Du prématuré à l’immature

Peter de Coensel, DPAM

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Il est prématuré d’anticiper un ralentissement des achats d’actifs et immature de creuser encore le déficit.

Le consensus table sur une approbation du plan de relance estampillé Biden qui pourrait intervenir d’ici la fin du mois. Il n’est donc pas étonnant que la dynamique insufflée aux marchés par cette relance se soit clairement manifestée la semaine dernière. Le temps est venu de «voir grand», comme l’a affirmé Janet Yellen, une position qui est d’ailleurs cautionnée par le Fonds monétaire international.

Le plan de relance d’un montant de 1900 milliards de dollars va de la distribution de bons d’alimentation à la hausse des d’allocations chômage et du salaire minimum en passant par le versement d’une aide de 1400 dollars par personne disposant d’un revenu annuel inférieur à 75'000 dollars. Il prévoit également l’accélération de la campagne de vaccination et l’accroissement des capacités de test.

Impôts et infrastructures

Parallèlement à ce plan, des négociations sont en court pour discuter d’un vaste plan de rénovation des infrastructures dont l’enveloppe se compte milliards. Ces discussions devraient démarrer dès que les aides concernant le virus auront été approuvées. Du point de vue des marchés financiers, c’est le plan destiné aux infrastructures et non pas le plan d’aide à la relance de l’économie, qui pourrait jouer le rôle du canari dans la mine de charbon.

Ce plan pourrait avoir un impact positif sur le PIB réel en 2021,
mais cet effet disparaîtra totalement en 2022.

Cette valeur d’indicateur avancé ne tient pas au fait qu’il accroîtra le potentiel de croissance de l’économie, c’est du moins ce qui est à espérer, mais elle résulte de cette conséquence qu’il exigera une augmentation des impôts des entreprises et des personnes à revenus élevés. Les premières ont en effet enregistré une hausse substantielle de leur valorisation et les secondes un accroissement marqué de leur fortune. Par conséquent, l’écart avec les classes moyennes et à faibles revenus s’est creusé. Le plan de relance discuté actuellement et dont l’enveloppe finale devrait s’établir aux alentours de 1400 à 1500 milliards de dollars pourrait donc être considéré comme une compensation versée en une seule fois aux classes moyennes et à faibles revenus.

Quelle croissance?

Ce plan pourrait avoir un impact positif sur le PIB réel en 2021, mais cet effet disparaîtra totalement en 2022. Il ne faut pas compter sur le fait que ses répercussions puissent se faire sentir sur le PIB durant plusieurs années. Le multiplicateur fiscal sera plus proche de 0 que de 1, car la propension des ménages à dépenser leurs revenus additionnels sera faible, alors que celle à réduire leur endettement pourrait être élevée. Par conséquent, tout scénario fondé sur un accroissement de la demande découlant du besoin de rattrapage n’aurait qu’une durée de vie très éphémère.

Le 11 février dernier, les services du budget du Congrès (CBO) ont publié leurs prévisions budgétaires et économiques pour la période 2021-2031. En 2021, une croissance réelle de 3,7% devrait permettre à l’économie américaine de retrouver son niveau pré-pandémie durant l'été. Puis la croissance devrait revenir à une moyenne de 2,6% entre 2021 et 2025, ce qui implique que l’écart de production pourrait être résorbé dès le début 2025. Ces précisions sont particulièrement importantes, car le marché se doit de faire la distinction entre retour de la croissance et croissance nécessaire pour combler l’écart de production ou, autrement dit, minimiser la sous-utilisation des capacités de production.

Quel que soit le choix effectué, il sera sous-optimal
pour les actifs sans risque et les actifs à risque.

En 2021, le déficit budgétaire devrait être de l’ordre de 2300 milliards de dollars, ce qui représente 10,3% du PIB. Cette proportion atteindra un point bas à 3,6% en 2024, puis remontera pour s’établir à 5,7% en 2031. Pour ceux qui en douteraient encore, ces largesses inciteront la banque centrale américaine à poursuivre sa politique d’achats d’actifs et à la maintenir au niveau actuel pendant un certain temps. Si la normalisation de la politique monétaire peut intervenir début 2022, le ralentissement des achats d’actifs semble par contre prématuré.

La trajectoire du PIB réel décrite par le CBO est conforme à l'opinion exprimée dans de précédentes éditions. Après une reprise, sa croissance attendue à 3,7% pour 2021, reviendra à 2,2% et 2,3% en 2022 et 2023, puis évoluera aux alentours de 1,6% pour la période 2026-2031. C'est 0,2% de moins que le taux de croissance potentiel de 1,8% calculé par les analystes de la FED. Il semble donc encore une fois prématuré de s’attendre à ce qu’une progression des taux longs puisse s’expliquer par une croissance potentielle à long terme très soutenue.

Le plan de rénovation des infrastructures portera entre autres sur l’expansion des infrastructures de transmission à large bande dans les zones rurales, la remise en état des routes et des ponts, la création d’un demi-million de stations de recharge pour les véhicules électriques, autant de projets qui vont créer des millions d'emplois. Toute la question est de savoir si le tandem Biden-Harris optera pour l’alternative immature qui consisterait à financer ce plan par le déficit ou choisira au contraire l’option d’une fiscalité responsable et redistributive. Cette décision est cruciale. Mais, quel que soit le choix effectué, il sera sous-optimal pour les actifs sans risque et les actifs à risque.

Vers une pentification de la courbe des taux?

Sur les principaux marchés, les taux directeurs se sont légèrement détendus, ce qui représente une évolution très appréciable. Les produits financiers dont l’évolution dépend des différentiels de rendement font preuve de résilience, mais ils pourraient souffrir si les courbes de taux venaient à se pentifier davantage. En ce qui concerne celle des taux américains, je me hasarderais à faire une prévision. Peu importe d’ailleurs qu’elle se vérifie ou non, l’objectif est de maintenir constante la vigilance.

La politique du taux zéro mise en place par la Fed a rendu
pratiquement impossible l'inversion de la courbe des rendements.

Une majorité de stratèges table sur une pentification plus marquée de la courbe des rendements aux Etats-Unis. Si l’on examine l’écart entre les taux à 2 ans et les taux à 30 ans, il était de 1,90% la semaine dernière. Durant les 44 années passées, cet écart a été d’environ 1,30% en moyenne. A ce propos, il est intéressant de relever que depuis la crise financière de 2008-2009, il n’a jamais touché le seuil du zéro et ceci s’explique par le fait que la politique du taux zéro mise en place par la Fed a rendu pratiquement impossible l'inversion de la courbe des rendements.

L’écart le plus bas observé depuis la crise financière a été d’environ 40 points de base (pb), un niveau atteint en septembre 2018 puis en septembre 2019. Dans ces deux cas, le marché a estimé que le cycle de durcissement de la politique monétaire de la Fed touchait à sa fin. Ce plus bas de 40 pb se situe à environ un écart-type du 0,00% de la période d’observation. En partant du plus haut de 2,55% et en appliquant cet écart-type de 40 pb, on arrive à un taux cible de 2,15% (2,55% - 0,40%).

Si l’on part du fait que le deux ans évolue actuellement autour des 10 points de base alors, le rendement de l’obligation à 30 ans devrait être de 2,25%. Or, il a clôturé à 2,00%, soit un écart d’à peine 25 points de base par rapport à l’objectif cible résultant du calcul sommaire effectué plus haut. Si le deux ans venait effectivement à tester le niveau du 0,00%, les 2,00% actuels du 30 ans seraient donc encore plus intéressants. Cela dit, l’investissement en obligations n’est pas une question de timing et le but des calculs qui précèdent est simplement de fournir des pistes de réflexion à un moment où les mouvements des marchés tendent à être rapides et brutaux, à la hausse comme à la baisse.

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