Fortnite plus fort que l’administration américaine?

Nicolas Mougeot, Indosuez Wealth Management Suisse

2 minutes de lecture

Les entreprises utilisatrices des GAFA pourraient se rebeller et Fortnite pourrait devenir le Don Quichotte face aux géants du net.

Les géants de la technologie aux États-Unis ont connu un succès phénoménal au cours des dix dernières années. On est loin de la bulle internet de la fin des années 1990, quand les sociétés technologiques ne produisaient pas de profit et étaient valorisées au nombre de clics sur les pages de leurs sites web. Aujourd’hui, les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) occupent des positions dominantes dans leurs secteurs respectifs au point de parler de situations quasi monopolistiques. Amazon est par exemple devenu le leader de la vente en ligne et son expansion a probablement accéléré la chute de spécialistes de la vente au détail tels que Sears ou Toys"R"Us. Le moteur de recherche sur internet de Google détenait pour sa part 92% du marché en juillet 2020 d’après Statcounter.

Une société en position de monopole a l’avantage de pouvoir fixer les prix de ses prestations puisque les consommateurs se retrouvent sans offre concurrente. Les positions dominantes permettent aussi d’en tirer parti pour une intégration forcée d’autres services (le paiement mobile par exemple). Sur le plan macroéconomique, un déficit de concurrence se traduit donc généralement par moins de croissance et d’innovation à terme. Au-delà de ces aspects économiques, c’est aussi le pouvoir illimité conféré par la détention des données et les conséquences sur le plan social, culturel et politique qui posent question La question de la pertinence d’un démantèlement de ces monopoles s’est donc posée à l’administration Trump, et certains Démocrates sont aussi tentés d’en faire un cheval de bataille de la prochaine élection présidentielle.

L’ombre d’un démantèlement pour les GAFA?

Le sujet est suffisamment sérieux pour que la chambre des Représentants aux États-Unis lance une série d’auditions des patrons de Google, Apple, Facebook et Amazon afin de déterminer si leur position dominante constitue un frein au bon développement de l’économie. Depuis le début du 20e siècle, les États-Unis se sont en effet dotés de lois «anti-trusts» mais cela représente-t-il un réel risque de démantèlement? Si le Sherman Antitrust Act a été utilisé pour démanteler la Standard Oil en 1911, c’est toutefois le dernier cas majeur aux États-Unis. Même IBM, poursuivi en 1969 pour sa position dominante sur le marché des ordinateurs (70% de parts de marché à l’époque), a fini par gagner après 13 ans de combat judiciaire.

C’est bien la répartition de la valeur au sein de l’écosystème
digital global et sa régulation qui est en jeu.
Fortnite dans le rôle de Don Quichotte

La rareté des démantèlements de monopoles aux États-Unis ne met pas pour autant les GAFA complètement à l’abri. Certes, l’administration américaine n’a probablement pas intérêt à affaiblir ses champions au moment où se joue un bras de fer technologique avec la Chine. Mais le danger pourrait bien venir des participants eux-mêmes de cet écosytème comme l’atteste le combat engagé par Epic Games, la société auteure du jeu culte Fortnite. Fortnite connait un succès mondial depuis le lancement de sa formule «Battle Royal» consitant à éliminer les 99 autres joueurs de la partie afin de devenir l’ultime survivant. Gratuit à l’installation, Fortnite se joue sur différentes plateformes (ordinateur, console de jeu ou téléphone portable). Les joueurs sont invités à acheter des V-Bucks (monnaie virtuelle) pour customiser leur personnage dans le jeu. Or, si un joueur fait un achat de V-Bucks sur l’App Store d’Apple, Apple perçoit 30% des sommes engagées. Epic Games a mis en place un système de paiement pour les joueurs de Fortnite contournant de fait l’App Store et ses taxes. Apple a riposté en retirant Fortnite de l’App Store, estimant que ce système de paiement contrevenait aux règles d’utilisation de sa boutique en ligne.

Epic Games a donc décidé le 13 août dernier de poursuivre Apple pour abus de position dominante, dénonçant le monopole de la société dans la distribution des applications dans ses téléphones et dans le système de paiement. Le réseau social Facebook et la société de streaming musical Spotify lui ont emboité le pas en critiquant les pratiques d’Apple sans toutefois poursuivre la société à ce stade.

Si l’administration américaine n’ose pas attaquer ses propres entreprises au risque de les affaiblir face à des concurrents étrangers, les entreprises utilisatrices des GAFA pourraient, elles, se rebeller et Fortnite pourrait devenir le Don Quichotte face aux géants du net. Mais c’est bien la répartition de la valeur au sein de l’écosystème digital global et sa régulation qui est en jeu.

A lire aussi...