Inflation et crédit corporatif émergent

Salima Baragan

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Les émissions à courte maturité des marchés émergents peuvent offrir un bouclier face aux craintes inflationnistes, estime Omotunde Lawal de Barings.

Après une longue absence, l’inflation revient échauffer les esprits. Même les propos de Jerome Powell affirmant qu’elle restera sous le contrôle de la Fed n’y font rien: le marché croit à son retour et le rendement du bon du Trésor américain s’est emballé à 1,54%. Mais pour Omotunde Lawal, gestionnaire de portefeuille et cheffe de l'équipe Dette d'Entreprise des Marchés Emergents chez Barings, si l’inflation reste un thème d’actualité pour le moment, les perspectives pour les entreprises des marchés émergents en 2021 demeurent favorables grâce à une tendance de reprise positive, appuyée par l’avancée des campagnes de vaccination et les politiques publiques de soutien.

Selon elle, le principal danger pour les actifs à risque serait une stratégie de sortie désordonnée des politiques monétaires accommodantes des 12 derniers mois, faisant écho à la panique suscitée par le Taper Tantrum de Ben Bernanke en 2013. La solution: privilégier les obligations corporatives émergentes dont les échéances sont courtes et donc moins sensibles à la reflation. Et de préférence libellées en dollar ou euro.

UNE ANNéE 2020 DIFFICILE POUR LA CLASSE D’ACTIFS

Malgré la crise économique, les obligations d’entreprises des marchés émergents ont fait preuve d’une relative résistance en 2020.  La classe d’actifs mesurée par l’indice JP Morgan Corporate EM Bond Index (CEMBI) a enregistré un rendement de 7,13% après avoir chuté de 9% en mars 2020. Rappelons que le déploiement du vaccin prévu au premier trimestre de cette année avait porté les espoirs d’une reprise mondiale rapide et que la Chine, qui tire le reste des économies émergentes, annonçait triomphalement un retour à la croissance. Tout semblait bien parti pour entamer l’année du «buffle». Mais c’était sans compter la hausse brutale du prix du brut alimentant l’inflation mondiale.

Les pays tombés en faillite comme la Zambie
et le Liban n’ont pas contaminé le segment corporatif.

Si les observateurs s’attendaient en 2020 à un taux de défaut à deux chiffres sur les entreprises des marchés émergents, la classe d’actifs a en réalité affiché un pourcentage de 3,5%, bien en-dessous du segment américain à haut rendement qui s’est envolé à 5%. Grace à des fondamentaux plus solides mais aussi à l’effet de levier des devises. «Les entreprises des marchés émergents étaient en bien meilleure forme au début de l’année 2020 qu’elles ne l’étaient lors de crises précédentes, ce qui a permis de garder les taux de défaut autour des 3,5%. Bon nombre d’entreprises ont développé des modèles plus solides et résistants, soutenus par le fait qu’une grande part de leurs revenus étaient générés dans des devises fortes alors que leurs coûts d’exploitation étaient en devises locales» relève-t-elle. Aussi, les pays tombés en faillite comme la Zambie et le Liban n’ont pas contaminé le segment corporatif, car ces marchés ne possédaient pas de dette corporative.

CIBLER LES ENTREPRISES DOTéES DE BUSINESS MODELS SOLIDES

Même si le déploiement du vaccin COVID sera plus lent pour les marchés émergents, ils profiteront de la reprise du commerce mondial à fur et à mesure que les restrictions tomberont de façon asynchrone. «Nous aimons les biens de consommation, l’immobilier, ainsi que les matières premières. Les entreprises dotées de modèles commerciaux innovants et exposées aux tendances structurelles des marchés émergents, notamment le commerce électronique et les sociétés de livraison de produits alimentaires, semblent également plus résistants. Enfin, le thème des technologies vertes prendra vite un ascendant», explique Omotunde Lawal qui favorise les émissions libellées en devises fortes. 

Une sortie précipitée des politiques accommandante
pourrait couter cher aux marchés émergents.

Fondamentalement, les monnaies des pays émergents ont encore du potentiel malgré leur puissant rebond de fin d’année, mais les entreprises qui ont emprunté en dollars pourront profiter de son trend baissier pour renforcer leur bilan: «un dollar américain plus faible est favorable aux entreprises des marchés émergents, qui peuvent ainsi assumer les coûts d’une dette libellée en devises fortes», note Omotunde Lawal dont le portefeuille est d’ailleurs investi en dollar US et en euro.

Le triple effet des banques centrales

Il faut aussi dire que les dettes des entreprises émergentes doivent leur retour en force aux politiques de relance monétaire conjointes: «Elles ont profité du triple effet de le Fed, de la BCE mais aussi de leurs banques centrales qui ont évolué en tandem avec les grandes. Elles ont reporté leur politique initiale pour lancer des stimulus à la place», souligne-t-elle. Mais le soutien des banques centrales a aussi un prix: une sortie précipitée des politiques accommandantes pourrait couter cher aux marchés émergents, «comme lors du Taper Tantrum de 2013», se rappelle la spécialiste. Sa solution: privilégier les obligations corporatives émergentes dont les échéances sont courtes et donc moins sensibles à la hausse des taux.

Une autre question qui se posera inévitablement plus tard, sera de savoir si les banques centrales des pays émergent devront également augmenter leurs taux d'intérêt pour limiter des pressions sur les prix qui pourrait vite tourner en spirale incontrôlable, au risque de peser sur la reprise.

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