Jeunesse éternelle – Première partie

Salima Barragan

4 minutes de lecture

Un marché de près de 900 milliards de dollars. Petit tour d’horizon des techniques du futur.

A la Silicon Valley, la recherche en biologie moléculaire visant à ralentir, arrêter voire inverser les effets liés au vieillissement cellulaire, est en effervescence. La jeunesse éternelle n’est pas un fantasme nouveau mais les percées scientifiques actuelles sont saisissantes. De ce fait, des investissements massifs abondent sur les sociétés de biotechnologie en phase préclinique promettant une «qualité de vie ajustée». Car c’est bien de cela dont il s’agit: prolonger la vie en bonne santé. Ces thérapies de l’avenir, bien qu’à leur balbutiement, sont les prémisses d’un sursis de jeunesse.

Pour entrer en matière, nous aborderons dans cette partie, certaines techniques en gardant en tête que cette discipline se développe à un rythme très lent. Dans un second volet, nous identifierons les futurs acteurs de cette révolution biologique. Rappelons simplement ici que la capitalisation de marché cumulée des biotechs américaines et européennes se situait aux environs de 863 milliards de dollars en 20171.

Les principales causes de décès dans les pays développés
sont les cardiopathies ischémiques et les AVC.
Le marché colossal d’une population vieillissante

Environ 8,5% de la population mondiale est âgée de plus de 65 ans. Mais la société vieillit. D’ici 2030, cette tranche représentera 1 milliard d’individus et d’ici 2050, elle aura doublé de taille. La durée de vie maximale est actuellement établie à 115 ans. A chaque décennie, l’espérance de vie s’est rallongée de 2 ans et demi. Ce qui revient à dire que depuis le début du XXe siècle, elle s’est majorée de 30 ans, d’où une augmentation inévitable des maladies liées à l’âge. Selon l’Organisation mondiale de la Santé, les principales causes de décès dans les pays développés sont les cardiopathies ischémiques (insuffisances cardio-vasculaires dues aux rétrécissements des artères coronariennes) et les accidents vasculaires cérébraux (AVC).

Source: Organisation mondiale de la Santé

Par tranche d’âge, le cancer (tous types confondus) est la première cause de mortalité auprès de la population au-dessus de 45 ans. Chez les plus de 65 ans, il s’agit des affections cardiaques.

Quels sont les stigmates de l’âge? C’est l’ADN qui s’étiole, les mitochondries qui s’altèrent, le système endocrinien qui s’endort, les organes sensoriels qui déclinent, les artères qui s’entravent et le cerveau qui s’embrume. Les cellules s’oxydent et le système général faibli, devenant un terrain propice aux maladies. La médecine biomoléculaire aspire à agir sur ces paramètres afin de prolonger la durée de vie en bonne santé, avec comme corolaire, une augmentation de la longévité. La mort attendra encore un peu.

Des programmes de recherche les plus sinistres aux plus prometteurs

Le sang jeune est considéré, autant dans les mythes que par certains cercles transhumanistes, comme un élixir de jouvence. Les premières transfusions de sang pour régénérer les cellules vieillissantes remontent aux années 1950. Mais les expérimentations se soldèrent avec une fin tragique : un professeur, s’étant injecté le sang d’un étudiant atteint de malaria et tuberculose, serait ironiquement décédé des suites de ces maladies. Depuis, une étude datant de 2014, publiée par la prestigieuse Université de Harvard, a remis l’idée au goût du jour. La start-up américaine Ambrosia propose des injections de plasma d’adolescents pour 8'000 dollars. Tout personne au-dessus de 35 ans et prête à payer ce prix pour un shot de juvénilité, est éligible en tant que cobaye au programme de recherche de la firme californienne. En espérant sincèrement qu’il n’aboutisse pas, au risque de rentrer dans un monde où le plasma d’enfants devienne un antidote convoité, ouvrant ainsi la porte à d’inquiétants marchés noirs.

Suite à un stress biologique, certaines cellules
cessent de se diviser et deviennent sénescentes.

Il faut attendre les années 1990 pour assister à l’essor des programmes de manipulation génétique. Les premières expériences sur des nématodes ont été concluantes et la durée de vie de ces vers de terre avait été multipliée par 10. Celles sur des rats de laboratoire ont permis de doubler leur espérance de vie. Bien que les différences entre les codes génétiques de ces espèces et des êtres humains semblent infinies, ces expérimentations ont ravivé les espoirs de la communauté scientifique. Faut-il pour autant rechercher un allongement de la vie à tout prix? Rappelons-nous de l’histoire du prince troyen Tithon, condamné au dessèchement éternel. Diminuer les symptômes liés au processus cellulaire vieillissant ne semble-t-il pas plus indiqué?

Les traitements en pipeline dans les biotechs se distinguent entre ceux qui assurent la jeunesse des cellules et ceux qui soignent directement les maladies dégénératives. L’arrêt du cycle cellulaire, la sénescence, est l’une des causes les plus étudiées du vieillissement. Suite à un stress biologique, comme l’oxydation ou une brèche de l’ADN, certaines cellules cessent de se diviser et deviennent sénescentes, sécrétant une protéine toxique qui contamine les cellules adjacentes, provoquant ainsi des inflammations dans le corps et la dégradation des tissus. Les médicaments sénolytiques seraient capables d’entraver ce processus en éliminant les cellules touchées. Jusqu’à présent, ces substances n’ont pas été testées sur des êtres humains mais sont considérées pour traiter l’arthrose, les maladies ophtalmologiques et les affections pulmonaires.

Plus intrusive, la thérapie génique cible directement les gènes responsables du vieillissement cellulaire en y insérant un fragment d’ADN modifié. Plus concrètement, le système CRISPR, un outil de génie génétique cible des séquences répétées dans l’ADN afin de le rectifier. Cette édition de génome permettra de soigner le cancer et d’offrir des traitements médicaux personnalisés. Néanmoins, comme toute forme de manipulation génétique, le CRISPR a aussi soulevé un certain nombre de questions éthiques.

La longueur des télomères permettrait
une approximation de l’espérance de vie.

Les télomères, dont la découverte a valu le prix Nobel à Élisabeth Blackburn en 2009, sont des boucliers qui protègent les extrémités des chromosomes. Or, ces protections raccourcissent avec les années jusqu’au point de devenir trop courts pour permettre la reproduction cellulaire. D’ailleurs, leur longueur permettrait une approximation de l’espérance de vie. Les enzymes télomérases assurent leur croissance et ces dernières sont également impliquées dans un grand nombre de cancer. En préservant les télomères, il serait possible de maintenir l’information génétique intacte et de diminuer les risques de maladies associées à l’âge.

Enfin, les thérapies neurodégénératives consistent en des greffes de cellules souches pour combattre directement les affections cérébrales – souvent irréversibles – telles que les maladies d’Alzheimer et Parkinsons.

Les voies alternatives

A côté des avancés biologiques, la nanotechnologie permettra à la future génération de matériel médico-chirurgical d’émerger. D’ici 10 ans, les nanobots modifieront la prise en charge des cancers. Il s’agit des nano-robots circulant dans le sang et capables de réparer des lésions de l’ADN. La nano-médecine quant à elle, peut déjà transporter des molécules directement dans les zones cibles. La technologie NBTXR3 permet des injections effectuées au cœur des cellules cancéreuses. Actuellement utilisée pour les cancers des tissus mous, cette technologie devra bientôt être transposée à d’autres types de pathologies cancéreuses.

Du temps et de la patience seront nécessaires
avant que la majorité des techniques n’arrivent à maturité.

A plus court terme, les compléments alimentaires, qui répondent aux besoins de consommateurs toujours plus soucieux de leur vitalité, pourraient offrir des perspectives intéressantes. L’urolithin A, une substance découverte en Suisse, est capable de régénérer les mitochondries. Ces organites sont des producteurs d’énergie cellulaire et leur déclin est responsable de la dégénération musculaire. Cette molécule, considérée plus puissante que la vitamine C, n’est pas encore commercialisée mais a été synthétisée à partir d’un nutriment présent dans la grenade. D’autres molécules sont également étudiées pour leur propriété anti-âge telles que le résveratrole présent notamment dans le raisin – et le vin – mais déjà commercialisé dans l’industrie cosmétologique et la curcumine (présente dans le curcuma, une épice indienne), ainsi que les enzymes NAD+ et NMN.

La majorité des techniques mentionnées ne sont qu’à leur phase préliminaire. Du temps et de la patience seront nécessaires avant qu’elles n’arrivent à maturité. Les programme de recherches des biotechs sont soumis à de longues phases cliniques. Dans la prochaine partie, nous identifierons les sociétés cotées les plus prometteuses. En attendant la disponibilité de ces techniques d’avenir, conserver sa jeunesse n’a rien de révolutionnaire: consommez suffisamment de fruits et légumes pour leurs propriétés antioxydantes, évitez le stress, et, bien sûr, bannissez le tabac et les zones de conflit...