Gâtée plutôt que réprouvée

Martin Neff, Raiffeisen

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Le gouvernement fédéral allemand est sur le chemin d’un nouveau futur automobile et non l’industrie elle-même. La lutte climatique est ailleurs.

La chancelière Angela Merkel et le patron de VW Herbert Diess semblent être les meilleurs amis du monde. Sur les photos les plus récentes, ils donnent l’impression de former un couple heureux et harmonieux. Au début du mois, Angela Merkel était invitée au lancement de la production de la Volkswagen ID.3 à Zwickau. Et voici ce qu’elle a déclaré: «Le gouvernement fédéral est disposé à déployer d’importants efforts sur le chemin vers un nouveau futur automobile. Il est important à nos yeux que le plus grand nombre de personnes pour qui une voiture est indispensable et constitue aussi un élément de leur liberté puissent très prochainement se permettre d’acheter une voiture électrique et que la voiture électrique devienne ainsi littéralement la voiture du peuple, comme ce fut autrefois le cas de la coccinelle puis de la Golf.» Ah, c’est de cela qu’il s’agit.

Le gouvernement fédéral est donc sur le chemin vers un nouveau futur automobile et non l’industrie elle-même. Est-ce à dire que le secteur lui-même ne se serait pas engagé sur cette voie? N’oublions pas que la voiture, qui est toujours le chouchou des Allemands, est une vache sacrée pour la chancelière, car elle est en effet une composante de la liberté des Allemands. De telles déclarations font de la mobilité individuelle motorisée un droit fondamental. Et quiconque pense à la coccinelle en Allemagne en a presque les larmes aux yeux. Quant à la Golf, elle est la championne du monde des automobiles pour ce qui est des quantités. Il s’agit en quelque sorte de monuments à la gloire de l’histoire industrielle allemande. Ceux-ci ne peuvent pas simplement s’écrouler. Pratiquement aucune industrie en Allemagne n’est autant choyée et préservée. Des millions d’emplois en dépendent en effet. Même le dieselgate n’y a rien changé au fond. Car une fois que la réputation est détruite, on peut vivre sans gêne. L’industrie automobile allemande a la chance d’être «too big to fail». Et c’est sans doute forts de ce savoir, que les visages rayonnent comme autrefois. Une petite branche sans incidence sur l’économie nationale n’aurait sans doute pas survécu à une telle fraude vis-à-vis de ses autorités de surveillance et de ses clients.

Liens 

Il y a deux ans, les groupes automobiles allemands s’en sont sortis plus ou moins à bon compte, lors du premier sommet du diesel et ce malgré l’existence évidente d’un cartel et une fraude indubitable. Grâce à l’instinct du pouvoir d’Angela Merkel, avec lequel elle a voulu empêcher l’adversaire politique de tirer profit de ce sommet du diesel, ce dernier n’ayant finalement pas eu d’autre effet que de traiter les coupables avec mansuétude. La mise à jour du matériel des voitures manipulées a été abandonnée. Pour que le SPD et Martin Schulz ne puissent pas en tirer profit, Angela Merkel s’est aussi clairement prononcée contre le moteur à combustion. Manœuvre purement électoraliste, car deux semaines plus tard, elle affirmait que le diesel existerait encore de nombreuses, nombreuses années, tout comme le moteur à combustion. Entre-temps, elle a sans doute conclu que les électeurs potentiels sont aussi des automobilistes et n’a pas voulu les inquiéter, car les Allemands n’aiment pas tellement le changement. Le patron de la CSU, Manfred Seehofer, a en outre fait comprendre que son parti ne participerait au gouvernement que si le moteur à combustion était préservé. Les raisons de cette démarche sont évidentes. La Bavière est un bastion des constructeurs automobiles allemands à Munich, Landshut, Dingolfing ou Regensburg (BMW) et Ingolstadt (Audi). Les liens entre la politique et l’industrie automobile en Allemagne ont toujours été un secret de polichinelle, mais depuis que la chancellerie d’Etat de Basse-Saxe a publié le manuscrit d’un discours controversé du ministre-président Stephan Weil, qui n’a pas été prononcé en ces termes, chacun en Allemagne sait à quel point ces liens sont étroits. Stephan Weil siège évidemment aussi au conseil de surveillance de VW, mais à ce titre il devrait contrôler une entreprise, au lieu de demander une approbation pour des propos dans sa déclaration de politique générale ou est-ce qu’il y aurait quelque chose qui m’échappe?

Nouveau carburant: deniers publics 

Nous savons désormais que la symbiose entre politique et industrie automobile se poursuit et comment. Il appartient aux deniers publics de redresser la situation. Pour des considérations purement politiques, on ne souhaite pas contraindre les citoyens à renoncer à leur voiture lourde alimentée par des combustibles fossiles et encore moins à lever le pied sur l’autoroute, car la limitation de vitesse reste également taboue, comme on le sait. On mise au contraire sur des incitations se chiffrant en milliards. Le conseil des ministres vient juste de lancer un encouragement étatique accru de l’e-mobilité. La prime à l’achat des véhicules électriques jusqu’au prix catalogue net de 40’000 euros doit être relevée de 4’000 à 6’000 euros. Jusqu’à 65’000 euros, des deniers publics doivent également être alloués, concrètement 5’000 euros. L’industrie automobile aurait évidemment apprécié que des primes à l’achat soient accordées, même pour des véhicules électriques plus coûteux, mais Angela Merkel n’a pas cédé sur ce point. Tesla et Cie peuvent cependant se réjouir. Du jour au lendemain, elles bénéficient ainsi d’un programme de promotion des ventes. La moitié des primes sera prise en charge par l’industrie automobile elle-même. Tout de même serait-on enclin à dire, mais l’économie de marché fonctionne un peu différemment. La politique peut évidemment justifier cette alliance contre nature par le fait que les objectifs climatiques de l’Union européenne ne peuvent être satisfaits que si l’industrie automobile y contribue. Trop dommage que les Allemands préfèrent les SUV avec de gros moteurs à combustion aux petites voitures électriques. Et que le diesel est toujours très apprécié.

Peur du bonus-malus 

Il existe donc un système de bonus. Outre la prime à l’achat, celui-ci inclut également la promotion des stations de recharge. On en compte actuellement 21’000 en Allemagne. Dans deux ans, ce nombre doit progresser de 50’000, 15’000 devant être créés par l’industrie automobile elle-même autour de son site. L’exécutif allemand ne veut pas entendre parler de malus. Bien que la demande de SUV augmente davantage que celle des véhicules à moteur électrique ou hybride, les SUV superflus et très gourmands en carburant s’en tirent impunément. Le diesel reste également fiscalement privilégié, ce qui es totalement paradoxal d’un point de vue écologique et économique. La promotion des hybrides plug-in n’est pas non plus cohérente d’un point de vue écologique. Celles-ci peuvent en effet bénéficier d’une alimentation purement fossile et développent une puissance massive grâce aux deux motorisations, qu’il faut ensuite déplacer en conséquence. La politique fait la sourde oreille lorsqu’il est question de contraintes ou d’interdictions. Dans un pays où la nécessité ou le droit des bénéficiaires d’allocations Hartz IV de posséder une voiture est âprement discutée, cela n’a finalement rien d’étonnant. A fortiori quand la mobilité individuelle y constitue presque un droit fondamental. Tous sont chouchoutés, sauf que ce n’est pas ainsi que l’on respectera les objectifs climatiques. 

Le prochain point de vue paraîtra le 4 décembre 2019.

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