Législatives en France: et maintenant?

James Mazeau, UBS Global Wealth Management

3 minutes de lecture

Aucun parti n’a obtenu de majorité absolue à l’Assemblée nationale à l’issue du deuxième tour. Quelles conséquences économiques suite à cette nouvelle donne imprévue? Analyse.

L’actualité politique est au cœur des préoccupations en Europe alors que les investisseurs évaluent le résultat des législatives françaises. Aucun parti n’a obtenu de majorité absolue à l’Assemblée nationale à l’issue du deuxième tour. Quelles conséquences économiques suite à cette nouvelle donne imprévue? Analyse.

Le grand nombre de candidats qui se sont désistés après le premier tour et le plus fort taux de participation depuis quarante ans (près de 67%) ont empêché le Rassemblement national (RN) de décrocher la majorité. La stratégie du centre-gauche consistant à s’unir pour former un «front républicain» contre le RN a porté ses fruits.

Trois grands groupes

Les chiffres définitifs donnent 182 sièges au Nouveau Front Populaire (NFP), loin du nombre nécessaire pour obtenir la majorité absolue (289) et pas assez pour assurer la stabilité politique en France. Le parti centriste Ensemble a surpris en obtenant 168 sièges, ce qui en fait la deuxième force politique. Le RN est arrivé en troisième position avec 143 sièges, suivi par Les Républicains (LR) avec 45 sièges.

Le président Emmanuel Macron doit maintenant nommer un Premier ministre capable de former un gouvernement. Il n’y a pas de calendrier strict pour la formation d’un gouvernement mais aucun texte législatif ou réglementaire ne peut être adopté d’ici-là. En l’absence de majorité claire, le risque de blocage institutionnel est significatif.

A quoi faut-il s’attendre?

Trois cas de figure se dessinent. Premièrement, Emmanuel Macron pourrait, comme le veut l’usage, nommer un Premier ministre issu du bloc ayant le plus grand nombre de sièges à l’Assemblée nationale (en l’occurrence, le NFP) mais il n’y est pas obligé par la Constitution. Un vote de confiance au Parlement n’est pas obligatoire mais, dans la pratique, le Premier ministre doit être soutenu par une majorité car les députés ont le pouvoir de renverser le gouvernement au moyen d’une motion de censure.

Un gouvernement technocratique – composé d’experts techniques et non de politiciens – est une autre possibilité mais elle nous semble peu probable. Troisième possibilité, un gouvernement soutenu par des partis modérés (Parti socialiste + droite modérée + Ensemble).

Dans ces deux derniers cas de figure, le gouvernement aurait probablement peu de chances de s’inscrire dans la durée. Toutefois, l’article 12 de la Constitution française stipule que le président doit attendre douze mois pour dissoudre à nouveau l’Assemblée nationale.

Le Nouveau Front Populaire au pouvoir?

Un gouvernement issu du NFP tentera probablement d’abroger les récentes réformes des retraites et de l’assurance-chômage et d’augmenter le salaire minimum. Il sera sans doute peu enclin à réduire le déficit budgétaire. En l’état actuel, la mise en œuvre du programme du NFP pourrait creuser significativement le déficit budgétaire, qui est déjà élevé.

Sans majorité absolue, il serait difficile de faire adopter des lois, mais il existe d’autres possibilités. Par exemple, le gouvernement pourrait tenter d’obtenir une majorité au cas par cas pour chaque texte de loi. Il pourrait également invoquer l’article 49.3, qui lui permet d’adopter une loi sans vote, au risque toutefois d’être confronté à une motion de censure. Si cette motion de censure est adoptée, le gouvernement expédie les affaires courantes jusqu’à la formation d’un nouveau gouvernement.

Quel que soit le bord politique du nouveau gouvernement, il aura notamment la tâche de présenter un projet de loi de finances (budget) pour 2025. Un gouvernement minoritaire peut faire adopter un budget en contournant la chambre basse du Parlement. Pour ce faire, il peut invoquer l’article 49.3 de la Constitution ou l’article 47, qui permet de mettre en œuvre les dispositions de la loi de finances par voie d’ordonnance au bout de 70 jours et donne au gouvernement les moyens de percevoir l’impôt et d’engager des dépenses.

Quel est l’impact probable sur les marchés financiers?

Les conséquences varient selon veut investir ou est investi ou veut le faire en actions ou en olbigations. Bref panorama et explications en trois points.

  1. Actions: un parlement sans majorité est probablement le meilleur scénario

Il s’agit certainement de l’issue la plus favorable après les résultats du second tour mais la volatilité pourrait perdurer. Les actions françaises avaient chuté d’environ 4% dans le sillage de la dissolution annoncée le 9 juin. Cependant, lundi dernier déjà, le CAC 40 a rebondi après avoir ouvert en baisse dans les premiers échanges.

Cependant, l’incertitude politique reste considérable en France. Les législatives ont fait resurgir la question de la dette publique française compte tenu de l’ampleur du déficit budgétaire. On peut donc s’attendre à ce qu’il subsiste une certaine prime de risque politique et à ce que le rebond du marché soit modeste dans l’immédiat, les investisseurs étrangers étant susceptibles de considérer que le contexte politique en Europe reste incertain.

  1. Obligations: une valeur relative guère attrayante

Les perspectives fondamentales pour la note souveraine de la France se dégradent, avec un ratio d’endettement élevé et grandissant, un déficit budgétaire élevé et une hausse du coût de financement. Mais il est peu probable que les agences de notation dégradent la France compte tenu du résultat des législatives. Elles attendront sans doute de voir quelles mesures budgétaires le nouveau gouvernement adoptera.

Il sera notamment intéressant de voir de quelle manière il répondra aux demandes de la Commission européenne, qui pourrait engager formellement une procédure pour déficit excessif. Compte tenu du calendrier politique, il faudra certainement attendre le mois de novembre pour que la situation se décante.

Depuis le premier tour des élections, à l’issue duquel le risque de majorité absolue pour les partis les plus extrêmes s’est éloigné, l’aversion au risque est retombée et la prime de risque sur les emprunts d’État français a baissé.

L’écart entre l’OAT (obligations assimilables du Trésor) et le Bund allemand à dix ans a diminué d’environ 16 points de base (pb) après avoir culminé à 81 pb. Le marché des obligations d’entreprises françaises, en particulier les banques, s’est également redressé. Cependant, les spreads sont supérieurs aux niveaux observés avant les élections et devraient le rester dans l’immédiat.

Risque de dégradation de la dette souveraine

Compte tenu de la possible impasse politique, de la faible visibilité sur les décisions politiques ou réglementaires et de la possibilité d’une nouvelle dégradation de la notation de la dette souveraine française, la volatilité des actifs français devrait rester marquée. Toute déclaration laissant entrevoir un bras de fer avec la Commission européenne est susceptible de faire flamber les rendements.

Les fluctuations de marché pourraient être amplifiées par une liquidité limitée et des conditions techniques difficiles, d’autant que l’été est traditionnellement une période creuse, qu’une part relativement importante de la dette française est aux mains d’investisseurs étrangers et que la Banque centrale européenne s’efforce de réduire son bilan.

Le potentiel de hausse est donc limité et on voit de meilleures opportunités dans les pays où la trajectoire de la dette est plus stable. S’agissant des obligations d’entreprises, on préférera toujours les obligations d’émetteurs de qualité.

  1. L’impact sur l’euro s’annonce limité, avec toutefois quelques bémols

L’euro était en légère baisse dans les premiers échanges lundi dernier, à environ 1,08 face au dollar américain. La prime de risque sur l’euro semble s’être déjà quelque peu estompée.

Toutefois, si jamais la gauche forme un gouvernement et impose sa stratégie, l’EURUSD est susceptible de tomber sous 1,05 étant donné la politique budgétaire expansionniste qui découlera de la mise en œuvre du programme du NFP, alors même que la France a de bonnes chances de faire l’objet d’une procédure pour déficit excessif.

Si le nouveau gouvernement est composé de partis modérés, l’EURUSD devrait en revanche rester proche de 1,08.

A lire aussi...