantage de pouvoir direct aux actionnaires, comme la diminution de la participation nécessaire pour soumettre une résolution à une assemblée générale.

D’autant qu’avec un taux de participation aux assemblées générales moins fort en Europe qu’aux États-Unis, de l’ordre de 65% contre 90%, les actionnaires disposent d’un pouvoir relatif plus fort lors des votes.

L’objectif final de ces fonds reste de gagner un maximum d’argent et «les instruments financiers permettent de spéculer à la hausse comme à la baisse», rappelle Bénédicte Hautefort.
 

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