Finance d’impact: cap sur l’Afrique

Yves Hulmann

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Avec une population grandissante, les petites entreprises du continent ont d’importants besoins de financement, selon BlueOrchard.

© Keystone

Parmi les différentes approches en lien avec la finance durable, la finance d’impact est l’un des segments qui progresse le plus rapidement. Ainsi, alors que les actifs sous gestion consacrés à la finance d’impact n’atteignaient que 60 milliards de dollars en 2014, les volumes ont dépassé le seuil des 500 milliards de dollars en 2018. Une croissance « incroyable », observe Patrick Scheurle, le directeur de BlueOrchard, une société spécialisée dans la microfinance présente à Zurich et Genève et qui dispose aussi de bureaux locaux dans des pays émergents et en développement, dont le Kenia. Un mode de financement qui concerne des thèmes très variés, allant de l’éducation à la protection du climat et qui affecte aussi des régions très diverses du globe.

Alors que l’Asie et l’Inde ont jusqu’ici recueilli une large partie des fonds investis via la finance d’impact, l’Afrique subsaharienne fait désormais aussi l’objet d’investissements croissants. BlueOrchard a notamment lancé un fonds en lien avec la thématique du climat en Afrique.

Deux défis se posent pour les investisseurs qui souhaiteraient
participer à des projets de financement en Afrique.
Une classe moyenne grandissante

«L’Afrique pourrait disposer d’ici 2034 d’une population en âge de travailler plus importante que celle de la Chine ou de l’Inde», soulignait Yann Groeger, directeur régional pour l’Afrique chez BlueOrchard, dans un commentaire de marché publié fin avril. «Nous observons actuellement à différents endroits du continent africain une croissance économique en hausse, une classe moyenne grandissante ainsi qu’une très forte capacité d’innovation – en particulier dans le secteur des technologies», ajoute l’expert. A titre d’exemple, entre 2007 et 2016, le taux de croissance de l’utilisation des téléphones mobiles a été plus élevé qu’en Asie et en Amérique latine et un tiers de la population africaine a un accès à Internet. Quant à la classe moyenne, elle est désormais estimée aux environs de 350 millions de personnes en Afrique.

Reste à savoir comment les Africains, les petits entrepreneurs en particulier, peuvent parvenir à financer leurs projets et comment les investisseurs peuvent y contribuer. Deux défis se posent en particulier pour les investisseurs qui souhaiteraient participer à des projets de financement en Afrique. D’une part, il y a la grande diversité culturelle d’un continent qui compte 54 pays et une multitude de langues. Au contraire de la Chine, par exemple, le continent africain ne peut assurément pas être considéré comme marché unique.

D’autre part, les petits entrepreneurs ont encore énormément de difficultés à accéder à des sources de financement. La voie classique, consistant à contracter un prêt auprès d’une banque, n’est souvent pas possible. Et s’ils ne peuvent pas avoir accès à des formes alternatives de financement, comme des dons ou des crédits d’urgence, les petits entrepreneurs n’ont plus que la possibilité de recourir à des prêteurs qui exigent souvent des taux d’intérêt exorbitants.

Des prêts allant de 50 à 10'000 dollars

Dans ce contexte, l’investissement d’impact via la microfinance permet à des petites entreprises de pouvoir se développer sur le long terme et sur une base durable. En collaboration avec des partenaires locaux, une évaluation de la qualité des projets présentés par les preneurs de crédit et de leur solvabilité est tout d’abord effectuée. En général, il s’agit de crédits d’une durée d’une à deux années. Les montants des crédits accordés, qui varient fortement en fonction des régions, des secteurs et de la taille de l’entreprise, peuvent aller de 50 à 10'000 dollars, illustre BlueOrchard.

La proportion des défauts reste
très faible dans la micro-finance.
Faible corrélation avec les autres classes d’actifs

Et quels sont les risques encourus par les investisseurs? Selon Patrick Scheurle, la microfinance comporte deux avantages pour les investisseurs. D’une part, il y a la constance des rendements obtenus. D’autre part, il s’agit de placements qui sont largement dé-corrélés avec la plupart des autres classes d’actifs. Un projet local réalisé au Nigeria ou en Inde n’est en effet pas immédiatement influencé par l’évolution de la conjoncture mondiale. Les investisseurs doivent néanmoins être attentifs à un risque spécifique, celui des troubles politiques qui peuvent éclater dans certaines régions ou pays émergents, concède-t-il. Dans ce contexte, il est toujours recommandé de diversifier ses investissements dans plusieurs régions.

La première partie des pertes n’affecte pas les investisseurs privés

Un autre mécanisme, appelé «first-loss», qui permet d’absorber les premières pertes subies contribue également à réduire les risques pour les investisseurs. Selon ce principe, les éventuelles pertes subies par le fonds sont d’abord prises en charge par un institut public – c’est seulement à partir d’un certain seuil de pertes que l’investisseur privé doit à son tour passer à la caisse. Par exemple, sur un montant de 100 millions de dollars affectés à un fonds de microfinance, les éventuelles pertes subies portant sur les 30 premiers millions seront d’abord supportées par une banque de développement qui participe au projet. C’est seulement à partir de ce seuil de 30 millions que les pertes commenceront à affecter les investisseurs privés. Cette forme de «de-risking» réduit les risques pour les investisseurs privés et améliore les rendements. Il s’agit donc d’un excellent outil pour attirer des fonds vers des destinations en manque de capital.

Et, comme le rappelle Patrick Scheurle, la proportion des défauts reste de toute manière très faible dans la micro-finance, avec un taux se situant autour des 3% en moyenne. «Les taux de défaut sont beaucoup plus faibles dans la micro-finance que dans le domaine des petits crédits accordés à des privés dans les pays industrialisés», met-il en perspective.

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