Greta énerve

Martin Neff, Raiffeisen

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Le plus simple pour ignorer les vérités qui fâchent est encore de dénigrer le messager.

Après une brève accalmie autour de Greta, celle-ci a de nouveau fait les gros titres hier. Le Conseil nordique qui regroupe le Danemark, la Suède, la Norvège, l’Islande et la Finlande voulait honorer la militante écologiste avec son prix de l’environnement, mais celle-ci a aussitôt refusé, pour une raison que je vais tâcher de résumer ici: des paroles aux actes! Et elle n’a pas tout à fait tort. De son point de vue, le refus du prix est parfaitement logique, puisque les pays nordiques ne font guère mieux que les autres, par exemple en ce qui concerne leur empreinte écologique.

L’autre jour, je me suis demandé depuis quand le mot «durable» faisait partie de mon vocabulaire et j’ai constaté que cela faisait déjà trois bonnes décennies. J’utilise rarement ce terme, car je trouve qu’il est trop galvaudé et ne veut plus dire grand-chose. Le «développement durable» est une expression à la mode rabaissée au rang de cliché. Je me souviens encore très bien que les premiers rapports sur le développement durable des grands groupes étaient imprimés sur du papier glacé. Déjà à l’époque, cela semblait quelque peu incongru. La définition du mot durable dans le dictionnaire n’est pas non plus parfaite. On peut y lire «dont les effets agissent dans la durée». En rapport avec l’économie, il est écrit «uniquement autant que la nature le supporte». Malheureusement, les avis divergent considérablement quant à ce que la nature est capable de supporter. Mais ce ne sont que des subtilités verbales au fond. Car intuitivement, nous avons tous au moins une petite idée de ce que cela signifie. Cela commence par chacun d’entre nous. Sauf en ce qui me concerne! C’est pourquoi Greta énerve

La mondialisation et la prospérité sapent le développement durable 

Revenons aux débuts du développement durable (écologique) en tant qu’expression à la mode. C’était approximativement au seuil de la mondialisation, plus ou moins vers la fin des années 1980 et le début des années 1990. Il était évidemment déjà question de protection de l’environnement auparavant. Dans les années 1970, il y avait un autocollant «Nucléaire - Non merci» et des manifestations contre la construction de centrales nucléaires. Les «verts» allemands ont été candidats aux élections européennes pour la première fois en 1979 (3,2% des voix), mais se heurtèrent ensuite clairement au seuil électoral des 5% lors des élections au Bundestag qui suivirent en 1980. Ce fut ensuite le tour des catalyseurs, des moteurs diesel «économiques» avec filtre à particules, des collectes de vieux papiers et des conteneurs de bouteilles en verre, du recyclage, des crédits carbones, etc. Pourtant, la pollution environnementale a massivement augmenté, malgré une sensibilisation dont il ne fait aucun doute qu’elle progresse régulièrement. Et bien que les partis écologistes soient désormais loin d’être constitués d’une minorité d’idéalistes véritables ou présumés dans de nombreux pays. Notamment en Suisse. Ce sont deux choses qui sapent le fameux développement durable. D’une part les exigences croissantes dans le sillage d’une prospérité grandissante et d’autre part la mondialisation qui a conduit à une véritable explosion du commerce mondial.

Kiwi, Bali, appartement gigantesque et 300 CV 

La série W110 de Mercedes Benz, produite entre 1961 et 1968, comptait entre 55 et 120 CV et consommait 10 à 17 litres de carburant aux 100 kilomètres. L’ancienne coccinelle de VW s’abreuvait littéralement d’essence malgré sa modeste puissance. A l’époque où ces véhicules faisaient battre plus vite les cœurs, il n’y avait pas ou peu de circulation et les vitesses autorisées étaient supérieures à celles que nous connaissons aujourd’hui. Aujourd’hui, de strictes limitations de vitesse s’appliquent presque partout et les puissances des moteurs ont considérablement augmenté. Ainsi, il n’est pratiquement plus possible de laisser ces bolides «s’exprimer», car le trafic bouchonne presque partout. L’efficience énergétique des moteurs est incontestablement bien meilleure aujourd’hui qu’autrefois. Il est aujourd’hui plus économique de rouler avec 300 CV qu’avec les véhicules d’antan. Si nous circulions toutefois en moyenne avec la même puissance modeste qu’autrefois, les émissions polluantes seraient nettement plus faibles. De plus, il y avait généralement encore quatre personnes ou plus dans une voiture autrefois et pas seulement une seule. La productivité est une chose, la modestie une autre. Qui peut bien se contenter de rouler dans une petite voiture, si la prospérité permet de voir plus grand? Il en va de même de l’espace habitable. Tout comme la circulation, les bâtiments sont de gros consommateurs d’énergie. Pourquoi vivre dans un petit appartement, si on peut se payer un penthouse? Et ainsi de suite. Pourquoi passer l’hiver tempéré dans la gadoue à Gstaad, s’il est encore moins cher de sauter dans un avion pour un séjour au soleil à Bali. Nous voilà à la croisée de la prospérité et de la mondialisation. Autrefois, il y eut les bananes, puis les kiwis, désormais toute l’année, les kiwis bio également d’ailleurs (quelle contradiction!) et ceux qui le souhaitent trouvent même des mangues, des noix de coco, des papayes, des litchis ou des rambutans, grâce à la mondialisation. Aussi bonne soit-elle, la productivité ne progresse pas autant que nos exigences. Si l’on ajoute à cela la surpopulation, le développement durable devient une farce, malgré toutes les bonnes intentions. C’est précisément sur cette plaie qu’appuie Greta. Et nous ne l’acceptons évidemment pas de bonne grâce. Car le temps nous a donné de l’assurance et nous a rendus suffisants. 

Les exigences réduisent la productivité à néant 

Greta divise la société de consommation moderne. On lui reproche d’être manipulée. Elle attire les commentaires moqueurs, est parfois tournée en dérision et après son intervention émotionnelle qui a viré au discours rageur lors du sommet sur le climat à New York, elle a littéralement été noyée sous les commentaires haineux. Même l’homme le plus puissant du monde la moque. Elle ne fait pourtant rien de mal. Après tout, nous sommes libres de l’écouter ou non. Mais si on le fait, elle ne laisse pas l’auditeur indifférent, qu’il fasse partie de ses partisans ou de ses adversaires. Pour ces derniers, elle est trop sérieuse, trop jeune, trop inexpérimentée et nombreux sont ceux qui jugent sa passion suspecte. Le plus simple pour ignorer les vérités qui fâchent est encore de dénigrer le messager. On s’évite ainsi les désagréments pour se consacrer au quotidien dispendieux. Mieux vaut l’économie que l’écologie clame la doctrine née de la mondialisation et de l’opulence. Sans compter que nos exigences augmentent plus vite que la productivité. Il ne manquait plus que cette gosse qui en appelle à notre conscience. Pourtant cela ne la regarde en rien, au final c’est l’affaire de tous.

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