L’avenir de la Suisse à l’aune de sa démographie

Emmanuel Garessus

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Lors des Journées de la prévoyance, les experts soulignent les effets du vieillissement et de la géopolitique sur une Suisse de bientôt 11 millions d’habitants.

©Keystone

 

Face aux tourbillons imprévisibles du court terme, il importe de se pencher sur les tendances à long terme, celles du passé, si l’on entend présenter des scénarios crédibles du développement de la population suisse. La pyramide des âges actuelle résume 100 ans de l’histoire démographique, avance Stéphane Cotter, chef de la section démographie et migration à l’Office fédéral de la statistique, lors des Journées de la prévoyance, jeudi à Montreux.

La population suisse a triplé en 150 ans pour atteindre 8,9 millions d’habitants tandis que l’espérance de vie de sa population a doublé à 85,9 ans pour les femmes et 82,3 ans pour les hommes.

Deux facteurs ont contribué à cette évolution, l’augmentation dite naturelle (augmentation de l’espérance de vie et baisse de la fécondité) et le solde migratoire. Mais la tendance n’est pas constante. L’espérance de vie a chuté lors de la grippe espagnole de 1918 par exemple. Mais les progrès considérables de l’espérance de vie intervenus depuis le XIXe siècle doivent beaucoup à la diminution des maladies infectieuses et à ce que Stéphane Cotter appelle la révolution cardiovasculaire.

«L’évolution du solde migratoire est devenu le premier facteur de l’évolution démographique du pays.»

A l’heure d’une forte baisse des inégalités entre hommes et femmes, Stéphane Cotter montre que l’écart d'espérance de vie entre les genres s’est maintenu et ne disparaît pas. L’écart de l'espérance de vie a atteint 7,1 ans en 1980 avant de diminuer à 3,6 ans parce que les progrès contre les maladies cardiovasculaires ont surtout profité aux hommes alors que les femmes ont été de plus en plus touchées par des pathologies autrefois réservées le plus souvent aux hommes, comme les cancers du poumon. A 65 ans, l'espérance de vie est actuellement de 22,8 ans pour les femmes et 20,3 ans pour les hommes. A l’avenir, l’écart devrait diminuer, prévoit Stéphane Cotter.

L’évolution du solde migratoire est devenu le premier facteur de l’évolution démographique du pays. La Suisse a été un pays d’émigration à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, rappelle l’orateur. Actuellement, l’immigration est forte, avec 264’000 immigrés en 2023 contre 121’000 émigrés, soit un solde de 143’000. Mais l’ajout de 50’000 personnes de statut S n’a pas été sans effet.

Augmentation des centenaires

En termes de structures, il ressort que la détérioration de la pyramide des âges provient de l’augmentation de l’espérance de vie et de la diminution de la fécondité. Aujourd’hui, les moins de 20 ans et les plus de 65 ans représentent deux groupes qui forment chacun 20% de la population. Les courbes des deux groupes sont exactement au point d’intersection.

Le vieillissement est impressionnant. La Suisse compte 1700 centenaires féminins et 400 centenaires masculins. Le vieillissement du pays est toutefois plus modéré que dans d’autres pays en raison du solde migratoire. La proportion de la population étrangère atteint 27%, après avoir été limitée à 5% après la Deuxième Guerre, observe Stéphane Cotter. Cette proportion atteint même 40% pour les 35-40 ans. Ce qui souligne l’intérêt économique de l’immigration, du moins lorsqu’elle parvient à s’intégrer, juge Famke Krumbmüller, chez EY.

L’OFS publie ses prévisions démographiques à 50 ans tous les cinq ans. La prochaine estimation sera présentée en 2025. Stéphane Cotter a donc repris les prévisions de 2020. Il en ressort que le pays devrait compter 11,1 millions d’habitants en 2070, avec un scénario bas à 9,4 millions et un autre élevé à 13 millions. Facteur crucial, le solde migratoire devrait diminuer, selon l’OFS, en raison de l’attrait relatif croissant de l’UE.

Les défis d’un tel scénario démographique sont aussi bien économiques que sociaux et politiques. La proportion des 80 ans et plus devrait passer de 30% actuellement à 43% en 2070. Pour Stéphane Cotter, la Suisse devra «s’adapter pour profiter d’une société de longue vie».

Avantage démographique au Sud global

Les pays du «Sud global» présentent des perspectives démographiques nettement plus favorables que les pays occidentaux. Leur population s’accroît tandis qu’elle diminue chez ces derniers, selon Famke Krumbmüller. Cela devrait accroître leurs perspectives économiques et renforcer leur rôle politique à un moment de bascule, celui de l’entrée dans un monde multipolaire. L’Inde, la Chine et le Nigeria comptent le plus grand nombre d’habitants. La solution, dans les pays occidentaux, passe par une augmentation de l’immigration, mais ce n’est politiquement pas populaire, selon Famke Krumbmüller. Les sondages montrent qu’une majorité des Européens et des Américains sont insatisfaits de la politique migratoire de leur gouvernement. Politiquement, ce sont d’ailleurs les partis populiste qui ont le vent en poupe. Il en résulterait, selon l’experte d’EY, une augmentation de l’euroscepticisme, un ralentissement de politiques vertes et des politiques budgétaires populistes.

Les tendances géopolitiques incitent l’experte à prévoir que les libertés économiques continueront de diminuer dans le monde. Famke Krumbmüller estime peu probable l’émergence d’une «globalisation ligh» ou de pays dont la stratégie vise l’autosuffisance. Par contre, elle juge plus probable un monde où le «Friends First» prédomine, caractérisé par la recherche d’alliances dans les secteurs industriels stratégiques, où l’émergence d’une «guerre froide 2.0», avec une répartition de l’économie en trois blocs (occidentaux, Chine-Russie, Etats en transition). Décidément, l’interventionnisme et le protectionnisme ont le vent en poupe.

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