Game over pour Gamestop

Michel Girardin, Université de Genève

3 minutes de lecture

Vendre des titres à découvert pour prendre Wall street à contre-pied? Je vous souhaite bonne chance!

Les crises financières ont le mérite de nous donner l’opportunité de repenser notre monde. Suite à la crise de 2007, c’est le modèle de l’économie libérale qui a été remis en cause. En 2020, le réchauffement climatique est revenu au centre des préoccupations après que la crise sanitaire ait permis de réduire l’empreinte carbone. Au début de cette année, c’est le pouvoir de Wall street et de ses Hedge Funds qui est attaqué, suite à ce qui est devenu «l’affaire Gamestop».

Le pouvoir aux joueurs?

Comment «l’affaire Gamestop», a-t-elle pu mobiliser les marchés financiers en ce début d’année, au point de leur faire oublier les affres du coronavirus et de ses nouvelles souches ? Selon plusieurs observateurs, cette affaire marque une véritable révolution, celle des «petites mains boursicoteuses» sur les titans de la Bourse. Nous n’en croyons rien. Mais reprenons le fil des événements.

Fondée en 1984 auTexas, l’entreprise Gamestop est spécialisée dans la distribution de jeux vidéos et de matériel électronique. Elle connaît ses heures de gloire dans les années 90 et 2000 avec ses Xbox, Playstation 4 et autres Ninendo Switch mais … rate complètement le virage vers le jeu en ligne, un peu comme l’entreprise Nokia était sortie de piste suite à l’arrivée des smartphones en 2000. Résultat: en 2020, Gamestop est au bord de la faillite et devient la cible de certains gros gérants de Hedge Funds, comme Steve Cohen et l’un de ses anciens traders chez SAC Capital, Gabriel Plotkin, fondateur de Melvin Capital.

Que font les gérants de Hedge Funds quand ils pensent qu’une entreprise est mal gérée et que son cours en bourse va s’en faire l’écho? Ils la vendent à découvert! Une stratégie qui peut s’effectuer de 2 manières. Tout d’abord en empruntant les actions cotées en Bourse de l’entreprise en question, avec l’idée de rembourser ce «crédit» à un cours inférieur de l’action. L’originalité de cette stratégie réside dans le fait que vous vendez quelque chose que vous ne possédez pas: avec cette «vente à découvert», vous avez une position «short» (courte) sur le titre.

L’autre possibilité est d’acheter des options à la vente «put» liées au cours de l’action de l’entreprise que vous voulez jouer à la baisse. Cette deuxième option est normalement réservée aux investisseurs qui détiennent le titre (ils ont une position «longue») et ils cherchent à se protéger de la baisse du cours. Mais si vous n’achetez que la protection, et pas le titre, vous devenez alors un investisseur qui parie sur la baisse de son cours.

Que se passe-t-il si le cours de l’action monte, au lieu de baisser? Dans le premier cas, votre position augmente et donc le poids de votre perte aussi. Dans le deuxième par contre, vous ne pouvez perdre plus que la prime que vous avez payée pour acheter l’option. Mais dans les 2 cas, vous êtes perdants si le cours de l’action monte.

Perdre avec la hausse d'un cours quand on est «short»
n'équivaut pas à perdre avec une baisse lorsque on est «long».

Etre perdant avec la hausse du cours de l’action lorsque nous sommes «short», est-il équivalent à perdre de l’argent avec une baisse du titre, lorsque nous sommes «long»? Eh bien… non! Il a une différence fondamentale entre les deux types d’erreur, et elle permet de comprendre pourquoi Gamestop est devenue… une «affaire». Quand vous êtes long et que le titre baisse, son poids diminue dans votre portefeuille. En revanche, si vous êtes short et que le cours monte, le poids de votre erreur augmente.

Et c’est à la lumière de cette asymétrie que «l’affaire Gamestop» devient intéressante. Lorsque vous jouez un titre à la baisse d’une société avec une liquidité restreinte, il est facile d’être pris à contre-pied: il suffit qu’un investisseur avec des moyens financiers conséquents - ou alors un large groupe de petits investisseurs - achètent le titre dans le seul but de faire monter le cours, pour que vous soyez perdants. Si vous choisissez l’option de la vente à découvert, vous pouvez même tout perdre lorsque vous devez répondre aux appels de marge du courtier qui vous a prêté le titre. D’ailleurs, Melvin Capital a perdu 50% de sa fortune en janvier.

L’action «Gamestop» s’est envolée sous l’effet des achats, à la fois du titre et des options, par de petits investisseurs dopés par des messages encourageants et anonymes sur le réseau «Reddit». Petits, ces investisseurs mais…nombreux: on parle d’une communauté de 8 millions sur la plateforme «Wallstreetbets» de Reddit. Le mouvement de hausse qu’ils ont initié à mis les gérants de Hedge Fund qui «shortaient» Gamestop à mal. Ils ont dû racheter le titre, alimentant la hausse de plus belle: c’est ce qu’on appelle un «short squeeze»: vous êtes short et … vous vous retrouvez coincés: pour éponger vos dettes, vous devez racheter le titre que vous vouliez voir baisser.

Voir dans l’affaire Gamestop l’émergence d’un contre-pouvoir aux géants de la finance à Wall Street a de quoi faire sourire: vouloir attaquer le pouvoir de Wall street en utilisant des stratégies hautement spéculatives comme les options, avec des tactiques de collusion sur des réseaux sociaux proches du délit d’initié… c’est l’hôpital qui se moque de la charité!

La réalité économique et financière finit toujours par
s’imposer: Aujourd’hui, le cours de Gamestop est à 41.

Aux Etats-Unis, le gendarme des marchés financiers (la «Security Exchange Commission») se pose la question de savoir s’il ne faudrait pas interdire les plateformes de trading où les boursicoteurs s’échangent des tuyaux et pratiquent la collusion pour faire monter les cours des actions d’entreprise de leur choix. Pour ma part, j’estime que ce n’est pas nécessaire. D’une part, on ne pourra jamais empêcher des gens de partager des informations sur leurs placements financiers, que ce soit sur des réseaux sociaux, devant des écrans, ou dans des boites de nuit. D’autre part et surtout, la collusion entre 8 millions de petits investisseurs qui se prennent par la main pour faire mousser l’action d’une entreprise au bord de la faillite, ça peut tenir un moment, surtout si c’est pour coincer des investisseurs qui sont short, mais au final, la réalité économique et financière finit toujours par s’imposer: entre le 21 et le 27 janvier, le cours de Gamestop est passé de 43 à 347 dollars. Aujourd’hui, il est à 41.

La devise de l’entreprise Gamestop est: «le pouvoir aux joueurs». A la Bourse, ce dernier ne saurait être établi que lorsque les petits investisseurs qui s’échangent des bons tuyaux sur Reddit décident un jour de se mettre contre le gros de l’industrie des fonds de placement qui achètent ces poids lourds du marché que sont Facebook, Amazon et autres Apple. Vendre ces titres à découvert pour prendre Wall street à contre-pied? Je vous souhaite bonne chance!

Bref, le jour est encore loin où Gamestop prendra le dessus sur la pandémie pour faire vaciller les marchés financiers. A la Bourse, le pouvoir de tout joueur a ses limites.

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