Face au recul de l’ESG aux USA, l’UE peut devenir le fer de lance du développement durable

Georgina Parker, Quaero Capital

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L’intégration des risques et opportunités liés à la durabilité est une exigence stratégique de long terme, et non une option dictée par les cycles électoraux.

Alors que l’administration Trump lance une offensive frontale contre les politiques climatiques, la diversité et la durabilité, les États-Unis amorcent un virage préoccupant pour l’investissement responsable. De nombreuses juridictions américaines ont adopté des lois anti-ESG, limitant la capacité des gérants d’actifs à prendre en compte les risques environnementaux et sociaux. Dans ce contexte, les acteurs européens ont une opportunité stratégique : assumer un rôle de leadership mondial en matière d’investissement durable.

Depuis plus de deux ans, les gérants d’actifs américains sont confrontés à une pression politique croissante, allant jusqu’à des mesures de boycott de la part de certains Etats, en raison de leur prise de position sur des sujets ESG. Des exclusions sectorielles — notamment dans les énergies fossiles — ont conduit plusieurs d’entre eux à être placés sur des listes noires. Plus récemment, les Républicains ont renforcé leur offensive en s’attaquant à l’exercice des droits de vote et à l’engagement actionnarial sur les thématiques ESG. La conséquence est tangible: un désengagement progressif des principales alliances climat, telles que la Net Zero Asset Managers Initiative ou Climate Action 100+, souvent par crainte de contentieux.

Ce désengagement se reflète également dans les pratiques de vote. Selon ShareAction, les gérants d’actifs britanniques et européens ont soutenu en moyenne 81% des résolutions ESG en assemblée générale en 2024, contre seulement 25% pour leurs homologues américains. Les quatre plus grands asset managers mondiaux, tous basés aux États-Unis et pesant à eux seuls 23’000 milliards de dollars, n’en ont soutenu que 7%.

L’Europe n’est pas exempte de tensions. Des interrogations émergent sur le lien entre durabilité et performance financière, sur la pertinence d’exclusions sectorielles dans un monde géopolitiquement instable — on pense en particulier au secteur de la défense — et sur l’impact économique d’une réglementation perçue comme contraignante. Pour autant, les principes fondamentaux de l’investissement durable restent largement acceptés : la gestion des risques ESG, le rôle actif de l’intendance actionnariale (stewardship) et la nécessité d’une transition vers une économie décarbonée ne sont pas remis en cause de manière structurelle.

Dans ce contexte, les gérants d’actifs européens — y compris Quaero Capital — continuent d’intégrer les dimensions ESG dans leurs stratégies d’investissement. Selon une enquête récente menée par Berenberg, ils anticipent même une plus grande clarté réglementaire et un environnement plus favorable au lancement de fonds durables dès 2025. A l’inverse, aux États-Unis, la tendance est à la discrétion, voire à l’abandon pur et simple des approches ESG.

Pour les investisseurs institutionnels, cette divergence de trajectoire n’est pas anodine. L’intégration des risques et opportunités liés à la durabilité est une exigence stratégique de long terme, et non une option dictée par les cycles électoraux. Plusieurs exemples récents montrent que ces considérations guident désormais les décisions d’allocation: le fonds de pension britannique People’s Pension a retiré 28 milliards de livres de chez State Street pour des raisons liées à l’ESG ; AkademikerPension, au Danemark, a résilié un mandat de 470 millions de dollars confié depuis vingt ans à la même société, évoquant un score ESG «au plus bas»; et le fonds néerlandais PME revoit actuellement un mandat de 5 milliards d’euros géré par BlackRock en raison de préoccupations sur sa stratégie climat.

Les inquiétudes ne se limitent pas à l’Europe. Un groupe d’investisseurs institutionnels majoritairement américains, représentant 1,5 milliard de dollars, a récemment exigé des engagements plus ambitieux de la part de leurs asset managers sur le climat, sous peine de résiliation de mandats.

En définitive, les vents contraires soufflant sur l’ESG aux Etats-Unis pourraient paradoxalement clarifier le paysage mondial. En créant une ligne de fracture nette entre les approches conservatrices et les engagements structurels en faveur de la durabilité, ils permettent aux acteurs européens de réaffirmer leurs valeurs et d’en faire un levier de différenciation stratégique. Dans un environnement où la transparence, la résilience et la soutenabilité sont devenues des impératifs, l’Europe a plus que jamais l’occasion de prendre le leadership.

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