L’année qui s’ouvre ne sera pas moins complexe que 2020

Philippe Waechter, Ostrum AM

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De la crise sanitaire à l’élection de Joe Biden et à l’accord sur le Brexit, l’incertitude a marqué 2020.

L’année qui vient de s’achever a été chaotique à bien des égards. De la crise sanitaire à l’élection de Joe Biden et à l’accord sur le Brexit, l’incertitude a marqué 2020. Chacun a bien essayé de prévoir ce qui pourrait se passer mais l’économie globale a été dans une posture peu probabilisable. La politique économique très expansionniste a eu pour dessein de limiter et de maîtriser ces incertitudes. La combinaison des politiques gouvernementales et de l’action des banques centrales a été efficace.

Ces incertitudes ont cependant accéléré des changements d’orientation qui paraissaient de faible ampleur et qui désormais façonnent la dynamique mondiale tant économique que politique. Les tensions sino-américaines témoignent de ce phénomène. Regardons vers l’avant désormais. Six points conditionneront l’économie d’après.

La dette publique a été l’instrument de la mutualisation du choc sanitaire dans le temps. Son montant a considérablement augmenté. Selon le FMI, le ratio dette sur PIB est au plus haut depuis 1880. Le risque désormais est, pour les gouvernements, d’avoir une capacité à intervenir plus réduite si la crise sanitaire se prolonge. La discussion portera alors sur l’effacement de la dette qui ne peut se produire en zone Euro car il faudrait l’unanimité des gouvernements pour le faire. Personne ne peut y croire. Le risque est aussi de perdre en crédibilité si la crise s’accentue alors que les évolutions des revenus et de l’emploi deviendront plus incertaines. L’outil pourrait perdre en efficacité et cette perte de crédibilité pourrait être au cœur d’une crise sociale.

Cela veut dire aussi que l’ajustement macroéconomique pourrait changer de nature et ne plus passer uniquement par la dette publique. Un taux d’inflation plus élevée pourrait modifier les arbitrages dans l’espace et dans le temps. L’inflation plus élevée pourrait provenir d’une économie globale moins cohérente, la globalisation a changé de nature, mais aussi d’une indexation plus élevée sur les salaires et une sous-indexation des pensions.

Les technologies de l’information
ont déjà bouleversé les habitudes.

Le changement dans l’allocation des ressources. Des secteurs entiers de l’économie vont être affectés par la crise dans la durée. Le transport aérien n’aura probablement plus l’attrait et la vitesse de développement qu’il connaissait précédemment. Les technologies de l’information ont déjà bouleversé les habitudes. Toutes les réunions ne se feront pas derrière un écran mais compte tenu des économies de coûts engendrées, elles se substitueront aux voyages inutiles. Cela veut dire aussi que la question de l’hébergement sera posée différemment. Les hôtels dépendent beaucoup des voyages d’affaires pour disposer d’un taux d’occupation élevé durant la semaine. Les stratégies vont changer dans de nombreux secteurs existants dans les services. D’autres secteurs porteront la croissance dans le futur. C’est ce bouleversement qu’il faut appréhender même s’il est délicat de savoir a priori qui en sortira vainqueur.

Le choc technologique. La bataille entre les Etats-Unis et la Chine est celle de la suprématie technologique. La confrontation entre les deux pays est passionnante car il y a d’un côté des entreprises très établies, avec parfois des quasi monopoles dans les pays développés et de l’autre côté un soutien considérable de l’Etat pour développer les technologies qui seront au cœur des développements industriels et de services dans l’économie d’après.

La mise en place du télétravail mais aussi la globalisation de la troisième génération (automatisation des services à distance et travail transfrontière, selon Richard E. Baldwin) donnent une nouvelle dimension digitale à l’économie globale. Des nouvelles normes ont été accéléré par la crise. L’enjeu est désormais celui de la définition du standard technologique. C’est pour cela que les tensions ne vont pas s’éteindre spontanément.

La polarisation de l’économie globale. Depuis le début des années 1980, l’économie globale s’est intégrée. D’abord par le biais de la finance et le rôle majeur des banques centrales puis, depuis le début des années 2000, par l’irruption de la Chine dans les échanges après son adhésion à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). La globalisation financière, poussée notamment par les Etats-Unis de Ronald Reagan et facilitée par la technologie, a progressivement unifié les marchés financiers. La Chine a redonné du pouvoir aux pays en développement. La taille de l’Empire du milieu a ainsi infléchi la hiérarchie de la production mondiale puisque désormais la production des pays développés pèse pour moins de la moitié de la production mondiale.

La pandémie et les tensions sino-américaines ont bouleversé ces situations. La pandémie car elle a provoqué davantage de «chacun pour soi» dans la gestion macroéconomique puisque chaque pays a ses propres institutions et que tous n’ont pas été touchés au même moment. Il fallait pour chacun préserver sa capacité à gérer l’emploi. Les tensions sino-américaines ont été économiques, technologiques mais aussi politiques. La nouveauté est que la Chine a une dimension politique que le Japon n’a pas eu par le passé alors que c’était un géant de la technologie. Ce caractère politique s’appuie aussi sur la taille du pays et de sa population. L’Europe tarde à se positionner. Amie des Etats-Unis mais conditionnée par la Chine, l’Europe doit encore affirmer ses choix.

La crise sanitaire a provoqué une prise de conscience plus importante
de la nécessité de faire attention à l’environnement dans lequel nous évoluons.

La lutte contre les inégalités. Le constat de la globalisation est que les inégalités entre pays ont eu tendance à se réduire de façon importante puisque le taux de pauvreté mondial (personnes vivant avec moins de 1,9 dollar par jour) était au plus bas en 2017 mais les inégalités au sein de chaque pays ont eu tendance à s’accroître.

La pandémie modifie ces deux dimensions. D’abord parce que de nombreux pays émergents vont être pénalisés par le choc économique qui lui est associée. Le taux de pauvreté va probablement repartir à la hausse puisque l’activité de nombre d’entre eux est conditionnée par la conjoncture des pays développés.

L’autre point concerne les inégalités internes. Elles sont marquées partout, soit avant redistribution (France) soit après (Etats-Unis). Il y a des choix à faire car on s’aperçoit que l’économie du citoyen médian est généralement moins bonne lorsque les inégalités s’accroissent. L’importance plus marquée des politiques budgétaires dans la régulation macroéconomique aura certainement un impact fort puisque les différences de patrimoines sont très liées à l’évaluation des actifs financiers. Depuis le début des années 1980, la baisse continue des taux d’intérêt a fortement contribué à la revalorisation de tous les actifs financiers et donc des patrimoines les plus élevés. Cette situation est terminée puisque les taux d’intérêt nominaux sont très bas pour une longue période alors que les taux d’intérêt réels seront négatifs. L’économie va basculer davantage vers l’économie et moins vers la finance.

La croissance soutenable. La crise sanitaire a provoqué une prise de conscience plus importante de la nécessité de faire attention à l’environnement dans lequel nous évoluons. Chacun a noté les bienfaits sur cet environnement des périodes de confinement. Mais personne n’est franchement prêt à accepter une baisse de revenu qui serait compatible avec une situation de ce type qui s’inscrirait dans la durée. Au-delà de cet arbitrage impossible, les choix à faire doivent s’inscrire dans la durée puisque les effets négatifs des émissions de gaz à effet de serre, par exemple, ne sont visibles qu’après plusieurs années.

La substitution massive des énergies doit s’opérer rapidement pour limiter les effets retard mentionnés. Pour atteindre la neutralité carbone à l’horizon de 2050, il faut dès maintenant mettre en œuvre des stratégies volontaristes. Cela passe par d’importants investissements tant publics que privés. Cela doit se faire maintenant. C’est la condition nécessaire mais sûrement pas suffisante pour maintenir une trajectoire robuste des revenus et de l’emploi. Demain, il sera trop tard.

Conclusion. Ce cadre est forcément très contraignant car l’équilibre macroéconomique a été bouleversé par la crise sanitaire dans un environnement déjà sous tensions. Les politiques monétaires de taux d’intérêt zéro ne datent pas de cette crise, les tensions sino-américaines y sont aussi antérieures, les gains de productivité étaient réduits et la hausse de la dette publique, si elle s’est accélérée pendant la crise, était déjà bien perceptible auparavant. La crise sanitaire a accentué les déséquilibres macroéconomiques déjà perceptibles et elle en a ajouté puisque des secteurs d’activité vont devoir être repensés. Bref, la crise sanitaire oblige à réfléchir différemment au modèle économique et c’est cela qui va être fascinant au cours des prochaines années.

Le nouvel équilibre passera, au moins temporairement
par davantage d’inflation.

A court terme, l’enjeu de 2021 sera la gestion par la politique économique de la situation macroéconomique. L’intervention des Etats en 2020 a permis, partout dans le monde, de repousser les ajustements en attendant de trouver une solution à la crise sanitaire. Cependant, celle-ci continue au début de 2021. Le Royaume-Uni vient de durcir son confinement, l’Allemagne également et les mesures restrictives en France ne seront pas levées avant un bon moment. L’effort de l’Etat sera-t-il maintenu de la même façon qu’en 2020 ou bien les gouvernements commenceront-ils à réduire leur effort? Ici il y a deux possibilités. La première est de mettre en œuvre des moyens plus limités, passant alors aux ménages et aux entreprises la dynamique de l’ajustement. Cela veut dire un risque de défaut plus élevé du côté des entreprises et une hausse du chômage puisque les différents filets de sécurité auront des mailles plus larges. La seconde possibilité, qui ne me semble pas pertinente pour l’instant, est celle de la volonté de revenir rapidement à l’orthodoxie budgétaire. Un mouvement trop rapide, au regard de la conjoncture, rappellerait la difficile période de 2011-2012 qu’il n’est pas souhaitable de remettre en œuvre.

Ma perception est que les gouvernements resteront très présents en 2021 mais avec des mailles plus larges dans le filet de sécurité. L’ajustement macroéconomique ne passera plus uniquement par l’augmentation de la dette publique et son achat par les banques centrales. Le nouvel équilibre passera, au moins temporairement par davantage d’inflation. D’abord parce que cela facilitera la réallocation des ressources, à la manière dont cela s’est passé dans les années 1970 après le premier choc pétrolier. L’inflation avait facilité les ajustements. Avec l’action toujours active des banques centrales, cela se traduira par des taux d’intérêt réels négatifs pour, in fine, inciter les acteurs de l’économie à se tourner vers l’économie. Cela facilitera aussi la gestion de la dette publique en laissant davantage de marges de manœuvre aux gouvernements. C’est mon pari à l’horizon 2025. Le taux d’inflation dépendra davantage de considérations internes qu’externes, le contraire de ce qui a été observé pendant la globalisation, et sera plus élevé que les objectifs définis par les banques centrales.

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